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Reconnaître la différence est-ce l'accepter ?

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« Le verbe « reconnaître » a deux sens principaux : par reconnaître, nous voulons dire que nous découvrons qu'une chose est déjà connue de nous, que nous la déterminons comme une chose que nous avons déjà rencontrée ; mais reconnaître, c'est aussi admettre quelque chose, comme vrai, réel, ou légitime. Nous distinguerons dans ce travail entre le premier type de reconnaissance, nommée « reconnaissance spéculaire » ; et le second, que nous qualifierons de « reconnaissance par jugement ». La différence n'est pas un caractère propre d'une chose, mais toujours un caractère relatif : elle est ce qui distingue un objet d'un autre, la caractéristique qui fait d'elle un individu dissemblable d'un autre individu.

On peut parler de différence ethnique, religieuse et culturelle, notamment, pour préciser un peu ce que signifie la différence entre les hommes. Accepter la différence revient à incarner une attitude d'ouverture à l'altérité, par laquelle ce qui nous est étranger n'est pas considéré avec hostilité mais au contraire avec un esprit de tolérance.

Accepter la différence signifie donc entretenir un rapport de respect vis-à-vis de ce qui se distingue de nous même, d'une part, mais aussi faire en sorte que cette différence puisse s'exprimer en toute liberté.

Accepter la différence ne désigne donc pas seulement une attitude réceptive, d'ouverture à l'altérité, mais aussi une attitude active, permettant l'épanouissement de la différence. A première vue, « reconnaître » et « accepter » la différence parait désigner la même chose.

Mais nous nous demanderons si les différentes acceptions du verbe reconnaître ne compliquent pas l'identification de cet acte avec le geste qui consiste à accepter la différence. I. La reconnaissance spéculaire de la différence n'est pas son acceptation a. Reconnaître la différence comme sa propre singularité Dans un premier temps, nous soutiendrons que reconnaître la différence n'est pas l'accepter.

En effet, reconnaître la différence d'autrui peut signifier que nous entretenons un rapport spéculaire avec elle : je reconnais la différence d'autrui en me reconnaissant en elle, je la reconnais, au sens où la différence m'est déjà connue.

Or, loin d'être une acceptation de la différence, une telle reconnaissance peut au contraire mener à un rejet complet de celle-ci.

Pensons à un nouveau converti qui reconnaitrait la différence religieuse d'autrui, comme différence qui l'a auparavant caractérisée (la religion de l'autre était jadis la sienne) : l'intolérance la plus absolue peut être sa seule réponse à la différence, étant acquis que les nouveaux prosélytes sont souvent les plus zélés. b. Reconnaître la différence comme différence Nous postulerons ici qu'il n'y a pas de véritable acceptation de la différence lorsque nous nous reconnaissons en elle.

En effet, accepter la différence c'est l'accepter comme telle, comme différence, en tant qu'elle incarne une altérité fondamentale par rapport à ce que nous sommes, et non parce que nous nous reconnaissons peu ou prou en elle.

Pensons à l'exemple d'un ethnologue qui n'accepterait la différence (sociale, religieuse, culturelle…) d'une société dite « primitive » qu'à la seule condition de reconnaître en elle ce qu'elle a de commun avec la société dont lui-même est issu : il manquerait l'objet même de la démarche ethnologique- la compréhension de la singularité de la société étrangère – pour faire preuve du plus complet ethnocentrisme. II. La reconnaissance comme jugement est la condition nécessaire de l'acceptation de la différence a. L'ethnologie et la reconnaissance de la différence, préalable à son exaltation Cependant, si nous n'entendons plus le verbe « reconnaître » dans le sens spéculaire qu'il peut avoir, pour le comprendre comme l'action de considérer quelque chose, de lui accorder de la reconnaissance, c'est à dire, de l'estime et du crédit, alors nous dirons que la reconnaissance est indispensable à l'acceptation de la différence.

Reprenons l'exemple de l'ethnologie, discipline dont l'objet est précisément de produire un discours sur la différence.

Voici un extrait de « La mentalité primitive » (1922) de Lévy Bruhl : « Attachons-nous sans idée préconçue à l'étude objective de la mentalité primitive, telle qu'elle se manifeste dans les institutions des sociétés inférieures ou dans leurs représentations collectives.

Dès lors, l'activité mentale des primitifs ne sera plus interprétée d'avance comme une forme rudimentaire de la notre, comme infantile, ou presque pathologique.

Elle apparaîtra au contraire comme normale dans les conditions où elle s'exerce ». Cet extrait montre qu'il faut commencer par reconnaître la différence, cesser de la considérer comme une manifestation d'intrinsèque infériorité, si nous voulons parvenir à l'accepter. b. La reconnaissance de la différence ne s'identifie pas à son acceptation Néanmoins, reconnaître et accepter n'est pas tout à fait la même chose, la première action est plutôt la condition nécessaire que l'analogue de la seconde. En effet, il y a de la passivité dans la reconnaissance, il s'agit de lui accorder du crédit, de l'estimer, de la considérer, et non d'agir en sa faveur.

Or, accepter la différence, nous le verrons dans la suite de ce travail, implique au contraire de dépasser le stade de la pure reconnaissance, et de passer à celui de la mise en œuvre d'actions pratiques pour que la différence puisse s'épanouir comme telle. III. a. L'acceptation de la différence implique une attitude active et non uniquement réceptive Accepter la différence : lui donner les moyens de s'épanouir comme différence Nous tenterons de montrer ici qu'accepter la différence, ce n'est pas uniquement la reconnaître, mais agir en sa faveur.

Prenons l'exemple de la révolution française : celle-ci ne s'est pas tenue à reconnaître la différence des confessions juives et protestantes dans un état à l'écrasante majorité catholique : elle a accordé aux juifs et aux protestants les droits civiques dont ils étaient frustrés ainsi que la liberté de célébrer leur culte.

Par conséquent, nous dirons que reconnaître la différence est un préalable à son acceptation, qui se marque quant à elle par l'action en faveur de la différence. b. Accepter la différence : nier la notion même de différence ? Enfin, nous nous demanderons si accepter la différence au sens le plus fort de ce mot ne revient pas à nier la notion même de différence plutôt qu'à la reconnaître.

En effet, là où quelqu'un se présente toujours à moi comme différent (il est « un asiatique », « un juif », « un animiste », « un homosexuel »…) quand bien même je lui reconnais le droit d'être différent, et lui permets d'agir conformément à ce qu'implique sa différence (manger d'une certaine manière, aller à la synagogue…) il n'en demeure pas moins qu'il se manifeste à moi comme un être distinct de celui que je suis, comme un « autre » plutôt que comme un « semblable ».

Dans une certaine mesure, le degré ultime d'acceptation de la différence est de cesser de considérer l'autre comme un être différent et de lui dire ce que disait Baudelaire à son lecteur dans le poème liminaire des Fleurs du Mal : « mon semblable, mon frère ». Conclusion : A première vue, reconnaître la différence peut être quelque chose de tout à fait distinct par rapport à « accepter » la différence : si je me reconnais dans la différence d'autrui, je cesse de la percevoir comme telle.

Mais reconnaître la différence, c'est aussi l'estimer, lui accorder de la considération, geste préalable et nécessaire à l'acceptation de la différence – quoique distinct de celle-ci.

En définitive, reconnaître la différence n'est pas l'accepter, car accepter la différence d'autrui peut apparaître comme le geste par lequel nous considérons son altérité comme contingente et ne voyons en lui que notre semblable.. »

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