La représentation stéréotypée de la femme mauricienne dans Le sari vert d’Ananda Devi : entre réalité et fiction.
Publié le 25/04/2023
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La représentation stéréotypée de la femme mauricienne dans Le sari vert
d’Ananda Devi : entre réalité et fiction.
Chapitre 2 : L’image féminine dans Le sari vert ou une conception dénuée de
réalité ?
Parler de la femme dans la littérature mauricienne a toujours été un thème qui suscite à la
fois conflits, passions et fascination parmi les auteurs mauriciens.
Pourtant à la différence
d’autres thèmes la « femme » ne saurait être considérée uniquement comme un objet ou un
concept.
Ainsi, là résiderait l’explication de ce mythe de la femme dit traditionnelle où elle
incarne l’objet de plaisir, l’esclave du patriarcat où encore la soumise, qui irritent et dérange tant
les penseurs féministes.
L’île Maurice est restée le thème central dans toute l’écriture d’Ananda
Devi.
En effet, l’unité thématique du travail de la romancière se base sur un style largement
poétique qui dépeint une société mauricienne faite de mythes et de réalités.
Nous faisant voyager
à travers les mythes et les légendes de l’île, l’auteure nous fait découvrir les destins des femmes
qui virent souvent au cauchemar.
Avec des mots cinglants, elle dresse le constat selon lequel la
place de la femme dans la société est une des plus désolantes : « cette vie sans vivre, c'est à cela
qu'elles sont destinées » (Ananda Devi, 2001, p.101), « race peu glorieuse » (Ananda Devi, 2009,
p.179), « les femmes enchaînées, les femmes prisonnières ».
(Ananda Devi, 1993, p.88)
À en croire notre auteure, plutôt que de progresser, la condition féminine régresse au fil des
années.
Or, Bruno Cunniah (2010, p.2) ne serait guère du même avis.
S’interrogeant sur la réalité
sexuelle à l’île Maurice, ce dernier souligne que :
L’île Maurice vit une grande période de redéfinition des rapports sociaux et de nouveau
brassage des relations entre les sexes.
Depuis quelques années déjà, les observateurs ont
remarqué qu’une vague de changements déferlait sur la société mauricienne, et cela à
tous les niveaux.
Ainsi, désormais émancipées au seuil du XXIe siècle, la femme interroge et s’interroge dans son
cheminement.
Plus que jamais, elle dévoile le souhait de s’échapper de sa condition inférieure et
de s’élever moralement.
De plus, avec la scolarisation qui permet à la femme d’accéder à des
emplois et les contraintes économiques dans cette société moderne qui exigent que les deux
conjoints contribuent au revenu de la famille, la femme s’engage dans cette société patriarcale et
défie l’autorité tyrannique.
Des véritables rebelles dans l’âme, les femmes sont nombreuses à
lutter pour un statu quo, tant il demeure difficile dans notre société de concilier les traditionnelles
fonctions de mère et d’épouse et des responsabilités professionnelles identiques à l’homme.
D’ailleurs, l’inégalité des charges domestiques se double d’une inégalité de traitement au travail,
où la différence de salaire dérange.
Pour reprendre les mots de Jeanne Arouff (1994, p.21), la
femme est :
Cette moitié de la population mondiale qui, par un hasard génétique, accomplit dans le
monde des deux tiers du travail, perçoit un dixième de ses revenus et possède pas moins
d’un centième de ses biens.
Dans cette optique, émancipée mais pas encore libérée, la femme revendique toujours sa place
dans cette société hautement dominée par l’homme.
Mais pourrons-nous autant dire qu’elle est la
soumise et l’esclave du patriarcat comme nous la dessine Ananda Devi dans Le sari vert? N’estce pas une vision excessive et décidément trop sombre que nous dépeint Ananda Devi ? La
condition de la femme s’avère-t-elle être aussi pénible en ce XXIe siècle ?
2.1 La stagnation des portraits féminins dans Le sari vert
Le roman Le sari vert, tout en décrivant la beauté et la féminité de la Mauricienne met en
exergue la déstabilisante situation de la femme.
Compte tenu de l’importance que revêt la vache
dans la société hindoue, Ananda Devi choisit de mettre en scène dans Le sari vert l’image de la
vache aux pattes coupées à qui on empêche ainsi d’aller de l’avant afin de dépeindre de façon
symbolique la condition de la femme à Maurice.
Ce roman qui semble constituer un
prolongement des ouvrages précédents de l’auteure dans lesquels les personnages féminins
soulignent la souffrance qui gangrène l’existence de la femme reste avant tout, diront certains, un
véritable plaidoyer en faveur de la femme mauricienne.
Nous entraînant sur les pas de Kitty, de
sa mère et de sa fille Malika, l’écrivaine fait valoir un discours véritablement engagé où elle se
fait porte-parole de ces femmes exclues, opprimées et sans voix.
Cependant, l’image sombre de
la femme que nous renvoie le roman apparaît quelque stéréotypé.
En effet, l’idéologie qui
entoure l’image de la Mauricienne semble être pratiquement la même des origines de la
littérature mauricienne à nos jours.
Ainsi, les images féminines se trouvent assaillis par une sorte
de code qui caractérise les portraits, formant par conséquent un système où la femme ne peut être
autrement représentée qu’en terme d’objet sexuel, de maternité, de soumission entre autres.
Dès
lors, nous pouvons constater qu’Ananda Devi reprenne et perpétue une idéologie similaire que
résume très justement l’expression inventée par Arthur Martial « poupée de chair ».
Conditionné par les faits socio-historiques de l’île, Arthur Martial écrit en 1933, La
poupée de chair (1933).
Ce roman, dont le titre met en juxtaposition deux mots véhiculant des
sens contraires, puisque la poupée est inerte, relate et résume de façon très réaliste les
vicissitudes et les griefs de la Mauricienne d’autrefois.
L’auteur, s’inspirant de son vécu souligne
que la femme n’est qu’un simple jouet aux yeux de l’homme.
Le mot poupée, qui au niveau
dénotatif réfère concrètement à cette figure humaine qui jadis servait de jouet aux petites filles
démontre clairement la condition féminine à cette époque.
Cependant, étalant son analyse sur la
condition féminine dans une île Maurice coloniale, Arthur Martial vient dire que la femme est
cette poupée dotée de vie qui sert à plaire aux hommes.
D’ailleurs, « Selon vous, une Liloa n’est
qu’un jouet ? Mon dieu Moreau, oui, une poupée, une jolie poupée » (Martial, 2002, p.34) en
serait un aveu de taille de la part de Monsieur Jean, malgré d’autres références dans le récit
comme : « Mais une poupée de chair, Mariette, une poupée qui a une âme, comme vous, comme
d’Avesnes, comme moi » (Martial, 2002, p.34) qui vient consolider l’idée que pour l’homme, la
femme n’est qu’un objet de plaisir pour l’homme.
S’inscrivant dans la même veine des années plus tard, tout comme Arthur Martial, Ananda Devi
souligne le fait que pour l’homme, les femmes sont « des poupées de chiffon contorsionnées
selon [leurs] besoins.
» (Ananda Devi, 2009, p.21) En outre, d’autres références telles que « un
corps de femme est faite pour être troué et troublé et tourmenté […] » (Ananda Devi, 2009,
p.179) viendront qu’accentuer quelques lignes plus tard l’idée de la femme objet.
De plus, nous
constatons également que le mot « poupée » revient à chaque description de l’épouse du docteur,
morte dans des circonstances mystérieuses : « voilà ce que c’est que d’épouser une femme trop
belle […], une poupée » (Ananda Devi, 2009, p.30), « C’était terrible pour moi de donner des
coups dans ce corps inerte, cette poupée de chiffon enveloppée de son sari […] » (Ananda Devi,
2009, p.147) Par ailleurs, nous soulignons aussi que toute au long du roman, l’auteure ne se sert
d’aucun artifice pour camoufler le pouvoir hautement excessif du docteur envers les personnages
féminins :
J’ai besoin de les choquer l’une contre l’autre, sinon ce ne sera pas amusant du tout.
J’ouvre un œil.
Elles se figent.
La couleur déguerpit du visage de Kitty.
Formidable
pouvoir que j’ai sur elle.
(Ananda Devi, 2009, p.17)
Ainsi, sans ambages l’auteure s’enferme dans cette représentation stéréotypée de la femme en
tant que sujette du patriarcat.
Or, nous nous demandons si l’écriture ‘anadienne’ qui jadis
constituer un espoir pour femme car elle témoigne toute en dénonçant l’injustice faite aux
femmes n’est pas qu’une simple continuation dans l’évocation de cette image ancienne de la
Mauricienne.
D’emblée, existerait-il un écart grandissant entre la réalité et la représentation de la
femme dans la littérature ? Sommes-nous sujet à une stagnation idéologique en ce qui concerne
la femme et sa représentation ? Autant sont les questions dont les réponses viendront sans doute
consolider cette perpétuation séculaire de l’image dit traditionnelle de la Mauricienne.
2.1.1 La description féminine et l’utilisation systématique des clichés
Parallèlement à notre analyse qui révèle une stagnation idéologique en matière de
représentation de la femme où dette dernière incarne la « race peu glorieuse »1, nous pouvons
justement parler de cliché tant l’image de la femme demeure être pratiquement inchangée dans
l’œuvre d’Ananda Devi.
Or qu’est-ce que qu’un cliché ? Dans un essai intitulé La valeur
littéraire, Claude Lafarge (cité par Boolell, Bruno Cunniah, 2000, p.219) définit le cliché en ces
termes :
[…] cliché : le mot désigne une régularité contingente (sa récurrence n’est pas
systématique), arbitrairement défini par l’autoperpétuation, investi en outre d’une valeur
esthétique (de la croyance, en cette valeur), […]
1
Dès lors, dira certes l’observateur....
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