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La connaissance scientifique est-elle désintéressée ?

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« Analyse du sujet: La connaissance scientifique n'a-t-elle d'autre but qu'elle-même, ou peut-elle être mise au service d'autre chose ? Si oui, de quoi ? Conseils pratiques: Profitons de l'occasion pour rappeler aux élèves qu'un minimum de culture scientifique est indispensable pour traiter de façon satisfaisante ce type de sujet. INTRODUCTION Les acquis scientifiques paraissent souvent incontestables au point qu'on ne se pose même pas la question de savoir s'ils peuvent correspondre à un intérêt (autre qu'intellectuel).

Mais le coût de plus en plus élevé de la recherche scientifique peut d'autre part amener à penser que, d'une façon ou d'une autre, cette recherche doit être rentabilisée.

Une telle contradiction oblige à se demander si la connaissance scientifique peut être désintéressée. I.

D'OÙ VIENT CETTE RÉPUTATION? — De la tradition grecque (aristotélicienne) de la théoria: contemplation du vrai qui satisfait le pur intellect, sans souci aucun d'utilisation de la connaissance. A) 1. Technique et science dans la philosophie grecque. La pensée technique à l'époque d'Homère. Comme le montre Jean-Pierre Vernant dans « Mythe et pensée chez les Grecs », entre le VIIième et le Vième siècle avant Jésus-Christ, dans la Grèce, le terme de « teknè » désigne tout aussi bien le savoir-faire approprié et spécifique des charpentiers, des métallurgistes, des tisserands que les magies de Hephaistos ou les sortilèges de Protée : « Entre la réussite technique et l'exploit magique la différence n'est pas encore marquée.

Les secrets de métier, les tours de main du spécialiste rentrent dans le même type d'activité et mettent en jeu la même forme d'intelligence, la même métis, que l'art du devin, les ruses du sorcier, la science des philtres et des enchantements de la magicienne.

» Cette confusion entre la maîtrise artisanale et les recettes magiques dura jusqu'à l'époque classique. 2. Technique & connaissance contemplative chez Platon. Platon oppose la « théôria », connaissannce purement contemplative à la « teknè », savoir-faire lié à la production matérielle.

La technique (ou l'art) opère sur les réalité mouvantes du monde sensible, elle travaille sur une matière informe soit en imitant des modèles idéaux comme le démiurge ou Dieu créateur qui, dans le « Timée », crée l'univers en se réglant sur la connaissance des « Idées », soit en tâchant de produire ce qui n'existe pas dans la nature.

La technique ou l'art concerne donc la production et se définit comme création : « Ce qui, pour quoi que ce soit, est cause de son passage de la non-existence à l'existence, est, dans tous les cas, une création ; en sorte que toutes les opérations qui sont du domaine des arts sont des créations, et que sont créateurs tous les ouvriers de ces opérations » (Platon, « Le Banquet »). C'est pourquoi, pour Platon , les artisans sont tous poètes.

En effet, « Poésie » signifie étymologiquement en grec « faire » et faire consiste essentiellement à faire être ce qui n'était pas, cad à créer.

Si la technique (ou l'art) est création, elle porte donc sur le contingent, cad sur ce qui peut aussi bien être que n'être pas.

C'est en cela que la technique s'oppose à la science.

Cette dernière, en effet, porte sur des essences idéales éternelles, immuables, nécessaires.

Elle est donc « du nécessaire », cad de ce qui ne peut pas être autrement qu'il n'est. Ces essences ou Idées existent dans un monde suprasensible et ne sauraient être au pouvoir de notre action.

Elles ne peuvent qu'être l'objet d'une activité contemplative.

L'opposition de la science à la technique est donc celle de la « contemplation » à l' « action » ou encore de la « théorie » à la « pratique ».

A l'époque de Platon, la technique est en plein essor et se libère du magique et du religieux.

L'artisan forme une « catégorie sociale particulière », étrangère au domaine de la politique comme à celui de la religion : « L'activité artisanale répond à une exigence de pure économie.

L'artisan est au service d'autrui.

Travaillant pour vendre le produit qu'il a fabriqué –en vue de l'argent-, il se situe dans l'Etat au niveau de la fonction économique de l'échange.

» (Vernant). Platon reconnaît la fonction sociale de la technique, mais il ne lui accorde aucune valeur humaine.

Il ne loue, dit Vernant, « ni la tension du travail comme effort humain d'un type particulier, ni l'artifice technique comme invention intelligente, ni la pensée technique dans son rôle formateur de la raison.

» Bien au contraire, il considère la technique comme une occupation servile qui ne peut que détourner celui qui s'y adonne de la véritable intelligence des choses. Cette dévalorisation de la production matérielle et de la technique se manifeste clairement dans la « République », lorsque Platon construit la Cité parfaite.

Le principe qui fonde une telle Cité est la justice.

Or, celle-ci consiste en une hiérarchie s'ordonnant selon les degrés même du savoir.

Ainsi, les philosophes doivent gouverner la Cité parce qu'ils possèdent le vrai savoir, la connaissance suprême du Bien par une pure intellection (« noêsis »).

Ils incarnent la science contemplative, et la sagesse, vertu suprême, est leur apanage.

Ils sont la tête de la Cité.

En dessous de ces chefs, doivent se situer les guerriers ou gardiens de la Cité.

Ils possèdent en propre la pensée raisonnante ou discursive (« dianoia »).

Le courage est leur vertu.

Ils constituent l'armature de l'Etat, son coeur.

Tout en bas, au champ ou à l'atelier, doivent se trouver les simples citoyens, la masse des producteurs.

Leur connaissance est de l'ordre de la foi et de l'opinion.

Ils sont le ventre de la Cité. On le voit, pour Platon, les artisans, les producteurs se situent tout en bas de la hiérarchie.

Bien plus, contrairement aux deux autres classes de la Cité, ils ne possèdent aucune vertu propre, pas même celle de travail.

Si Platon refuse de leur accorder une vertu positive, c'est bien parce qu'à ses yeux, la technique n'a aucune valeur humaine. 3. Technique & sciences théorétiques chez Aristote. Dans sa « Métaphysique », Aristote distingue trois types de « sciences » : les sciences « théorétiques », les sciences « pratiques » et les sciences « poétiques ».

Les premières (théologie, physique, mathématiques) sont pure contemplation ; les secondes (éthique, politique) ont trait à l'activité humaine dans la mesure où les causes sont inhérentes à l'homme et ont pour but la perfection de l'agent ; les troisièmes concernent toute production d'objets externes à l'homme.

La technique relève de ces dernières. La technique est donc définie par Aristote comme science poétique, cad science de la production.

Elle se propose la réalisation d'une oeuvre extérieure à l'homme.

Elle s'oppose à la science théorétique qui est l'étude, la contemplation de la vérité, la science en acte, la spéculation désintéressée, indépendante de toute fin utilitaire ou morale. Pour Aristote, le domaine de la production matérielle et de la technique est réservé aux esclaves.

Ces derniers sont une propriété instrumentale du maître.

Or, il y a deux sortes d'instruments : l'inanimé, l'outil, et l'animé, l'esclave.

L'esclave est préférable jusqu'à un certain point à l'outil inanimé, car en l'absence de véritable « esclave mécanique », il faut nécessairement passer par l'outil libre.

De plus, au travail de l'outil inerte qui renvoie l'homme à autre chose que lui-même, il faut préférer l' « action », cad l'usage de la vie qui ne renvoie l'homme qu'à lui-même.

Mais les esclaves sont semblables aux outils inanimés dans la mesure où ils agissent sans savoir ce qu'ils font, « à la façon dont le feu brûle ».

La seule différence, c'est que les outils inanimés accomplissent chacune de leurs fonctions par une tendance naturelle, tandis que les esclaves le font par habitude. Ainsi, pour Aristote, la théorie comme « connaissance des causes » s'oppose à la technique qui ne requiert que la pure et simple habileté pratique acquise par habitude. — Une telle conception correspond à une division du travail assez particulière, dans laquelle ce qui relève de l'application technique renvoie à un univers artisanal de pur façonnage. — Cette opposition (entre savoir et faire) se maintient en gros durant le Moyen Âge. — Mais on doit constater que les fondateurs de la science, au sens moderne, en soulignent immédiatement la portée et l'impact sur le réel ou l'intérêt qu'elle peut offrir pour la société: savoir pour pouvoir» (Bacon), se rendre comme maître et possesseur de la nature » (Descartes). « Sitôt que j'ai eu acquis quelques notions générales touchant la physique, et que commençant à les éprouver en diverses difficultés particulières, j'ai remarqué jusque elles diffèrent des principes dont on s'est servi jusqu'à présent, j'ai cru que je ne pouvais les tenir cachées sans pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer, au tous les hommes.

Car elles m'ont fait voir qu'il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie, et qu'au lieu de cette philosophie spéculative, qu' trouver une pratique, par laquelle connaissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de désirer pour l'invention d'une infinité d'artifices, qui feraient qu'on jouirait, sans aucune peine, des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s'y trouvent, mais principa santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie.

» Même position ultérieurement chez Comte.

Au xviiie siècle s'affirme déjà (dans l'Encyclopédie) un rapprochement social entre «arts libéraux » et «arts mécaniques », qui montre que la connaissance scientifique commence à être conçue dans un réseau de relations supposant que certains intérêts s'y affirment. II.

LA SCIENCE ET SES APPLICATIONS — On distingue traditionnellement la science (pure connaissance) de la technique qui serait chargée de ses applications.

Mais une telle distinction apparaît de plus en plus illusoire, et l'on parle aujourd'hui, en conséquence, de la constitution d'un univers techno-scientifique. — La connaissance scientifique, dans la réalité de son travail de recherche, doit son existence beaucoup plus à son efficience qu'à une vérité définie par la conformité à son objet (cf.

Lyotard). — Cette efficience, ou ce caractère opérationnel, se déploie dans un contexte historique particulier: les applications de la connaissance sont immédiates — et de plus en plus orientées (notamment par les besoins militaires).

Ainsi un pays «sous-développé» comme l'Inde consacre-t-il une part beaucoup plus importante de son budget à la recherche militairement applicable qu'à la recherche agronomique qui permettrait pourtant de résoudre éventuellement les problèmes de malnutrition de sa population. — La recherche scientifique (institutions, laboratoires, centres de recherche, etc.) est toujours située dans un contexte national, c'est-à-dire politique: outre la réputation qu'apportent à une nation ses découvertes scientifiques (on classe aussi les pays selon le nombre de leurs Prix Nobel...), elles lui apportent de surcroît une forme de pouvoir. SECONDE CORRECTION Introduction: La recherche de l'intérêt et la connaissance scientifique seraient-ils si liés pour que nous en arrivions à nous poser cette question ? Habituellement, pourtant (au moins depuis Thalès et sa chute dans le puits) nous ne considérons pas les savants comme des personnes qui se soucient particulièrement de l'intérêt qu'ils peuvent tirer de leurs connaissances.

Ou du moins, nous faut-il revenir sur la notion d'intérêt.

Celle-ci peut se référer à l'utilité.

Se soucier de l'utilité comme d'un critère primordial consisterait alors à se demander comment utiliser la connaissance scientifique avant même de l'établir.

A l'inverse, une connaissance dans le seul intérêt de connaître serait plutôt désintéressée, ou n'aurait comme intérêt que de connaître pour connaître.

Il est alors primordial de se demander dans quelle mesure la science peut-elle avoir un rapport à l'utile ? Si ce n'est pas le cas dans la considération de ses objets, peut-être en est-il autrement dans l'application des connaissances auxquelles elle nous donne accès. I/ La connaissance n'a d'autre but que de connaître. Comment caractériser la connaissance scientifique ? En cherchant à connaître le réel et à distinguer le vrai des apparences, il semble qu'elle doive aller à l'encontre de la valeur que nous accordons le plus souvent à ses objets d'étude.

Ainsi consiste-t-elle d'abord et avant tout en un détachement de la compréhension commune et répandue.

Or, cette compréhension commune que nous avons des objets qui nous entourent n'est-elle pas avant tout une compréhension intéressée ? En effet, la façon commune dont nous considérons une pierre, une rivière, un marteau, un arbre…est toujours dans un rapport d'utilité.

Comment puis-je utiliser cette pierre, cet arbre…pour une quelconque intention ou un projet.

Heidegger a d'ailleurs rétabli cette compréhension première en redéfinissant l'homme comme « être-au-monde ».

Il entend par là que l'homme n'est pas une substance isolable du monde qui l'entoure et que sa première approche, sa première compréhension, des objets qui l'entourent se rapporte d'abord à lui-même et à l'utilité que ces choses peuvent avoir pour lui.

A l'inverse, la science cherche à atteindre l'objet qu'elle conçoit de façon détachée de tout intérêt de la sorte.

Ce qui lui importe est de trouver les lois qui expliquent ce qu'il y a d'observable, dans le seul intérêt de connaître son objet.

Le rapport à l'utile est donc ici aboli : la. »

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