Aide en Philo

Y a-t-il une expérience en métaphysique ?

Extrait du document

Les philosophes que nous venons de voir répondaient par la négative : l'un (Kant) disant que le domaine métaphysique est par définition au-delà de l'expérience, l'autre (Comte) disant qu'elle est illusoire et relève d'une attitude spirituelle historiquement dépassée, le troisième la relativisant comme un langage ou comme une religion expressive d'une forme socio-culturelle parmi d'autres, objet d'une expérience anthropologique. Mais c'est prendre le mot « expérience » dans un sens très restreint, celui d'expérience objective. Dans un tel sens, il n'y a pas d'expérience métaphysique et l'expression est évidemment contradictoire dans ses termes.

Au sens le plus large, nous pouvons décrire trois genres d'expériences métaphysiques : 1 — L'intuition métaphysique. Cette expression est bergsonienne. Elle représente une synthèse de l'intelligence et de l'instinct grâce à laquelle peut être saisi le secret de la réalité vivante et mouvante, c'est-à-dire la durée, et, dans la durée créatrice, l'élan vital, dernier mot de toutes choses. Il y a ainsi pour Bergson, à l'origine de toute philosophie, une intuition par laquelle le philosophe « comprend » en un instant et dans un acte simple, ce qui fait l'unité du réel et la signification de l'existant. Et cette intuition est tellement simple, dit  Bergson (in « La pensée et le mouvant », conf. sur l'intuition) que le philosophe a parlé toute sa vie pour l'expliquer, donnant une première formule puis rectifiant sa définition et rectifiant sa rectification, etc.

Tout se passe comme si une idée, ou même une image, s'était présentée tout à coup lourde de tout un contenu implicite, par laquelle tout s'éclaire. « Comprendre » un philosophe, inversement, c'est tenter de retrouver à travers son œuvre, cette idée unique et simple qui est son « expérience métaphysique ».   

« Y a-t-il une expérience en métaphysique ? Les philosophes que nous venons de voir répondaient par la négative : l'un (Kant) disant que le domaine métaphysique est par définition au-delà de l'expérience, l'autre (Comte) disant qu'elle est illusoire et relève d'une attitude spirituelle historiquement dépassée, le troisième la relativisant comme un langage ou comme une religion expressive d'une forme socio-culturelle parmi d'autres, objet d'une expérience anthropologique. Mais c'est prendre le mot « expérience » dans un sens très restreint, celui d'expérience objective.

Dans un tel sens, il n'y a pas d'expérience métaphysique et l'expression est évidemment contradictoire dans ses termes. Au sens le plus large, nous pouvons décrire trois genres d'expériences métaphysiques : 1 — L'intuition métaphysique.

Cette expression est bergsonienne.

Elle représente une synthèse de l'intelligence et de l'instinct grâce à laquelle peut être saisi le secret de la réalité vivante et mouvante, c'est-à-dire la durée, et, dans la durée créatrice, l'élan vital, dernier mot de toutes choses.

Il y a ainsi pour Bergson, à l'origine de toute philosophie, une intuition par laquelle le philosophe « comprend » en un instant et dans un acte simple, ce qui fait l'unité du réel et la signification de l'existant.

Et cette intuition est tellement simple, dit Bergson (in « La pensée et le mouvant », conf.

sur l'intuition) que le philosophe a parlé toute sa vie pour l'expliquer, donnant une première formule puis rectifiant sa définition et rectifiant sa rectification, etc. Tout se passe comme si une idée, ou même une image, s'était présentée tout à coup lourde de tout un contenu implicite, par laquelle tout s'éclaire.

« Comprendre » un philosophe, inversement, c'est tenter de retrouver à travers son œuvre, cette idée unique et simple qui est son « expérience métaphysique ». Chez Berkeley, ce serait peut-être une vue du spectacle de la nature débarrassé de toute la science, de toute l'intelligence et des idées abstraites, « poussière que les hommes soulèvent » ; et la nature ainsi purifiée devient une relation du « moi » à Dieu ; chez Kant, ce serait peut-être la révélation de l'activité incroyable de la raison humaine, animée par un besoin dévorant d'ordre universel, imposant ses lois aux phénomènes et lançant les hommes à la réalisation de la République idéale ; chez Bergson, ce serait le sentiment d'une sorte de pulsation de l'univers, alternance de tension, créatrice de formes vivantes...

et d'une détente, créatrice de matière, le long d'une ligne d'évolution réalisant indéfiniment les virtualités de l'élan vital...

La différence entre cette intuition métaphysique et l'intuition par laquelle un physicien, par exemple, découvre une grande hypothèse est uniquement une différence d'ampleur et de profondeur, étant donné que la « grande hypothèse » d'où naît une philosophie est le centre d'une conception générale du monde. 2 — L'épreuve déterminante.

Ce deuxième type d'« expérience métaphysique » est différent du premier surtout en ce que la révélation de l'idée y est remplacée par une expérience historique.

A vrai dire, il y a toujours les deux et l'idée ne se révèle le plus souvent que dans une expérience, qu'on pourrait appeler l'expérience cruciale.

Il est des cas où on ne saurait dire s'il s'agit d'une épreuve déterminante ou d'une intuition métaphysique, d'un événement vécu ou du résultat d'une méditation.

Tel serait le cas de l'expérience métaphysique du « cogito » chez Descartes. Ayant renoncé au « principe d'autorité » en philosophie (c'est-à-dire à croire vrai ce que disent les penseurs considérés comme des « Maîtres » et parce qu'ils sont des Maîtres à penser), ayant renoncé à « apprendre la vérité dans les livres », ayant parcouru le monde et perçu la variété des expériences, Descartes, décidé à partir seul à la recherche de la vérité et mettant en question les données sensibles (la valeur des perceptions), tombe dans un doute généralisé.

Dans cette incertitude complète, une vérité s'impose à lui : « Si je doute, c'est que je pense ; donc je pense, et donc je suis ».

C'est ce qu'on appelle le « cogito » cartésien. On connaît la suite, qui est le début de la métaphysique de Descartes : « Si je suis, donc l'Être (Dieu) est ; si l'Être (Dieu) est, le monde est ».

Il ne reste plus à Descartes qu'à savoir comment connaître ce monde, et il propose alors une méthode. Malgré les reproches que lui firent Maine de Biran et, depuis, tous les existentialistes, il semble bien, à lire les pages des « Méditations » où Descartes raconte son intuition, qu'il « éprouva » le doute méthodique comme la sensation d' « un homme qui se noie » parce que toutes les réalités consistantes se liquéfiaient autour de lui.

et qu'il « éprouva » le « cogito » comme une délivrance de l'angoisse. Il est des cas, cependant, où l'expérience métaphysique se fait à l'occasion d'une expérience de la vie qui prend tout d'un coup une dimension bouleversante. C'est ainsi que Nietzsche descendant des Alpes en 1870, tout inspiré de la musique de Wagner, eut la révélation du principe de sa philosophie en voyant défiler à Francfort une colonne de cavalerie qui partait pour le front dans le fracas de sa dernière parade...

«Je sentis pour la première fois », dit-il lui-même en évoquant cette expérience, « que la plus haute et la plus forte volonté de vivre ne trouve pas son expression dans une misérable lutte pour l'existence, mais dans une volonté de guerre, une volonté de domination, une volonté de puissance ». C'est aussi une expérience cruciale qui est à l'origine de la philosophie de Jean-Paul Sartre, l'expérience de l'existence dans « la nausée » : « Et puis j'ai eu cette illumination.

Ça m'a coupé le souffle...

c'était là, c'était clair comme le jour : l'existence s'est soudain dévoilée.

Elle avait perdu son allure inoffensive de catégorie abstraite...

la diversité des choses, leur individualité n'étaient qu'une apparence...

il restait des masses monstrueuses et molles, en désordre, nues, d'une effrayante et obscène nudité...

Ces relations que je m'obstinais à maintenir pour retarder l'écroulement du monde humain, des mesures, des quantités, des directions,...

j'en sentais l'arbitraire ; elles ne mordaient plus sur les choses...

Et sans rien formuler nettement, je comprenais que j'avais trouvé la clé de l'Existence, la clé de mes Nausées, de ma propre vie.

» (« La Nausée », 1938). 3 — L'expérience mystique.

Elle nous intéresse ici en ce sens qu'elle constitue une des formes de « l'expérience métaphysique ».

La discussion toujours rouverte à propos de cas pathologiques (délires mystiques, ou certaines formes d'hystérie) ne saurait nous cacher l'existence historique de grands saints qui ont décrit leur expérience de 1'« union mystique ».

Il est sans doute difficile, dans les cas ordinaires, de « démêler sans prévention ni précipitation », comme dit Delacroix, « ce qui est le fait de la maladie et ce qui se rattache à une certaine variété de l'intuition » (Études d'histoire et de psychologie du mysticisme, 1908), mais « le goût de l'action, la faculté de s'adapter et de se réadapter aux circonstances, la fermeté jointe à la souplesse, le discernement prophétique du possible et de l'impossible, un esprit de simplicité qui triomphe des complications, enfin un bon sens supérieur », selon l'expression de Bergson (« Les deux Sources de la Morale et de la Religion », 1932), ne sont-elles pas, chez certains saints comme sainte Thérèse d'Avila, saint François d'Assise, saint Vincent de Paul, la preuve qu'ils ne peuvent être assimilés à des malades? S'il en est ainsi, on doit tenir leur expérience pour valable.

De toutes façons, l'expérience mystique ne donne pas comme les autres formes de l'expérience métaphysique le principe d'une philosophie, mais une certitude et une force qui transfigure la personnalité, qui se traduit en action sans se soucier d'un système rationnel ou d'une explicitation discursive.

A ce titre l'expérience mystique est une expérience religieuse et non pas purement métaphysique.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles