Aide en Philo

Dire à chacun sa vérité a-t-il encore un sens ?

Extrait du document

« Notre sujet nous interroge sur la vérité et le problème qu'il y a à penser, en deçà de la vérité qui mettrait tout le monde d'accord, les points de vue, les opinions, etc.

qui semblent si diverses et tellement variées, que la vérité elle-même ne serait du coup plus pensable.

Cependant, notre libellé nous interroge d'une manière spécifique en nous demandant si dire « À chacun sa vérité » possède encore un sens.

En effet, si la vérité se définit d'abord comme la saisie objective des choses, dire qu'elle est multiple, n'est-ce pas se contredire ? Dès lors, n'est-il pas aberrant, c'est-à-dire absurde et contradictoire, de dire « À chacun sa vérité » ? Pour répondre, nous devons impérativement commencer par nous interroger sur la nature de la vérité. I – L'universalité de la vérité De nos jours, nous nous trouvons confrontés à la difficulté de déterminer la nature de la vérité.

En effet, les régimes politiques modernes se fondent sur le pouvoir du peuple et un ensemble de libertés telles que chacun peut exprimer son opinion sur n'importe quel sujet.

Cependant, le principe de la démocratie n'est pas « Le peuple a toujours raison », mais « On ne peut avoir raison contre le peuple ».

Cela signifie que le régime de l'opinion, associé à la démocratie moderne, ne doit pas nous faire sombrer dans le relativisme. Pour commencer, nous devons distinguer un problème politique – le fait que chacun puisse émettre son opinion – d'un problème épistémologique, c'est-à-dire qui concerne la nature de la connaissance.

Ainsi, comment le problème épistémologique de la connaissance se formule-t-il ? Dire « À chacun sa vérité » revient à dire que chacun, quant à ce qu'il dit, est dans le vrai.

Cela signifie que les vérités les plus contradictoires sont équivalentes. Or, si deux personnes observent une chose blanche, l'une et l'autre ont bien le droit de dire qu'elles la voient blanche ou noire, mais celle qui la dira noire aura tort et énoncera quelque chose de faux.

Dire « À chacun sa vérité » n'a donc pas de sens, car en disant cela on nie le concept de vérité lui-même. Dans le Théétète, Platon fait un pas supplémentaire en montrant que ce genre d'assertion se contredit, en posant à la fois la relativité de la vérité et son universalité.

En effet, celui qui soutient que toutes les opinions sont vraies accorde à celui qui ne le pense pas que ce dernier a raison.

Dès lors, cet accord est le signe que la vérité n'est pas réductible à l'opinion. Reprenons notre exemple : si A dit « blanche » la chose blanche qu'il voit, il estime dire la vérité.

À l'inverse, si B dit qu'elle est « noire » et estime que chacun possède sa vérité, alors il convient que A dit vrai, tandis que A tient pour faux ce que dit B.

Dès lors, la phrase « À chacun sa vérité » n'est plus uniquement contradictoire, mais elle prouve en plus que la vérité n'est pas relative. Le sophiste Protagoras, écrit Diogène Laerce « fut le premier qui déclara que sur toute chose on pouvait faire deux discours exactement contraires, et il usa de cette méthode ». Selon Protagoras, « l'homme est la mesure de toute chose : de celles qui sont en tant qu'elles sont, de celles qui ne sont pas en tant qu'elles ne sont pas » Comment doit-on comprendre cette affirmation ? Non pas, semble-t-il, par référence à un sujet humain universel, semblable en un sens au sujet cartésien ou kantien, mais dans le sens individuel du mot homme, « ce qui revient à dire que ce qui paraît à chacun est la réalité même » (Aristote, « Métaphysique », k,6) ou encore que « telles m'apparaissent à moi les choses en chaque cas, telles elles existent pour moi ; telles elles t'apparaissent à toi, telles pour toi elles existent » (Platon, « Théétète », 152,a). Peut-on soutenir une telle thèse, qui revient à dire que tout est vrai ? Affirmer l'égale vérité des opinions individuelles portant sur un même objet et ce malgré leur diversité, revient à poser que « la même chose peut, à la fois, être et n'être pas » (Aristote).

C'est donc contredire le fondement même de toute pensée logique : le principe de non-contradiction., selon lequel « il est impossible que le même attribut appartienne et n'appartienne pas en même temps, au même sujet et sous le même rapport ».

Or, un tel principe en ce qu'il est premier est inconditionné et donc non démontrable.

En effet, d'une part, s'il était démontrable, il dépendrait d'un autre principe, mais un tel principe supposerait implicitement le rejet du principe contraire et se fonderait alors sur la conséquence qu'il était sensé démontrer ; on se livrerait donc à une pétition de principe ; et d'autre part, réclamer la démonstration de toute chose, et donc de ce principe aussi, c'est faire preuve d'une « grossière ignorance », puisqu'alors « on irait à l'infini, de telle sorte que, même ainsi, il n'y aurait pas démonstration ».

C'est dire qu' « il est absolument impossible de tout démontrer », et c ‘est dire aussi qu'on ne peut opposer, à ceux qui nient le principe de contradiction, une démonstration qui le fonderait, au sens fort du terme. Mais si une telle démonstration est exclue, on peut cependant « établir par réfutation l'impossibilité que la même chose soit et ne soit pas, pourvu que l'adversaire dise seulement quelque chose ».

Le point de départ, c'est donc le langage, en tant qu'il est porteur d'une signification déterminée pour celui qui parle et pour son interlocuteur.

Or, précisément, affirmer l'identique vérité de propositions contradictoires, c'est renoncer au langage.

Si dire « ceci est blanc », alors « blanc » ne signifie plus rien de déterminé.

Le négateur du principe de contradiction semble parler, mais e fait il « ne dit pas ce qu'il dit » et de ce fait ruine « tout échange de pensée entre les hommes, et, en vérité, avec soi-même ».

En niant ce principe, il nie corrélativement sa propre négation ; il rend identiques non pas seulement les opposés, mais toutes choses, et les sons qu'il émet, n'ayant plus de sens définis, ne sont que des bruits.

« Un tel homme, en tant que tel, est dès lors semblable à un végétal." Si la négation du principe de contradiction ruine la possibilité de toute communication par le langage, elle détruit aussi corrélativement la stabilité des choses, des êtres singuliers.

Si le blanc est aussi non-blanc, l'homme non-. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles