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La connaissance scientifique s'oppose-t-elle à la connaissance vulgaire, ou n'en est-elle que le perfectionnement ?

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« La connaissance vulgaire et la connaissance scientifique.

— D e l'esprit scientifique.

— O n voit dès lors quelles différences séparent la connaissance empirique et vulgaire de la connaissance scientifique.

L'une porte simplement sur les faits, l'autre nous en révèle les raisons et l'enchaînement nécessaire. C elle-ci est certaine, car elle a été vérifiée et démontrée'; celle-là est toujours douteuse ; la première laisse l'esprit, dès qu'il réfléchit, hésitant et inquiet, la seconde le satisfait pleinement.

Le savant diffère donc de l'empirique, non précisément parce qu'il sait davantage, mais parce qu'il sait mieux.

On peut connaître tous les faits importants de l'histoire, et n'être point un véritable historien; tous les noms des principales étoiles et leur position, sans être un savant en astronomie.

C elui-là seul mérite le titre de savant qui a pu grouper et coordonner ses connaissances et, par delà les faits, entrevoir les lois qui les expliquent. Le savant diffère plus encore de celui qui ne peut atteindre à la science, par les qualités d'esprit qu'il possède.

Il faut qu'il soit assez curieux pour désirer l'explication des choses ; assez persévérant pour poursuivre ses recherches, malgré les échecs et les déceptions ; assez désintéressé pour n'obéir qu'à l'amour du vrai ; assez méthodique pour conduire avec ordre ses études; assez pénétrant pour dégager des faits qui passent des lois fixes de plus en plus générales.

C 'est l'ensemble de ces qualités essentielles qui constitue l'esprit vraiment scientifique. Observation.

— L'énoncé n'impose pas nécessairement l'ordre dans lequel les deux interprétations doivent être examinées.

On suivra l'ordre le plus apte à faire ressortir la solution adoptée. Position de la question.

O n peut distinguer plusieurs types ou espèces de la connaissance humaine.

Une des distinctions les plus fréquentes est.

celle qu'on établit entre la connaissance courante, souvent appelée connaissance vulgaire, et la connaissance scientifique.

On pourrait soutenir, on a même souvent soutenu que celle-ci n'est que le prolongement et le perfectionnement de la première.

Mais, ainsi que l'ont prétendu certains philosophes contemporains, n'y aurait-il pas plutôt opposition entre l'une et l'autre? I.

Y a-t-il perfectionnement? P lusieurs arguments paraissent militer en faveur de la première interprétation. A .

— La connaissance vulgaire est essentiellement utilitaire; sa curiosité ne va guère au-delà des besoins pratiques.

Or l'histoire de la science nous montre que celle-ci est née aussi de ces besoins pratiques et qu'à ses origines elle se confondait avec la technique.

Même aujourd'hui la science conserve des rapports étroits avec cette dernière. B.

— La connaissance vulgaire n'est pas seulement une connaissance « par ouï-dire », constituée de faits particuliers et sans liens.

C 'est aussi, selon l'expression de S P I N O Z A , une connaissance « par expérience vague ».

Or, si vague qu'elle soit, cette expérience ne nous conduit-elle pas à certaines connaissances générales qui sont déjà comme la préfiguration, sur un plan plus empirique, des lois générales que nous apporte la science? C .

— Bien qu'elle soit faite surtout d'éléments sensibles, la connaissance vulgaire comporte une large part d'interprétation.

La perception courante n'implique-t-elle pas déjà toute une construction de l'esprit ? La connaissance vulgaire semble bien ainsi nous mettre sur le chemin des interprétations plus complexes que nous fournira la connaissance scientifique.

Du seul fait qu'elle généralise, elle utilise le concept et l'abstraction : « L a c o n n a i s s a n c e commune, écrit J.

M A R I T A IN, use à chaque instant d'êtres de raison » et ainsi elle nous transfère déjà « du plan de l'existence sensible au plan des objets de pensée », elle « nous introduit dans l'ordre de l'être intelligible ». II.

Y a-t-il opposition? C es arguments ne paraissent cependant pas suffisants et certains philosophes comme G.

BA C H E L A RD se sont plu, au contraire, de nos jours, à opposer les deux types de connaissance. A .

— Il est vrai que la science est née de la technique.

M ais elle en est née moyennant un décalage, un changement d'orientation.

Selon G.

BA C H E L A RD, les préoccupations utilitaires, la « connaissance pragmatique » constituent précisément l'un de c e s e obstacles épistémologiques » que rencontre la science pour se constituer.

O n en arrive à « chercher l'utilité tout humaine, non seulement pour l'avantage positif qu'elle peut procurer, mais comme principe d'explication » (La formation de l'esprit scientifique, p. 92) et l'on tombe ainsi dans toutes sortes d'erreurs.

L e s s a v a n t s affirment souvent aujourd'hui que « ce qui caractérise un travail scientifique, c'est qu'il est destiné à satisfaire une curiosité désintéressée » ( I r è n e J O L I O T -C URIE) et que les préoccupations trop directement pratiques nuisent au progrès de la science. B.

— La connaissance vulgaire généralise, mais elle le fait à tort et à travers. Si l'on peut dire q u e l a s c i e n c e e s t un passage du particulier au général, du moins n'effectue-t-elle c e p a s s a g e que moyennant toutes sortes de précautions qu'ignore la connaissance vulgaire : délimitation précise des concepts et du domaine plutôt « régional » qu'universel, dans lequel s'appliquent les lois. La formule d'A ristote : « Il n'est de science que du général » est d'ailleurs aujourd'hui très contestée et G.

BA C H E L A R D va jusqu'à écrire : « Une connaissance qui n'est pas donnée avec ses conditions de détermination précise n'est pas une connaissance scientifique.

Une connaissance générale est presque fatalement une connaissance vague ». C .

— Enfin il n'est pas grand-chose de commun entre les interprétations toutes spontanées et dénuées d'esprit critique de la connaissance vulgaire, et celles, méthodiques, expérimentalement contrôlées et sans cesse rectifiées, que nous offre la science.

L e s premières sont arbitraires et relèvent davantage des traditions et des préjugés que d'une recherche rationnellement conduite.

Les secondes se démontrent ou se vérifient : « La science, dit BA C H E L A RD, est l'union des travailleurs de la preuve.

» La connaissance vulgaire ne pousse d'ailleurs pas bien loin l'intellectualisation du réel : elle cherche à savoir plutôt qu'à comprendre; elle se contente le plus souvent, comme disait A ristote, de constater « le fait que...

».

La science cherche à expliquer, à systématiser les données sensibles en les ramenant à des rapports intelligibles, de sorte qu'on a pu dire qu'elle était une conceptualisation de la nature.

Elle cherche à définir de façon de plus en plus précise ces concepts, tout en les ajustant de mieux en mieux au réel.

C 'est pourquoi elle est amenée à les refondre sans cesse, ce que ne fait guère la connaissance vulgaire.

«L'esprit scientifique est essentiellement une rectification du savoir...

Scientifiquement, on pense le vrai comme rectification historique d'une longue erreur, on pense l'expérience comme rectification de l'illusion commune et première » (BA C H E L A RD, Nouvel esprit scientifique, p.

173).

La science réagit, en particulier, contre ce qu'on pourrait appeler « l'illusion de simplicité » de la connaissance vulgaire et même de ses propres commencements : aux notions «,simples » du sens commun, elle substitue des notions bien plus complexes.

En ce sens, elle s'oppose à « l'opinion »; car l'opinion ne pense pas vraiment : « Il faut d'abord la détruire; elle est le premier obstacle à surmonter » (BA C H E L A RD). Conclusion.

Faut-il conclure cependant qu'il existe une opposition radicale entre les deux types de connaissance? Il est parfaitement vrai qu'il existe un « décalage » lorsqu'on passe de l'une à l'autre.

Mais de tels « décalages sont la loi de toute pensée : on les retrouve dans le passage de la pensée de l'enfant à celle de l'adulte, de la « pensée de rêve » à la pensée objective, de l'intelligence pratique à l'intelligence logique, de la croyance spontanée à l'attitude critique, de la pensée associative â la prise de conscience des rapports.

Le caractère dialectique que G.

BA C H E L A RD attribue à la connaissance scientifique est, en réalité, un caractère général de la connaissance dans son ensemble.

Il est seulement plus marqué dans la connaissance scientifique que dans la connaissance vulgaire.. »

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