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Qu'est-ce que conduire par ordre ses pensées ?

Extrait du document

« A.

— Forme de l'énoncé. Il est impossible d'ignorer que la formule de cet énoncé est empruntée à DESCARTES.

« Conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu et comme par degrés jusqu'à la connaissance des plus composés, et supposant même de l'ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres », tel est le troisième précepte du Discours de la Méthode. Toutefois nous tâcherons, en traitant ce sujet, non de feindre une ignorance qui ne serait pas vraisemblable, mais de ne pas entreprendre un exposé de la méthode de DESCARTES, de ne pas même nous y référer systématiquement.

Il faut, sous notre seule responsabilité, donner un sens à cet énoncé. La forme dans laquelle il est présenté appelle une définition ; mais ce qu'il s'agit de définir c'est l'expression « conduire par ordre ses pensées » prise comme un tout ; et ce n'est pas en juxtaposant trois définitions (celles des mots conduire, ordre, pensée) que nous y parviendrons.

Ce sont néanmoins ces trois définitions qui nous serviront de moyen de contrôle pour ne pas risquer de nous méprendre, ou plutôt pour être sûrs de ne rien oublier. B.

— Discussion. La formule de l'énoncé « conduire par ordre ses pensées » comporte implicitement les assertations suivantes : 1° Pour que je puisse conduire une pensée, il faut que la pensée, par sa nature même, constitue une sorte de mouvement, de marche, de progression. 2° Il faut que, dans certains cas au moins, j'aie le pouvoir de diriger moi-même mes pensées, tandis que, dans d'autres, elles suivent d'elles-mêmes leur « cours ». 3° Lorsque je conduis moi-même mes pensées, je puis soit les conduire sans ordre, soit les conduire par ordre. 1.

— On admet volontiers que nos pensées se suivent; en un sens, il ne saurait en être autrement; l'homme qui pense est un homme qui vit, donc qui existe dans le temps; toutes ses pensées, tous ses actes, forment inévitablement une succession. Toutefois, cette succession pourrait être interprétée comme l'apparition successive de pensées différentes, comme celles qui se présentent dans notre esprit lorsque nous regardons le spectacle qui se déroule devant la vitre d'un wagon, lorsque nous lisons un roman ou entendons une oeuvre musicale.

Il ne s'agit là que d'une succession accidentelle, étrangère au contenu même de nos pensées, celle que l'on disait jadis régie par les lois de l'« association des idées ». Il est bien plus important de considérer, non plus l'ordre successif d'une pluralité de pensées différentes, mais la formation progressive d'une même pensée.

Résoudre un problème, approfondir une réflexion, soutenir une méditation, cela suppose un même objet présent à notre esprit et la progression d'une même pensée qui se précise, s'enrichit, se dépasse elle-même par une sorte de travail intérieur.

Cela est si vrai que l'on peut distinguer deux sortes de pensées, parmi les plus réfléchies, les plus personnelles, les plus fortes dont nous soyons capables, les pensées en progression que nous venons d'évoquer, et les pensées instantanées, sans durée, comme celle qui se manifeste dans l'acte de comprendre. Comprendre, c'est saisir une proposition comme intelligible, en apercevoir le sens; c'est ce qui se passe quand nous suivons un raisonnement géométrique par exemple; chaque passage d'une proposition à une autre, qui nous est présenté comme une simple succession, doit, pour que nous comprenions, nous apparaître comme nécessaire (c'està-dire que le nier serait admettre quelque chose de contradictoire); nous avons en ce cas l'expérience d'une sorte d'illumination soudaine, et éphémère, car on peut avoir compris un instant et ne plus retrouver cette illumination, qui n'est qu'un éclair (on l'appelle aussi intuition).

C'est l'instant où nous pouvons dire : « je comprends », « j'ai saisi », ou « eurêka ». Tenons-nous en par conséquent aux pensées qui constituent une progression, sans oublier qu'il en est d'autres, tout aussi dignes du nom de « pensées », mais qu'il ne saurait être question de conduire. 2.

— Il est clair tout d'abord que des pensées peuvent surgir dans notre esprit sans que nous les ayons conduites ni cherchées : celles, on l'a vu, qui nous sont suggérées par un spectacle, une lecture, une conversation, celles aussi qui sont amenées par l'association des idées, dans la rêverie, dans la distraction.

On ne sait d'ailleurs pas toujours distinguer les idées évoquées par des excitations venues du dehors de celles qui procèdent d'une idée déjà présente à l'esprit : il arrive par exemple qu'on écoute de la musique distraitement et qu'on se laisse aller à rêver; comment savoir si les pensées qui traversent alors notre esprit sont provoquées par les sons musicaux ou procèdent d'un déroulement « intérieur »? Peu importe, du reste; il est bien clair que les unes comme les autres doivent être écartées de notre recherche.

C'est par opposition à ce « cours naturel » de nos pensées, que nous devons définir leur « conduite par ordre ».. »

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