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La science n'est-elle qu'une connaissance approchée ?

Extrait du document

« Position de la question.

On a longtemps attribué à la science une valeur et une exactitude absolues.

C'est ce qui caractérisait le s scientisme ».

Un savant comme LE DANTEC pouvait encore écrire, en 1911: « La science ne garde aucune trace de son origine humaine ; et elle a, par suite, quoi qu'en pensent la plupart de nos contemporains, une valeur absolue » (cité par LALANDE, Vocabulaire, p.

960).

— A l'opposé de cette conception, G. BACHELARD a présenté dans son Essai sur la connaissance approchée (1927) une théorie de la science qu'il rattache à « une philosophie de l'inexact » (Ouv.

cité, p.

8).

En quel sens peut-on dire que la science est une « connaissance approchée »? Nous essaierons d'abord de le déterminer en prenant cette expression dans son sens courant, puis nous préciserons le sens, un peu différent, que l'auteur de l'ouvrage en question lui attribue. I.

Sciences exactes et sciences approchées. Au sens courant du terme, approché s'oppose à exact .

Une connaissance est dite exacte lorsque, portant sur des grandeurs, elle nous donne de ces grandeurs une mesure qui « n'est ni supérieure ni inférieure, de si peu que ce soit, à la grandeur mesurée » (LALANDE, ouv.

cité, p.

315).

Au contraire, une mesure est dite approchée lorsqu'elle est seulement « voisine de la grandeur réelle » et qu'on la substitue à cette dernière « quand elle est impossible ou inutile à connaître rigoureusement ».

De même, une loi est dite approchée quand elle « permet de calculer une valeur suffisante pour le but qu'on se propose, mais un peu différente de la valeur vraie» (Ibid., p.

72).

En ce sens, seules les Mathématiques sont des « sciences exactes » ; les Sciences expérimentales sont des « sciences approchées ».

Expliquons ces deux expressions. A.

— Les Mathématiques portent sur des notions idéales qui, si elles ont eu quelques origines empiriques, ont été comme décantées par l'esprit de leur gangue sensible et ont été refondues par lui sur le plan de l'intelligible pur.

Dès lors, il leur est possible d'énoncer sur ces notions idéales des propositions rigoureusement exactes, au sens qui a été défini ci-dessus.

Lorsque la Géométrie énonce que la somme des angles du triangle vaut deux droits, que l'aire du triangle est égale au demi-produit de sa base par sa hauteur ou le volume de la pyramide au tiers du produit de sa base par sa hauteur, lorsque l'Algèbre nous enseigne que la somme des termes d'une progression arithmétique est le produit de la demi-somme des extrêmes par le nombre des termes, etc., ces propositions sont vraies rigoureusement, indépendamment de toute approximation. Bien entendu, cette « exactitude » ne s'applique qu'aux Mathématiques pures, aux figures idéales de la Géométrie, aux nombres abstraits, etc.

Dès qu'on passe aux applications empiriques, l'approximation apparaît.

Si je veux évaluer l'aire d'un champ triangulaire, la formule géométrique ne me donnera qu'une valeur approchée, parce que le champ n'est qu'approximativement un triangle, parce que les figures réelles ne sont jamais parfaitement régulières, parfaitement conformes à leur modèle idéal.

Il en est de même si je veux évaluer arithmétiquement un nombre irrationnel tel que PI : « Le nombre PI est défini très exactement par le rapport de la circonférence à son diamètre...

C'est dans son évaluation par les moyens arithmétiques que cette notion est frappée d'inexactitude et rend nécessaires des procédés d'approximation» (BACHELA RD, ouv.

cité, p.

188).

J'a rais beau multiplier les décimales, leur nombre atteindrait-il cent u mille, « nous resterions toujours aussi éloignés de l'exactitude ab lue » avec laquelle le mathématicien définit le rapport de la circonférence au diamètre (E.

BOREL, cité ibid., p.

73). B.

— Cette approximation sera la règle dans les Sciences expérimentales où l'on a affaire à des grandeurs physiques.

Mais ici plusieurs causes d' «inexactitude» apparaissent.

— 1° Les concepts que l'on utilise ne sont plus des notions idéales : même s'ils sont, comme il se doit, bien définis, ils traduisent des grandeurs réelles.

Or, le caractère fondamental du réel, c'est qu'il est inépuisable et qu'il résiste à la connaissance.

D'où «l'existence indéniable d'une erreur qui ne peut, par nature, être totalement éliminée et qui nous oblige à nous contenter d'approximations » (BA CHELARD, ouv. Cité, p.

13). 2° Ces concepts ont été constitués grâce à une analyse de la réalité, par « prélèvements » sur le réel (LALANDE).

Certaines circonstances sont regardées comme «négligeables» (BACHELARD) parce qu'elles sont réputées sans influence sur le phénomène étudié ; mais est-on toujours certain qu'elles le sont en effet ? A insi, la reconstruction intelligible du réel ne rejoint qu'approximativement le réel concret (d'où la marge qui existe entre la théorie et la pratique). 3° La Science expérimentale a besoin de mesures.

Mais ces mesures sont nécessairement approchées.

En outre, la mesure comporte toujours une part d'arbitraire : choix de l'unité de mesure, méthodes de mesure, etc. 4° Enfin la vérification elle-même ne peut être qu'approchée.

On vérifie une hypothèse générale sur des cas particuliers : « Le réel, dit lord HALDANE, est toujours individuel.

» Or, ces cas particuliers mettent en.

jeu une multitude de variables qu'on s'efforce sans doute d'éliminer dans l'expérience de laboratoire, mais qu'on n'élimine jamais totalement. II.

L'approximation, caractéristique de la science. Mais l'expression de « connaissance approchée » peut aussi avoir un autre sens, un peu différent du sens courant que nous lui avons donné jusqu'ici. Une connaissance approchée sera alors une connaissance « qui n'est pas définitive et qui est appelée à devenir plus parfaite, plus adéquate à son objet » (LALANDE, Vocabulaire).

Il s'agit, en somme, d'une conception dynamique de l'approximation. C'est celle que développe G.

BACHELARD dans l'ouvrage cité ci-dessus.

L'approximation ne se présente plus alors uniquement sous son aspect quantitatif.

C'est le progrès même de la connaissance scientifique vers l'objectivité, « dans sa tâche d'affinement de précision, de clairvoyance » ; c'est « l'objectivation inachevée/ mais l'objectivation prudente, féconde, vraiment rationnelle, puisqu'elle est à la fois consciente de son insuffisance et de son progrès » (Ibid., p.

300). En ce sens large, elle concerne aussi bien les Mathématiques que les Sciences expérimentales.

Mais, tandis qu'en Mathématiques « l'approximation paraît toujours réglée, réellement et sûrement progressive, susceptible d'un développement infini » — car les Mathématiques « s'enrichissent au cours de leur évolution en adoptant par un raisonnement audacieusement hypothétique ce qu'elles s'épuisaient vaine-, ment à assimiler » et, « quand l'hypothèse se révèle trop étroite, une hypothèse plus réceptive vient y suppléer » (Ibid., p.

295), — dans les Sciences expérimentales au contraire, «le processus d'approximation est nécessairement fini » (Ibid., p.

7).

Ici, en effet, l'on se heurte au réel : « La réalité est le pôle de la vérification approchée ; elle est, dans son essence, une limite d'un processus de connaissance ; nous ne pouvons la définir correctement que comme le terme d'une approximation », et ainsi « l'approximation est la seule allure féconde de la pensée.

Une connaissance n'est claire dans son application au réel que si l'on peut retrouver, comme des repères naturels, les différents stades de son progrès » (Ibid., p.

277-278). Le progrès dans la précision manifeste sa fécondité jusque dans la découverte.

Parmi beaucoup d'exemples, on peut citer celui de la découverte de l'argon (Ibid., p.

96).

Lord Rayleigh avait constaté que la densité de l'azote chimique est de 1,2505 alors que celle de l'azote extrait de l'air était de 1,2572.

On chercha à expliquer de diverses façons cette légère différence.

Mais lord Rayleigh eut l'idée que l'azote atmosphérique était un mélange et réussit, en 1894, à en tirer l'argon. Conclusion.

Ce serait donc une erreur de voir dans son caractère « approché » une tare de la connaissance scientifique.

Bien au contraire c'est cette « approche » incessante, sévère, qui se rectifie et se précise sans trêve elle-même, qui lui permet de serrer le réel de plus en plus près, sans cependant jamais réussir à l'étreindre adéquatement.

C 'est ce ce qui fait sa valeur épistémologique, et peut-être aussi sa grandeur morale.. »

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