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Le citoyen n'a-t-il le droit de s'opposer aux lois qu'en paroles ?

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« APPROCHE: Dans une démocratie respectueuse des personnes, ces dernières ont là possibilité d'exprimer leur opposition à telle ou telle loi, dans la mesure où elles choisissent pour ce faire le mode du discours, de la discussion ou de la revendication verbale, signes que l'on renonce à la violence physique.

Mais est-ce là véritablement le seul mode possible d'opposition ? Après avoir rappelé la façon dont Spinoza justifie ce point de vue, nous-nous demanderons dans quelle mesure un recours à d'autres moyens peut être nécessaire. Le point de vue de Spinoza pourrait être qualifié de légitimiste : certes il ne prône pas la discipline muette et l'obéissance aveugle ; mais il déconseille la rébellion ouverte. En fait, ce qui motive son point de vue est un attachement essentiel à la rationalité : une obéissance aveugle est tout aussi contraire à la raison qu'une révolte au nom de l'intérêt privé.

Dans l'obéissance aveugle, je renonce à examiner rationnellement mes conditions d'existence et le sens de ce qu'on me demande de faire ou de ne pas faire dans le cadre de la vie commune.

Dans la ruse ou la rébellion ouverte, j'oppose mon intérêt privé à l'intérêt commun, en oubliant que je dois au fait de vivre au sein d'un ordre social organisé d'être capable de développer un tel intérêt individuel.

Même si je ne me rebelle pas, les procédés de ruse montrent que mon respect de l'ordre n'est que superficiel et est subordonné à la poursuite de mes buts privés.

Une telle inversion des priorités témoigne également d'un abandon de la rationalité puisque je me laisse emporter par mes passions privées. Mais peut-on toujours tenir une attitude légaliste qui invite à faire passer le respect de l'ordre général avant la critique des mesures ponctuelles ? Cette question a été particulièrement agitée à propos de la justification de la Révolution française, qui allait à l'encontre de l'idéal de révolution raisonnable et pacifique prôné par les Lumières (notamment Goethe et Schiller). Marx et les penseurs socialistes ou anarchistes ont également signalé qu'il arrive parfois que l'obéissance, au lieu de témoigner d'une bonne volonté, ne fasse que renforcer une structure globalement mauvaise et essentiellement répressive.

Dans quelles conditions peut-on estimer que l'opposition verbale peut être dépassée au profit d'orme action plus forte ? Le premier cas est celui d'une mesure qui, dans le cadre d'une démocratie fonctionnant bien par ailleurs, heurte radicalement la conscience des citoyens ; si, par des circonstances quelconques, un régime dans lequel règne la liberté d'expression promulgue une loi qui me demande d'agir contre ma conscience, je ne peux pas attendre l'aboutissement d'une nouvelle discussion et d'une longue procédure pour agir au nom de ma conscience par la désobéissance civile.

Il s'agit ici d'une attitude exceptionnelle face à une mesure suffisamment injuste ou dangereuse pour que je refuse d'en discuter.

Mais une telle attitude ne remplace pas la protestation verbale, bien au contraire : je dois proclamer les raisons de ma désobéissance, pour qu'elle ne puisse pas être confondue avec une indiscipline de convenance personnelle. Une deuxième situation, qui est celle que Spinoza souhaite éviter, est celle de la suppression de la liberté de penser, de s'exprimer : ainsi est éliminée la voie de recours ordinairement conseillée.

Comme le besoin d'expression ne manquera pas de reparaître, sa frustration systématique risque d'acculer les individus à une expression par la violence. Une troisième situation est celle où un pouvoir déciderait de figer une fois pour toutes sa constitution et ses lois : toute protestation, toute tentative ponctuelle de réforme se verrait alors opposer une fin de non-recevoir.

Reste-til alors autre chose que la violence ou la ruse, la « dissidence » ? Il peut rester l'exil dans un pays plus accueillant à nos idées. Enfin, cet exil lui-même peut être rendu impossible, comme ce fut le cas dans nombre de pays de l'Est : la violence est alors véritablement la seule solution pour exprimer une volonté de changement.

Spinoza était tout à fait conscient du fait que trop de répression des libertés ne fait que fragiliser l'autorité d'un régime.

De même, Montesquieu critiquera les régimes qui ne tiennent que par la crainte et ne savent s'attirer le respect. On le voit, tous les régimes ne permettent pas une défense purement verbale de la justice ; mais le mérite des démocraties est de ménager un espace de parole, de discussion publique rationnelle qui permette à chacun d'affiner ses propres positions et d'interroger ses motivations : bien souvent, les premières discussions font tomber bien des protestations qui se révèlent commandées par des réactions irrationnelles, passionnelles ou intéressées.

Dans la philosophie contemporaine, J.

Habermas a tenté de développer l'éthique de la discussion, c'est-à-dire la liaison systématique de la construction de la liberté et de la discussion rationnelle, afin de résoudre les problèmes par l'établissement d'un consensus. Le citoyen est membre de la communauté politique, il se définit à la fois par le libre exercice de ses droits civiques et politiques et par sa participation aux décisions de l'Etat, au nom de la volonté générale.

La question de l'opposition aux lois et de la manière dont elle peut légitimement se manifester prend toute son ampleur dramatique dans le Criton de Platon.

En effet, lorsque ses amis lui proposent de s'enfuir après qu'il a été condamné à mort, Socrate répond que le lien entre le citoyen et la cité dont il est originaire ne laisse aucune place à la désobéissance légitime.

L'idée classique selon laquelle la cité, dans la pensée antique, est le lieu de l'achèvement de l'homme, prend un sens très concret au cours de ce dialogue.

Elle est l'endroit où le citoyen naît, est nourri, élevé, éduqué.

De ce fait, le citoyen est redevable de tout ce qu'il est.

Dès lors le droit de s'opposer aux lois autrement qu'en paroles prend toute son ampleur tragique.

Peut-on être citoyen en s'opposant par la force et par la résistance aux lois, sans s'exclure de la cité ? Y a-t-il une opposition aux lois qui peut être légitime et qui emprunterait d'autres moyens que ceux inhérents à la liberté d'expression, ou sommes nous attachés aux lois comme ce qui donne sens à notre vie ? Y a-t-il d'ailleurs un principe qui justifierait que le citoyen s'oppose à une loi sans qu'il perde son statut politique ?. »

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