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Une science qui s'arrêterait dans un système resterait stationnaire et s'isolerait, car la systématisation est un véritable enkystement scientifique, et toute partie enkystée dans un organisme cesse de participer à la vie générale de cet organisme. Les s

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A une science dirigée par la seule raison, fondée — par exemple chez Descartes — sur un postulat métaphysique, et qui reléguait l'expérience dans un rôle servile, succéda, au XIXe siècle, une autre science, utilisant certes toujours la raison, mais fondée sur les phénomènes observables — science dont Claude Bernard se fit le champion après en avoir défini la méthode. Grâce à cette méthode, la science devait échapper à toute systématisation, en quoi le grand biologiste voyait « un véritable enkystement scientifique ». « Les systèmes tendent [...] à asservir l'esprit humain, soutenait-il, et la seule utilité que l'on puisse [...] leur trouver, c'est de susciter des combats qui les détruisent en agitant et en excitant la vitalité de la science ». Claude Bernard ne se montrait-il pas trop sévère pour la systématisation en la réduisant à ce rôle de ferment de discorde? Ne pourrait-on soutenir qu'elle est aussi nécessaire à l'édification et à l'organisation de la science que l'observation et l'expérimentation elles-mêmes?

« Une science qui s'arrêterait dans un système resterait stationnaire et s'isolerait, car la systématisation est un véritable enkystement scientifique, et toute partie enkystée dans un organisme cesse de participer à la vie générale de cet organisme.

Les systèmes tendent donc à asservir l'esprit humain, et la seule utilité que l'on puisse, selon moi, leur trouver, c'est de susciter des combats qui les détruisent en agitant et en excitant la vitalité de la science.

Claude Bernard.

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Vous appuierez votre développement sur un certain nombre d'exemples empruntés à l'évolution des sciences. A une science dirigée par la seule raison, fondée — par exemple chez Descartes — sur un postulat métaphysique, et qui reléguait l'expérience dans un rôle servile, succéda, au XIXe siècle, une autre science, utilisant certes toujours la raison, mais fondée sur les phénomènes observables — science dont Claude Bernard se fit le champion après en avoir défini la méthode.

Grâce à cette méthode, la science devait échapper à toute systématisation, en quoi le grand biologiste voyait « un véritable enkystement scientifique ».

« Les systèmes tendent [...] à asservir l'esprit humain, soutenait-il, et la seule utilité que l'on puisse [...] leur trouver, c'est de susciter des combats qui les détruisent en agitant et en excitant la vitalité de la science ».

Claude Bernard ne se montrait-il pas trop sévère pour la systématisation en la réduisant à ce rôle de ferment de discorde? Ne pourrait-on soutenir qu'elle est aussi nécessaire à l'édification et à l'organisation de la science que l'observation et l'expérimentation elles-mêmes? Le point de départ dès sciences de la nature est évidemment l'observation du monde par nos sens et les instruments qui les prolongent; mais Pascal a observé que nos sens « nous jouent à l'envi ».

Une faculté est donc nécessaire pour décider de la fausseté ou de la vérité de nos perceptions; une faculté qui me fait dire, lorsque je plonge partiellement un bâton dans l'eau : Je vois ce bâton brisé mais, en fait, ce n'est qu'une illusion.

Au toucher, je constate, en effet, qu'il est resté droit ; or, un bâton ne saurait être à la fois brisé et non brisé, A est A et ne peut être non A.

C'est le principe d'identité, cher à ma raison, qui me fait rejeter ma perception visuelle comme non valable. Mais, si les sens seuls ne peuvent nous procurer une véritable connaissance, la raison réduite à elle-même ne se montrerait-elle pas aussi infirme? On sait à quelles absurdités furent conduits les physiciens qui, jusqu'à Pascal, se soumettaient à ce vieux dogme scientifique : la nature a horreur du vide.

Cependant, si, me refusant à formuler un système prématuré, j'attends d'avoir fait choir tous les corps pour affirmer : « Tous les corps tombent », jamais la science ne pourra s'édifier.

On voit donc déjà qu'elle ne peut s'appuyer ni sur la seule sensation, ni sur la seule raison. Si nous suivons scrupuleusement la méthode expérimentale, nous enregistrerons et nous étudierons le plus de faits possibles, puis nous formulerons une hypothèse et, lui donnant une expression plus rigoureuse, une expression mathématique, nous en ferons une loi.

Posée comme un principe scientifique, cette loi sera telle que l'on puisse en déduire logiquement les faits expérimentaux dont on est parti, mais telle aussi qu'on puisse prévoir d'autres faits analogues, que nous pourrons constater au cours d'une vérification par les sens.

Un ensemble de lois de cette espèce nous satisferait-il au sens absolu du terme? Il ne serait encore que le fondement de la science.

Si l'on s'arrête là, on n'a pas une vue bien large sur la nature dans le temps et dans l'espace.

Les lois qui découlent immédiatement de l'expérience n'intéressent en effet qu'un domaine restreint du monde, observé dans des conditions physiques particulières.

Citons comme exemple la loi de dilatation linéaire : la longueur d'une règle à X degrés est donnée, à partir de sa longueur à 0°, par la relation : l = l o (1 + kt) — l o + ktl o.

Que nous apprend cette loi? qu'une règle s'allonge d'autant plus qu'elle était plus longue au départ et qu'on la chauffe plus.

Nous ne savons rien de nouveau.

Certes, l'expression mathématique a apporté de la rigueur, mais cette rigueur vient précisément de ce qu'on définit la température par une dilatation : la température est un nombre tel qu'il vérifie la loi de dilatation.

Ainsi, une telle loi n'est ni explicative ni, semble-t-il, féconde.

Constituée de lois semblables, les seules qu'on puisse affirmer à partir de l'expérience, la science ne serait finalement qu'une façon claire et précise de dire ce que tout le monde savait déjà.

Or, elle ne saurait se contenter d'être « un langage bien fait »; elle ne peut pas être qu'une description de phénomènes; pour répondre au vœu humain fondamental, elle doit être explicative. Et comment dépasser les premiers principes déduits de l'expérience, sillon en les réunissant d'une façon logique, en les faisant dépendre les uns des autres, selon une sorte d e nécessité? Utilisant comme matière première ce que lui donne directement la méthode expérimentale, le vrai savant oublie parfois volontairement la nature et, ne se référant qu'à sa raison et à son imagination, fait œuvre de créateur, bâtit une théorie qui organise les premiers principes découverts.

Le couronnement de la science, ce qui fait le grand savant, c'est l'édification d'un système.

Qu'importe s'il ne répond pas à l'absolue vérité : sa valeur se mesure à l'ampleur des phénomènes qu'il explique.

On a pu dire : « Cet homme de peu d'esprit, regardant dans sa lunette, peut apercevoir une chose ou un phénomène qui mette Newton au supplice; mais Newton a, malgré tout, découvert la gravitation universelle.

» Ainsi, la création de systèmes permet de dépasser le stade d'une description pure et simple des phénomènes naturels et de satisfaire, plus ou moins complètement, le désir de monisme qui a conduit et continue de conduire tant d'hommes vers Dieu, et qui, d'autre part, conduisit les physiciens à l'idée de proton : étymologiquement, ce qui existe avant tout, ce qui est à la base de tout. Mais, s'il faut que la science s'organise en systèmes, Il faut aussi qu'elle ne s'en satisfasse jamais, qu'elle n'entoure point tel ou tel système d'une vénération religieuse comme on le fit pour la théorie de la génération spontanée lorsque Pasteur eut commencé de la combattre. Une grande théorie n'est vraie que « dans l'ensemble », « en général », et l'on découvre toujours des faits expérimentaux qui viennent la contredire : la fumée qui monte ne contraria-t-elle pas les premiers auteurs du principe de la chute des corps? Mais la contradiction ne dure pas longtemps car la théorie mise en échec devient le point de départ de nouvelles recherches et suscite le progrès scientifique.

On va bâtir, en effet, une nouvelle théorie expliquant à la fois ce qu'expliquait l'ancienne mais aussi les phénomènes contre lesquels elle a buté.

Presque jamais, d'ailleurs, la nouvelle ne ridiculise l'ancienne, comme semble l'affirmer Claude Bernard.

Disons plutôt qu'elle la retient comme une parcelle de vérité dans un ensemble plus vaste, qu'elle explique les postulats d'où la précédente était partie, en posant des postulats plus généraux. Ainsi, en groupant sous une même cause (la gravitation), les lois de la chute des corps et des mouvements célestes, Newton créa une mécanique expliquant une foule de phénomènes.

Mais les études expérimentales menèrent peu à peu à la connaissance de phénomènes jusqu'alors ignorés comme la diffraction, l'interférence, la relativité mise en relief par l'expérience de Michelson, phénomènes inexplicables par la théorie newtonienne.

Il fallut donc créer, à travers des polémiques violentes, une nouvelle théorie expliquant ce qu'expliquait déjà la gravitation, mais aussi les phénomènes nouvellement observés.

Et la théorie de Newton se trouva non point remplacée, mais contenue dans la théorie de la relativité; la gravitation universelle apparaissant comme une modification particulière de l'espace physique considéré par la relativité. Claude Bernard avait donc raison d'affirmer qu' « une science qui s'arrêterait dans un système resterait stationnaire et s'isolerait ».

Mais, d'autre part, nous devons reconnaître que ce qui fait l'essentiel d'une science c'est l'organisation systématique des lois trouvées expérimentalement, en une théorie féconde; féconde parce qu'elle suscite des « combats » et engendre le progrès.

Si elle détruisait la théorie précédente, le progrès serait discutable puisqu'un sceptique pourrait n'y voir que le remplacement d'une erreur démodée par une erreur à la mode.

Mais, en général, elle ne ridiculise pas la théorie précédente, elle l'intègre dans un ensemble plus vaste, plus subtil : l'histoire des théories de la lumière au XIXe et au XXe siècle est là pour nous en assurer.

Malgré les apparences, ce n'est pas p a r mutations brusques que la science progresse, mais par évolution.

Si elle ne s'enkyste jamais dans ses systèmes, elle s'en débarrasse rarement d'une manière absolue; elle conserve ainsi, avec sa valeur momentanée dans le contexte historique, sa constante vitalité.. »

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