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«L'histoire humaine peut bien dans ses passions, dans ses préjugés, dans tout ce qui relève de ses impulsions immédiates être un éternel recommencement, mais il y a des pensées qui ne recommencent pas, ce sont les pensées qui ont été rectifiées, élargies

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«La colère d'Achille, illustre entre toutes et depuis trois mille ans célébrée, enferme toutes les colères. Toutes les passions comparaissent en cette scène sublime où la tente du héros étant entr'ouverte on le voit qui se dompte lui-même par le chant et la cithare, gagnant une heure après l'autre sur la colère infatigable». Ainsi parle Alain, constatant que l'homme est en proie, toujours, aux mêmes passions, et que le cœur humain n'a point changé depuis Homère. Mais cette constatation ne va pas, chez la plupart, sans quelque mouvement d'humeur. Nous nous voudrions différents de ceux qui nous ont précédés, et quand nous disons différents, nous entendons supérieurs. La constance de la nature humaine dans la faiblesse nous choque et il est fâcheux que l'adjectif « humain » désigne toujours cette impuissance de l'homme à être maître de soi. Nous nous sommes rendus maîtres de la nature et nous régnons sur les animaux ; la science et la technique, chaque jour, modifient le monde sous nos yeux, et nous serions pourtant semblables à ces sauvages qui se battaient pour Hélène sous les murs de Troie? Du moins sommes-nous délivrés de leurs erreurs et si nous subissons les mêmes passions, nous formons d'autres pensées: «l'histoire humaine peut bien dans ses passions, dans ses préjugés, dans tout ce qui relève de ses impulsions immédiates être un éternel recommencement, mais il y a des pensées qui ne recommencent pas, ce sont les pensées qui ont été rectifiées, élargies, complétées». Nous essaierons d'abord de préciser le sens de cette thèse.

 

« «L'histoire humaine peut bien dans ses passions, dans ses préjugés, dans tout ce qui relève de ses impulsions immédiates être un éternel recommencement, mais il y a des pensées qui ne recommencent pas, ce sont les pensées qui ont été rectifiées, élargies, complétées».

(Bachelard).

Appréciez. INTRODUCTION «La colère d'Achille, illustre entre toutes et depuis trois mille ans célébrée, enferme toutes les colères.

Toutes les passions comparaissent en cette scène sublime où la tente du héros étant entr'ouverte on le voit qui se dompte luimême par le chant et la cithare, gagnant une heure après l'autre sur la colère infatigable».

Ainsi parle Alain, constatant que l'homme est en proie, toujours, aux mêmes passions, et que le cœur humain n'a point changé depuis Homère.

Mais cette constatation ne va pas, chez la plupart, sans quelque mouvement d'humeur.

Nous nous voudrions différents de ceux qui nous ont précédés, et quand nous disons différents, nous entendons supérieurs.

La constance de la nature humaine dans la faiblesse nous choque et il est fâcheux que l'adjectif « humain » désigne toujours cette impuissance de l'homme à être maître de soi.

Nous nous sommes rendus maîtres de la nature et nous régnons sur les animaux ; la science et la technique, chaque jour, modifient le monde sous nos yeux, et nous serions pourtant semblables à ces sauvages qui se battaient pour Hélène sous les murs de Troie? Du moins sommesnous délivrés de leurs erreurs et si nous subissons les mêmes passions, nous formons d'autres pensées: «l'histoire humaine peut bien dans ses passions, dans ses préjugés, dans tout ce qui relève de ses impulsions immédiates être un éternel recommencement, mais il y a des pensées qui ne recommencent pas, ce sont les pensées qui ont été rectifiées, élargies, complétées».

Nous essaierons d'abord de préciser le sens de cette thèse. I.

COMMENTAIRE - A - Permanence des passions, des préjugés et des instincts. L'idée de l'éternel retour se trouve dans Nietzsche, qui aurait pu la trouver dans Michelet, qui l'avait trouvée dans Vico.

Et c'est l'idée parménidienne de l'unité et de l'identité de l'être.

L'homme, toujours, est semblable à lui-même; comme disent les Écritures, nihil novum sub sole.

Il suffit de lire sans préjugés les auteurs anciens pour reconnaître dans l'homme d'autrefois l'homme de toujours.

L'histoire de l'humanité c'est l'histoire éternelle, ou, comme on le dit familièrement, l'éternelle histoire.

Les mêmes ressorts qui faisaient agir les contemporains de Socrate font agir les contemporains de Descartes, et nous font agir.

Antigone n'a point d'âge; elle est dans Anouilh ce qu'elle était dans Sophocle; l'Ulysse de Giono est semblable à celui qui inspira Homère; les guerres d'aujourd'hui sont, comme les guerres de Troie, des entreprises humaines : Ulysse est toujours disposé à la paix parce que Andromaque a le même battement de cils que Pénélope et c'est toujours quelque Démokos assassiné qui déclenche les cataclysmes. Comment s'expliquerait le succès de ces tragédies contemporaines qui font revivre les thèmes d'Homère ou de Sophocle si l'homme ne se retrouvait à travers ces personnages antiques? Tragédie, c'est faiblesse et misère de l'homme, et l'homme est toujours en proie aux mêmes misères et aux mêmes faiblesses.

Nous retombons toujours dans les mêmes fautes parce que la source même de ces fautes est intarissable, c'est la nature humaine.

Les passions de l'homme n'ont point changé.

L'amour, la colère, l'envie, l'ambition ne cesseront d'animer les hommes. Achille ne cessera de se retirer sous la tente, et Ulysse de rentrer chez lui en prenant par le plus long.

Cicéron aura toujours des factieux à dénoncer ; il se formera toujours pour gouverner la république un triumvirat dont chaque membre ne songera qu'au moyen de se débarrasser des deux autres.

L'homme est l'éternel esclave de ses préjugés : quel peuple pourrait se vanter aujourd'hui d'être plus tolérant que les Grecs, qui ont donné le nom de barbare à tout ce qui n'était pas Grec ? Il est aussi l'esclave de ses instincts : le glouton et le débauché sont des personnages qui ne «datent» jamais.

C'est en ce sens qu'on peut dire de l'histoire humaine qu'elle est un éternel recommencement: ce qu'on appelle le cœur de l'homme a été mis à nu bien avant que Baudelaire y songeât, et c'est un même cœur qui bat dans toutes les poitrines depuis trois mille ans qu'il y a des hommes, et qui aiment .

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. - B - L'évolution des idées. Mais si les amours humaines ne meurent que pour renaître, il est du moins des pensées qui meurent et ne renaissent pas.

Nous retombons toujours dans les mêmes fautes, mais non dans les mêmes erreurs. L'idée fausse, quand on a compris en quoi et pourquoi elle était fausse, on en est délivré.

L'héliocentrisme de Copernic a chassé le géocentrisme de Ptolémée, qui ne reviendra plus.

Et cela tient à la nature même de la vérité. Si l'on considère en effet, avec Spinoza, que nos idées sont plus ou moins adéquates, on comprend aisément que l'idée adéquate chasse l'idée inadéquate.

Il n'y a rien de positif dans l'idée fausse par quoi elle soit fausse : simplement elle est insuffisante.

Mais comment saurais-je que mon idée est insuffisante tant que je n'ai pas l'idée suffisante? En revanche, une fois en possession de l'idée suffisante, comment pourrais-je m'en tenir à l'idée qui ne suffit pas? Aussi la découverte de la vérité se fait-elle par une élimination ou plus exactement un redressement progressif de l'erreur.

S'il y a des pensées qui ne recommencent pas, c'est précisément parce que ces pensées ont été redressées et transformées en des pensées nouvelles.

Ainsi l'idée naïve est celle d'un soleil à deux cents pas, ou, comme dit Berkeley, d'un disque plat et rouge.

Mais si je monte sur la montagne et que je ne me rapproche pas du soleil, mon idée ne me suffit pas ; je suis contraint de la rectifier.

D'observations en raisonnements et de raisonnements en observations, je fais reculer le soleil jusqu'à le concevoir comme un globe plusieurs fois plus gros que la terre et situé à des millions de kilomètres.

Désormais je ne me laisse plus prendre au soleil à deux cents pas; l'apparence n'a point changé, mais l'idée qui rend compte de l'apparence a été rectifiée.

Tout progrès de la connaissance se fait ainsi par des redressements des erreurs premières.

Sans doute nos idées ne conviennent-elles. »

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