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Les oeuvres d'arts nous font elles oublier le réel ?

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L’expression « le monde de l’art » semble faire de l’ensemble des œuvres et des individus s’y intéressant une communauté à part entière, comme constituant une réalité en marge de celle du commun.

Pourtant, les œuvres dites engagées ne sont pas choses rares : les artistes prouvent régulièrement qu’ils sont sensibles aux évènements du monde. Dès lors, se demander si l’art nous fait oublier la réalité, c’est s’interroger sur ses rapports avec une objectivité supposée. Cet « oubli » n’est-il qu’un temps d’arrêt nécessaire ou  une transposition dans un monde nouveau ? Comment distinguer la réalité vécue de l’artiste et celle du sens commun, laquelle pourrait être dite plus légitime que l’autre ?

Il apparaît nécessaire de se concentrer dans un premier temps sur la rencontre entre le contemplateur et l’œuvre : quelles facultés sont en jeu, comment une expérience de l’oubli est-elle possible ?

Dans quelle mesure cet oubli est-il radical, quel est le rôle de l’originalité : le second mouvement de la réflexion s’insère dans une perspective de réinvention du regard, de la réalité, et non plus dans celle d’une amnésie partielle.

Enfin, on a souhaité amorcer un débat autour de l’art contemporain : comment penser un art qui n’est qu’une redite de la réalité ?

 

I Singularité de l’expérience esthétique

II L’art instaure de nouveaux rapports à la réalité III Discussion autour de l’art contemporain

 

 

« L'expression « le monde de l'art » semble faire de l'ensemble des œuvres et des individus s'y intéressant une communauté à part entière, comme constituant une réalité en marge de celle du commun. Pourtant, les œuvres dites engagées ne sont pas choses rares : les artistes prouvent régulièrement qu'ils sont sensibles aux évènements du monde.

Dès lors, se demander si l'art nous fait oublier la réalité, c'est s'interroger sur ses rapports avec une objectivité supposée.

Cet « oubli » n'est-il qu'un temps d'arrêt nécessaire ou une transposition dans un monde nouveau ? C omment distinguer la réalité vécue de l'artiste et celle du sens commun, laquelle pourrait être dite plus légitime que l'autre ? Il apparaît nécessaire de se concentrer dans un premier temps sur la rencontre entre le contemplateur et l'œuvre : quelles facultés sont en jeu, comment une expérience de l'oubli est-elle possible ? Dans quelle mesure cet oubli est-il radical, quel est le rôle de l'originalité : le second mouvement de la réflexion s'insère dans une perspective de réinvention du regard, de la réalité, et non plus dans celle d'une amnésie partielle. Enfin, on a souhaité amorcer un débat autour de l'art contemporain : comment penser un art qui n'est qu'une redite de la réalité ? I Singularité de l'expérience esthétique Dans sa Critique de la Faculté de Juger, Kant souligne que l'expérience de la beauté constitue un moment à part entière, en tant que cette rencontre entre sujet et œuvre s'établit de manière tout à fait désintéressée.

La contemplation d'une œuvre d'art et la rencontre avec la beauté constitue un moment à part entière, qui ne peut être réduit à une expérience de la vie quotidienne.

De plus, cette occasion entraîne le « libre jeu des facultés » que sont entendement, raison et imagination.

Il existe un moment où le sujet ne peut que faire silence : en ce sens, l'expérience esthétique est un moment hors de la réalité, où seule la communion entre le contemplateur et l'œuvre importe. Mais ce moment « hors de la réalité » n'est-il pas provoqué par le savoir-faire illusionniste de l'artiste ? Dans La République, Platon édicte une condamnation ferme de l'art.

Mais il convient d'établir une distinction car ce n'est qu'une seule modalité de l'image que Platon met au banc : l'eidolon ou simulacre.

Ce dernier prétend rivaliser avec le modèle, constituant ainsi une substitution.

Cette image trop parfaite empêche l'accès à la réalité au sens où nous l'entendons cette fois comme le Monde des Idées, et n'est que copie de copie : la réalité sublunaire étant déjà copie des Idées, l'œuvre est en plus copie de l'objet présent dans le monde sublunaire.

Ainsi entendu, l'Art nous détourne de la réalité vers laquelle tout homme devrait tourner son regard. Cette condamnation de l'art, créateur d'un monde d'illusions qui nous éloigne de la réalité est exacerbée chez Rousseau.

Si la fin de la transparence entre les hommes remonte aux premières formes de sociétés fondées sur la propriété, l'art ne constitue qu'une forme de plus dans l'éloignement des hommes.

Aller au théâtre, ce n'est qu'assister à un nouveau travestissement des individus, doublé par le travestissement des spectateurs, qui n'assistent aux représentations que dans le seul but de se montrer.

Pour reprendre la terminologie de Starobinski, l'art constitue un obstacle de plus aux échanges. II L'art instaure de nouveaux rapports à la réalité Mais il apparaît que la critique de Rousseau est fortement connotée historiquement : car le théâtre n'est pas seulement l'art des apparences, ce fut, au temps d'A ristote un espace à part entière de la C ité.

La principale vertu de la tragédie, exposée dans La Poétique, consiste en une katharsis, c'est-à-dire une purgation des passions, qui passe par la crainte et la pitié.

Certes, ce qui est représenté sur scène constitue une histoire fictionnelle, il l'en reste pas moins que nous éprouvons des sentiments pour ces personnages ligotés à leurs destins et à la volonté des Dieux.

L'art, en ce sens, ne nous fait pas oublier la réalité, il induit un travail individuel, et possède des résonances politiques. Or, ce qui permet la katharsis, c'est le savoir faire de l'artiste, pour Aristote.

Mais dans l'art moderne s'ajoute une nouvelle notion : celle de l'originalité.

Dans Du côté de Guermantes, Proust souligne que le monde proposé au contemplateur par l'artiste ne constitue nullement une pâle copie, mais une réinvention : « Et voici que le nouveau monde (qui n'a pas été créé une fois, mais aussi souvent qu'un artiste original est survenu) nous apparaît entièrement différent de l'ancien, mais parfaitement clair.

» La création artistique, au sens fort du terme, ne nous fait pas oublier la réalité, mais nous invite à en faire une lecture nouvelle.

Et ce qui frappe, c'est que cette lecture nous semble toujours avoir été là, en germe : l'artiste révèle au monde ce qui lui parait « réel ». Il n'en est pas moins que l'art nous permet également de découvrir des pans de la réalités qui jusque là nous échappaient.

« trouver du nouveau » selon le mot de Baudelaire, tel peut être une des finalités de l'art.

L'importation des styles par exemple, est un fait qui marque toute l'histoire de l'art : l'orientalisme par exemple ne se réduit pas aux arts décoratifs, et manifeste un intérêt aigu de l'époque pour les terres étrangères.

C 'est au contemplateur, à sa subjectivité propre, qu'il revient en regardant ces œuvres d'oublier la réalité présente ou de considérer cela comme une manifestation d'un autre mode de réalité. III Discussion autour de l'art contemporain Le tournant « post moderne » inauguré par l'art conceptuel marque un point d'arrêt à une conception esthétique de l'art.

C ela est rendu particulièrement visible avec le pop'art aux Etats-Unis, ou les ready-made de Duchamp.

L'art, loin de nous bercer d'illusions et de nous faire soit entrevoir une réalité sous-jacente, soit de nous illusionner, devient un constant clin d'œil aux réflexes de la société de consommation.

Que dire de la série des Marilyn de Warhol, si ce n'est qu'il joue sur une constante ironie ? En manipulant des clichés, l'art de cette période se veut une critique sévère de la société de consommation.

Mais à force de dédoubler la réalité, la tentation apparaît grande de s'en échapper par d'autres voies que celles proposées par l'art. On trouve dès lors un étrange écho à la pensée de Nietzsche présente dans Le Gai Savoir : « A vec quelle malice nous écoutons maintenant le grand tintamarre de foire par lequel l' ‘homme instruit' des grandes villes se laisse imposer des ‘jouissances spirituelles' par l'art, le livre et la musique, aidés de boissons spiritueuses ! ».

C ar ce n'est plus l'art qui peut nous transposer dans une autre réalité, mais la métaréflexion autour de celui-ci, devenu nécessaire, comme le souligne Yves Michaud, afin de comprendre – et non plus de ressentir ! – l'art contemporain. En conclusion, il apparaît que l'art ne nous fait guère oublier la réalité, au sens où le simple simulacre décrié par Platon ne peut berner « que les pigeons et les singes ».

En revanche, il peut nous donner accès à une nouvelle lecture de la réalité, lecture qui peut s'envisager par une communauté réunie autour d'une scène de théâtre, par exemple : son prochain reste toujours le même, mais la communion cathartique transporte dans la sphère non explorée quotidiennement des passions, pour mieux les expurger. Néanmoins, la dimension tout à la fois subjective et tendant à l'universel de l'expérience esthétique ainsi que décrite par Kant semble peu à peu se morceler : l'art contemporain, art le plus souvent non figuratif, peut-il nous transporter en dehors d'une simple dénonciation des tics de notre société ?. »

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