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l'objectivité scientifique implique t-elle la neutralité ?

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« ANALYSE D'UN RAPPORT ENTRE DEUX NOTIONS • Remarques préliminaires d'ordre méthodologique. — L'analyse d'un rapport entre deux notions est proposée ici d'une façon particulière : il s'agit d'examiner l'existence éventuelle d'un lien d'implication entre l'une et l'autre.

L'élucidation de ce que recouvre en l'occurrence l'idée même d'implication s'accompagnera d'un effort pour ressaisir ce qui conduit à un tel rapprochement : les représentations habituelles de l'objectivité et de s e s conditions de possibilité, mais a u s s i la nature même des exigences de l'objectivité dans les différents domaines où la notion prend un sens.

L'étude des notions et de leurs rapports sera donc effectuée dans une perspective particulière.

La définition de l'objectivité comporte-t-elle, comme détermination essentielle et nécessaire, la neutralité ? — Une définition succincte des trois termes objectivité, neutralité, et implication, constituera le préalable à la réflexion, mais ne pourra tenir lieu de réflexion d'ensemble sur le sujet, qu'il s'agit d'appréhender comme un tout. • Définitions (explicitées par quelques éléments de réflexion). — L'objectivité. Dans son sens courant, l'objectivité caractérise ce qui est admis par tous, ce sur quoi les esprits peuvent se mettre d'accord.

Et ceci, indépendamment de tout jugement de valeur, de toute préférence particulière.

La singularité d'un individu (sa « subjectivité », sa situation spécifique) ou les intérêts propres à un groupe (social, économique) font obstacle à une telle objectivité dans la mesure où ils déterminent des idées « partisanes ».

En fait, le critère du « consensus » universel n'est pleinement satisfaisant que s'il concerne une position rationnelle, engageant des esprits libres de toute pression ou de tout conditionnement idéologique plus ou moins conscient.

D e c e point de vue, l'illusion idéologique, multiforme dans l'histoire humaine, peut fort bien caractériser toute une communauté et condamner ceux qui recherchent la vérité à la solitude (cf.

Galilée, Darwin et quelques autres). Dans sa réappropriation philosophique, la notion d'objectivité est redéfinie en fonction des ambiguïtés du sens courant : est objectif ce qui existe hors de notre esprit (cf.

le sens du mot objet), et indépendamment de l'approche qu'en a le sujet ; une telle « indépendance » fonde la possibilité d'un accord universel d è s l o r s qu'il s'agit de reconnaître des données « extérieures », objectives, et qu'une telle reconnaissance suppose seulement un acte de jugement rationnel où les données singulières ou subjectives (propres à chaque individu) ne sont pas mobilisées.

On oppose alors ce qui est valable pour tout esprit au caractère singulier et contingent d'une pure représentation, dont les données sont passagères et fluctuantes.

Bien sûr, une telle redéfinition de l'objectivité en signale ipso facto le caractère problématique dans l'expérience humaine : il s'agit plutôt d'un idéal à atteindre que d'une réalité effective. L'avènement mouvementé des sciences en porte témoignage.

Les obstacles à l'objectivité, à la découverte des vérités scientifiques, méritent une analyse différenciée selon les domaines.

(C onnaître l'objet tel qu'il est en lui-même, d a n s s e s structures et s e s l o i s constitutives, est la finalité propre de la démarche scientifique. Sur le plan épistémologique, l'objectivité désignera donc le caractère d'une démarche de connaissance qui, pour s'affirmer, doit s'affranchir des limitations sensibles, des a priori subjectifs, voire des conditionnements idéologiques qui constituent autant d'obstacles (cf.

sur ce point les analyses de Bachelard, qui affirme même que l'objectivité scientifique se construit contre l'objet, c'est-à-dire contre les représentations immédiates, dans ce qu'elles ont de mutilé et de trompeur). A Dans un sens dérivé, plus ou moins proche du sens courant évoqué plus haut, et inspiré de certaines exigences de l'objectivité scientifique, l'objectivité désigne une qualité d'honnêteté, de rigueur morale et intellectuelle, d'impartialité, qui caractérise un récit, une relation de faits, voire un essai d'explication. O n parle de l'objectivité de l'historien, du journaliste, mais aussi de l'objectivité d'un commentateur sportif. La dissociation explicite entre la simple information et l'appréciation plus ou moins subjective qui lui est mêlée semble en être une des conditions élémentaires. — La neutralité. Du latin neuter (« ni l'un ni l'autre »).

La notion de neutralité prend son sens dans le cadre d'un rapport entre deux termes.

Est neutre un pays qui ne prend pas part à un conflit, s'abstient d'en modifier les conditions ou le déroulement en choisissant un camp, ou en l'avantageant d'une façon ou d'une autre.

Est neutre un arbitre qui ne favorise pas une équipe au détriment de l'autre, etc. Deux sens particuliers au mot peuvent intéresser la réflexion : en mathématiques, l'addition et la multiplication, par exemple, admettent respectivement pour élément neutre 0 et 1 (est neutre, en ce sens, le chiffre qui ne modifie pas un nombre donné au départ) ; en chimie, on dira, par exemple, que le sérum physiologique est neutre dans la mesure où il n'a aucun effet chimique particulier. — L'implication. Du latin implicare (« envelopper »).

L'implication est essentiellement un terme logique, par lequel on désigne le fait qu'une proposition en enveloppe une autre, en appelle une autre.

C ette relation peut porter sur des idées : admettre une idée, c'est, nécessairement, admettre l'idée qu'elle contient.

Le terme « conséquence » peut être utilisé ici, à condition qu'on lève l'ambiguïté qu'il comporte dans son utilisation courante, puisqu'il désigne tantôt l'effet nécessaire d'une cause déterminée (la fièvre conséquence d'une infection), tantôt l'implication logique définie plus haut.

A insi, le cogito cartésien (« Je pense donc je suis ») énonce-t-il une implication : pour penser, il faut nécessairement être ; je ne peux donc admettre une idée sans admettre l'autre. • Interprétation globale de l'énoncé. — Se demander si l'objectivité implique la neutralité, c'est donc envisager la définition même de l'objectivité, et se demander si la neutralité en constitue une détermination essentielle.

Une telle interrogation reste abstraite tant qu'on ne l'effectue pas dans les différents domaines où la notion d'objectivité prend un sens particulier.

O n s'attachera donc à mettre en oeuvre la question dans ces domaines — et à réfléchir sur la signification spécifique qu'elle y prend. — Q uelques domaines où la question est particulièrement sensible. L'histoire.

O n parle souvent du « parti-pris » d'un historien, voire de ses sympathies ou de ses préférences partisanes.

A insi, par exemple, la Révolution française peut faire l'objet d'explications très différentes selon les points de vue adoptés (bourgeois, marxiste, etc.). A L'économie.

On évoque souvent le point de vue de classe particulier d'un économiste, ou d'un homme d'état, et le rôle qu'il peut jouer à la fois dans les théories économiques et dans les politiques menées.

L'idée même d'objectivité en économie garde-t-elle un sens dès lors que les intérêts des uns et des autres les conduisent à valoriser une théorie indépendamment de sa teneur réelle ? La psychologie.

L'homme, à la fois observé et observateur, peut-il réellement accéder à l'objectivité ? Ne doit-il pas prendre la mesure de ce que lui-même, plus ou moins consciemment, investit de sa personnalité e t d e s e s préférences dans l'objet qu'il étudie ? (cf.

les difficultés du transfert et du contretransfert en psychanalyse, et aussi la ténacité de l'ethnocentrisme en ethnologie). — Un problème stratégique : la véritable objectivité consiste-t-elle à être neutre, ou à prendre conscience des raisons qui déterminent un point de vue particulier ? O n pourra reprendre pour étudier ce problème les principales acceptions de la notion d'objectivité, telles qu'elles ont été explicitées plus haut, et les mettre à l'épreuve d'exemples concrets. — Q uelques références... M arx, L'Idéologie allemande ; P réface du C apital.

A nalyse du rôle des déterminations idéologiques dans le difficile avènement d'un point de vue scientifique sur l'économie capitaliste. Sartre, L'existentialisme est un humanisme (Nagel).

A nalyse du problème de Y engagement et de la partie des projets par lesquels les hommes se définissent. Bachelard, La formation de l'esprit scientifique (V rin).

Réflexion sur les obstacles épistémologiques que constituent les projections affectives inconscientes, les représentations immédiates.. »

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