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Suis-je en position de passivité face à l'expérience ?

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« L'expression « faire une expérience » nous indique que le sujet de l'expérience est un sujet actif, une expérience se fait, s'entreprend, s'inaugure, bref, elle est essentiellement suspendue à une décision du sujet.

Je ne suis donc pas tant face à une expérience que je n'en suis l'auteur, en ce sens, l'expérience n'est pas quelque chose que je reçois du dehors, mais ce qui émane de moi.

Or, nous verrons qu'il n'est pas évident de souscrire à une telle position, loin que l'expérience soit une production du sujet, nous verrons que c'est peut-être davantage le sujet qui est une production de sa propre expérience.

Autrement dit, l'expérience ne prendrait tout son sens que si l'on conteste l'idée d'un sujet de part en part maître de lui-même. I- Faire une expérience : le sujet agissant. Comme nous l'avons dit en introduction, l'expérience n'est pas une entité en face de moi, elle ne me préexiste pas, au contraire, je suis l'auteur de ma propre expérience.

Par exemple, dans l'expérience de la maladie, je ne suis pas, contrairement aux apparences, un sujet passif, qui reçoit du dehors une entité existant en soi, la maladie.

Comme l'écrit Canguilhem dans Le Normal et le pathologique, le patient « fait sa maladie » ; en dépit de ce que suggère l'expression « tomber malade », être malade, ce n'est pas être l'agent passif d'une maladie, c'est-à-dire être « un cas parmi d'autres de cette maladie ». Etre malade, c'est « faire sa maladie », en ce sens que ma façon d'être malade est singulière.

Comme le souligne Canguilhem, chaque homme réagit d'une manière inédite et imprévisible à une pathologie.

La maladie n'est pas une expérience générique mais privé et singulière.

Nous ne sommes pas tous égaux devant une pathologie, même si celle-ci possède des caractéristiques générales et immuables, elle prend suivant chacun une allure originale.

En tant que malade, je suis irréductible à une généralité.

Quoiqu'il adopte souvent une attitude positiviste, Claude Bernard recommandait à ses élèves la fréquentation des hôpitaux, parce que la pathologie n'a de sens que dans une perspective clinique.

Le laboratoire ne doit pas se substituer à l'apprentissage concret des pathologies, mais seulement le seconder. En choisissant le cas de la maladie, nous avons concédé un maximum de crédit à la thèse d'une passivité du sujet face à l'expérience.

En effet, suivant le sens commun, le sujet malade est passif, dominé par sa maladie.

Si cette position reflète une vérité : la diminution des capacités et de l'autonomie du sujet ; elle nous voile néanmoins l'essentiel, à savoir que le sujet demeure en réalité un centre actif.

Une expérience peut être pénible, diminuante, subie, il n'en reste pas moins que le sujet y réagit toujours d'une façon particulière, en ce sens il s'approprie l'expérience qu'il subit et demeure en cela essentiellement actif. II- L'expérience comme transformation du sujet. Toutefois, si certaines expériences peuvent se révéler neutres, mécaniques, bref, sans conséquences, il arrive que l'expérience soit en même temps un événement.

Autrement dit, l'expérience peut être corrélative d'un changement dans la vie du sujet, et conséquemment, d'un changement du sujet lui-même.

Pensons à l'expérience de la maladie, à l'expérience de la paternité ou de la maternité, ou encore à une expérience esthétique.

Par exemple celle que fait Kandinsky lorsque, voyant une de ses toiles renversée, a soudain la révélation de ce que l'objet n'est pas une dimension essentielle du tableau ; suite à cette révélation, l'art abstrait peut commencer. Le sujet s'approprie son expérience : il n'y a d'expérience que d'un sujet et jamais d'expérience en soi.

Mais, cette vérité que nous avons découverte dans la première partie, ne contredit pas le fait que cette expérience puisse aussi transformer le sujet qui la fait.

Tout se passe comme si le partage du sujet et de l'objet pouvait être contesté depuis une réflexion sur l'expérience, puisque, être le sujet d'une expérience c'est indissociablement être l'objet de celle-ci. En effet, loin de dominer l'expérience, celle-ci peut me modifier, m'anéantir ou me faire renaître.

Loin d'être un objet, une production que le sujet domine, l'expérience peut être une expérience existentielle, c'est-à-dire qu'elle peut bouleverser mon identité. Or, cette transformation du sujet, comment la thématiser si l'on demeure tributaire de l'idée d'un sujet essentiellement actif et maître de lui-même ? Le fait même de pouvoir changer ne relève pas d'une décision du sujet : je ne décide pas de faire une expérience existentielle, celle-ci s'impose à moi. III- Le sujet, en position de passivité dans l'expérience. Il faut se défaire de l'idée d'après laquelle la passivité est emprunte de négativité, il faut souligner le fait que la possibilité même de changer nécessite la passivité du sujet.

Le verbe « se transformer » est à la fois juste et trompeur : juste, parce qu'il indique que, dans la transformation, il en va de moi-même comme un autre, et faux, parce que le pronom réfléchi laisse penser que le sujet décide et maîtrise sa propre transformation. En réalité l'expérience qui transforme le sujet l'affecte comme sujet passif, et en même temps, lui permet d'évoluer, de devenir.

Etre passif ce n'est donc pas, contrairement à ce que l'opinion pense, stagner dans l'existence ; c'est au contraire seulement depuis ma passivité fondamentale que va pouvoir s'enraciner ma propre évolution.

C'est en ce sens que Deleuze défend l'idée suivant laquelle créer c'est toujours se créer en même temps : en agissant je me transforme moi-même, je suis à la fois actif, en tant que mon expérience est marquée du sceau de ma singularité, et passif, en tant que celle-ci m'affecte en retour. Dire que je suis en position de passivité dans l'expérience, c'est reconnaître que je ne peux moi-même régler à l'envie mon propre devenir.

C'est reconnaître que je peux être dépassé et affecté par mes propres expériences.

Autrement dit, défendre l'idée d'un sujet unilatéralement actif dans l'expérience qu'il fait, c'est s'empêcher de comprendre comment celle-ci peut l'affecter en retour.

Un homme peut ainsi être l'acteur d'un crime, et l'agent passif de cette expérience dès lors qu'il va éprouver du remords. Conclusion : S'il faut admettre que je suis passif dans l'expérience, c'est seulement au prix de certaines précisions : cette passivité est à comprendre comme un effet rétroactif de mon expérience sur moi-même.

Elle n'empêche pas de penser que je suis également sujet actif de cette expérience, ainsi que l'analyse de la maladie nous l'a appris.

Il faut donc conjuguer le passif et l'actif pour parvenir à penser le sujet de l'expérience.

Je peux avoir une expérience : par exemple je fais un cauchemar, et en ce sens j'en suis l'acteur, de même que cette expérience peut m'avoir, et me transformer en sujet passif, par exemple en m'empêchant de retrouver le sommeil.. »

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