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La science est-elle seulement une connaissance ou est-elle aussi une éducation ?

Extrait du document

« Introduction.

— Nos ancêtres manifestaient une certaine défiance à l'égard du savoir qui risque d'enorgueillir et qui peut être utilisé pour le mal.

« Science s a n s c o n s c i e n c e n'est que ruine de l'âme », aimaient-ils à répéter.

De nos jours, au contraire, on a vanté la science moralisatrice, et un philosophe contemporain a porté ce jugement : « La science n'est pas seulement un jugement ; elle est aussi une éducation ».

Tâchons de bien comprendre cette pensée ; ensuite, nous verrons si nous pouvons l'accepter sans réserve. I.

— EXPLICATION A.

Les termes.

— Inutile de nous attarder aux mots « science » et « connaissance » : ils sont assez clairs par eux-mêmes et se définissent, ou plutôt s'expliquent l'un par l'autre.

La science, en effet, n'est qu'un mode de connaissance supérieur : plus certain, plus précis, plus méthodique, allant jusqu'aux causes ou aux raisons...

Q uant à la connaissance, on ne peut guère la définir, mais cette définition est inutile, car aucune expérience ne nous est plus familière que celle-là. Il ne sera pas inutile, au contraire, de préciser la signification du mot « éducation ».

D'après l'étymologie, particulièrement éclairante dans le cas, « éduquer » (« ducere ») consiste à faire sortir quelqu'un de l'état dans lequel il se trouve pour l'élever (synonyme de « éduquer ») à un niveau supérieur ; ou encore, l'éducateur a pour mission de faire sortir de ceux qui lui sont confiés tout ce que leur nature recèle de richesses latentes, de les aider à actualiser tout ce qu'il y a en eux de virtuel.

A insi, l'éducation a pour but de faire éclore les valeurs véritables, de développer l'individu dans le sens de l'humain : son domaine propre est celui des vertus morales. Sans doute, on parle parfois d'éducation intellectuelle ; mais cette éducation consiste moins à faire acquérir à l'esprit brillant et pénétration qu'à l'amener à bien penser, c'est-à-dire à penser avec un religieux respect de la vérité et en prenant toutes ses assurances contre le danger d'erreur.

C 'est avant tout l'homme moral que forme l'éducation. C 'est ordinairement l'instruction, et non la science ou la connaissance que l'on oppose à l'éducation.

L'instruction procure un certain bagage de connaissances utiles, mais qui restent presque aussi extérieures à celui qui les possède qu'une propriété foncière ou des biens mobiliers : ce n'est qu'un « avoir ».

L'éducation, au contraire, pénètre et transforme jusqu'au plus intime de l'individu : elle donne un « être » nouveau. B.

Le jugement.

— Boutroux n'admet pas cette opposition, et nous pourrions traduire ainsi sa pensée : « La science ne se contente pas d'instruire ; elle éduque.

» Ne majorons pas son affirmation.

Il ne prétend pas que l'instruction ou la science soit avant tout une éducation : elle est d'abord une connaissance, et ce n'est qu'en second lieu qu'on peut la considérer comme une éducation.

Encore moins tient-il la science pour le moyen éducatif unique ou même principal : elle est « une éducation » parmi bien d'autres et non « l'éducation ». Mais, ces limites posées, son affirmation est bien nette : la science est éducatrice.

A vant tout, sans doute, elle éduque l'intelligence, habituant celui qui la pratique à observer, à réfléchir, à discuter sa pensée.

Mais le mot « éducation » pris absolument désigne la formation de l'homme tout entier et spécialement la formation des vertus morales ; c'est pourquoi, si nous admettons la pensée de Boutroux, nous devons considérer la science comme un moyen d'éducation morale. Pouvons-nous le suivre jusque-là ? II.

DISCUSSION Pour répondre à cette question et déterminer la valeur éducative de la science, nous distinguerons la science comme moyen et la science comme fin. A.

La science comme moyen.

— II ne faut pas se payer de mots, l'immense majorité des gens instruits ont acquis leurs connaissances, non par amour de la science, mais pour parvenir, grâce à leur savoir, au résultat qu'ils désiraient ; principalement pour obtenir le diplôme qui ouvrait une carrière ambitionnée. C e genre de science ne présente pas une grande valeur éducative. Le savoir, en effet, n'augmente pas la valeur morale de l'homme.

C ette assertion est évidente si l'on s'en tient aux disciplines qui réalisent le mieux la notion de science : les mathématiques, la physique et la chimie.

M ais elle reste foncièrement vraie quand on considère les sciences qui peuvent être utiles au moraliste et qu'on appelle les sciences morales et la morale elle-même.

Sans doute, l'étude de ces dernières disciplines peut aider à se faire une meilleure conception de la vie et à prendre une conscience plus nette du devoir.

M ais la connaissance du devoir ne suffit pas à rendre meilleur ; au contraire, quand elle ne passe pas en acte, elle constitue une circonstance aggravante qui, dans l'échelle des valeurs morales, fait descendre celui qui sait audessous de l'ignorant. Reconnaissons-le toutefois, si le savoir lui-même est moralement neutre, les exercices par lesquels il s'acquiert ont une valeur éducative indiscutable : ils apprennent à dominer ses caprices et à se maîtriser, ils habituent à s'adonner à une tâche suivie, on y acquiert la tonifiante expérience de la joie qui accompagne le sentiment du travail bien fait...

Mais la valeur éducative de ces exercices ne vient pas de ce qu'ils ont la science pour objet, et elle n'est pas le privilège de l'étude : tout travail est éducatif, celui de l'apprenti qui se familiarise avec les techniques de son métier, autant ou plus que celui de l'écolier qui prépare un examen. On objectera peut-être que l'étude est plus désintéressée et, par là, plus éducative, car l'étudiant cherche à savoir et à comprendre, tandis que l'apprenti ou l'ouvrier ne songent guère qu'à gagner leur vie.

Mais cette opposition simpliste est d'une partialité criante : il ne manque pas de travailleurs manuels qui aiment le beau travail pour lui-même et n'admettent aucune imperfection dans leur oeuvre, leur négligence ne devrait-elle avoir aucune suite désagréable pour eux ; ils sont légion, d'autre part, les écoliers dont l'application est commandée par l'ambition d'une place de premier, les étudiants dont l'unique idéal est une sinécure bien rétribuée.

La valeur morale dépend essentiellement de l'intention ; or des intentions fort diverses peuvent inspirer le travail destiné à accumuler un certain savoir. On ne voit donc pas que la science, quand elle est cherchée comme moyen, présente une valeur éducative bien supérieure à celle de nombre d'autres occupations professionnelles. B.

La science comme fin.

— La science, il est vrai, peut être désirée pour elle-même et, de moyen, se transformer en fin.

C'est ce qui arrive lorsque l'étudiant, une fois formé par les exercices auxquels il s'est astreint pour obtenir la chaire convoitée, continue ses recherches pour satisfaire son désir de plus savoir et de mieux comprendre.

A ce niveau de culture, la science n'est-elle pas une éducation ? II faut le reconnaître, la méthode à laquelle doit s'astreindre le chercheur comporte des exigences hautement éducatives.

D'après Goblot, l'esprit scientifique est « composé surtout de qualités morales », dont les plus importantes sont: la constance, la probité et le désintéressement. De plus, le souci de comprendre et la réflexion sur les grands problèmes qui se posent au penseur élargissent singulièrement l'esprit et même le coeur qu'ils préparent aux projets généreux. Mais lorsqu'elle atteint ce stade, la pensée déborde le domaine propre de la science pour atteindre celui de la philosophie, non pas d'une philosophie qu'on pourrait appeler technique ou professionnelle et qui se réduit à la discussion de quelques problèmes d'école, mais d'une philosophie ouverte à tout ce qui est humain.

Or, bien souvent, la science se présente dans des cadres d'une étroitesse qui la rend moins éducative que le travail d'un contremaître ou d'un paysan : il est des savants spécialisés dans un domaine sans ouverture sur les grands problèmes de la vie, que leur passion d'augmenter leur savoir classe au niveau de collectionneurs inoffensifs, mais qu'on ne songe certes pas à proposer comme modèles. Conclusion.

— A insi, même prise comme fin, la science n'assure pas la formation de l'homme qu'on appelle « l'éducation ».

Elle suppose une autre fin qu'elle peut sans doute aider à découvrir, mais qu'elle ne remplace pas.

C ependant, pour celui qui possède déjà cette fin et entrevoit un idéal à réaliser, la science est un moyen d'une grande efficacité éducative.

C 'est pourquoi, tout en refusant de voir en elle une éducation, nous la tenons pour un précieux instrument éducatif.. »

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