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L'objectivité est-elle donnée dans l'expérience sensible ou résulte-t-elle des progrès de la recherche scientifique ?

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« Si l'on dit d'un jugement qu'il est objectif, c'est qu'il ne dépend pas de celui qui l'a énoncé, qu'il n'est pas subjectif. Au contraire, vaut pour tout sujet, n'est pas relatif à eux, et ce qu'il énonce peut être attribué à l'objet du jugement et non à son sujet d'énonciation.

Ainsi on dira qu'une pomme est objectivement lourde ou composée de pépins, et que ce n'est que subjectivement, selon les goûts de chacun, qu'elle est bonne ou mauvaise.

Mais si l'objectivité désigne ainsi ce qui appartient réellement aux objets du monde qui nous entoure, il semble que la seule manière d'y avoir accès est de passer par l'expérience sensible.

En effet, celle-ci représente apparemment la seule source de connaissance sur ce qui nous entoure, sur le monde réel dans lequel nous sommes plongés.

Sans la vue ni le toucher ni le goût, nous ne saurions jamais ce qu'est une pomme ni un corps en général : c'est dans l'expérience sensible que semble donnée l'objectivité, le travail de la science étant de trier et d'ordonner les renseignements qu'elle fournit. Mais on parle ici de recherche scientifique en progrès.

Cela suppose une certaine évolution des sciences, c'est-àdire des ensembles théoriques qui décrivent le monde réel avec des lois universelles liant entre eux les phénomènes. Or, dans cette évolution, ces renseignements apparemment objectifs que donne l'expérience sensibles sont souvent remis en cause.

Si pendant longtemps on s'est fondé sur ce qui semblait objectif dans notre vision de la Terre, c'est-à-dire son immobilité, l'astronomie a, avec Copernic et Galilée, pour des raisons théoriques de simplicité de description des mouvements astraux, considéré que cette immobilité n'était qu'un effet de notre subjectivité : nous voyons la Terre immobile parce que nous sommes emportés par son mouvement, mais elle est en réalité en orbite autour du Soleil.

Le principe de relativité du mouvement énoncé par Galilée a ainsi déplacé la frontière entre objectivité et la subjectivité.

Il semblerait alors que l'objectivité soit désignée par la propre dynamique des sciences, et donc soit quelque chose de construit par la recherche, un effet de l'activité scientifique. Néanmoins, lorsque Copernic et Galilée déplacent le centre de l'Univers pour des raisons de simplicité des théories, ils ne s'en appuient pas moins sur l'expérience sensible que l'on fait des astres, et prétendent découvrir et non inventer leur objet (l'organisation du système solaire).

Ce problème, qui relève de la philosophie des sciences et de la connaissance, est donc de savoir en quelle mesure l'objectivité nécessaire à tout discours scientifique lui est donnée et en quelle mesure elle la construit : la recherche scientifique révèle-t-elle ses objets à partir de cette source objective de connaissances qu'est l'expérience sensible ou les produit-elle par sa propre activité ? I./ L'expérience sensible comme regula prima des objets. A./ Il est clair que nos sens nous fournissent des informations qui ne sont relatives qu'à nous, et que notre expérience sensible est subjective.

La perspective, l'angle sous lequel nous regardons un objet dépend de notre position dans l'espace, que personne d'autre que nous ne peut occuper.

La question est de savoir si dans cette expérience subjective certaines choses sont données qui sont objectives, qui appartiennent réellement à l'objet dont on fait l'expérience, et vaudrait pour d'autres sujets que nous.

Or la notion même d' « objet » est donnée par l'expérience sensible : sans elle nous ne serions jamais mis en contact qu'avec nous-mêmes.

En outre, lorsque nous percevons un objet comme jaune, nous pouvons nous tromper sur le fait qu'il est comme tel (peut-être avons nous une jaunisse qui perturbe notre perception des couleurs) mais du moins sommes nous sûrs que nous le percevons comme tel. B./ L'expérience sensible fournit donc une double assurance : 1.) elle nous met bien en contact avec des objets extérieurs à nous ; 2.) nous éprouvons bien les choses d'une certaine manière que nous sommes sûrs de ressentir. De sorte que nous utilisons, dans la vie quotidienne du moins, les sens comme critères du vrai et du faux : si l'on me dit quelque chose d'incroyable je réclame par exemple de le voir ou de le toucher pour le croire.

La sensibilité est ainsi la première source de connaissance et de certitude, et c'est pour cela que Lucrèce, disciple d'Epicure, en fait au livre IV de son De la Nature la « regula prima », la règle étalon, de toute vérité : « les sens formèrent les premiers la notion de vérité […] Car il faut reconnaître comme plus digne de foi ce qui peut de soi-même réfuter le faux par le vrai.

» En effet, pour l'hypothèse atomiste selon laquelle tout est assemblage de corpuscules, la perception correspond à la rencontre entre nos organes perceptifs et des « simulacres », des effluves ou émanations d'atomes très subtils provenant des autres corps que nous percevons.

Toute perception est donc fondée dans la réalité des choses-mêmes et est objective, en tant qu'elle est causée et déterminée par l'objet même, via ces simulacres.

« Ainsi toute raison qui naîtrait de sensations mensongères serait mensongère et viciée » : sans objectivité de l'expérience sensible, la raison ne saurait la produire elle-même par son activité théorique ou scientifique, mais construit ses systèmes théoriques sur cette objectivité déjà donnée. C./ Mais alors, comment expliquer les erreurs et illusions qui interviennent dans l'expérience sensible, si toute perception est fondamentalement objective ? Pourquoi une tour me paraît ronde de loin alors qu'elle est en réalité cubique ? C'est parce que les simulacres qu'elle émane ont changé de figure durant leur trajet jusqu'à mon œil. L'erreur ne réside pas dans ma perception mais dans le jugement que je fais qui juge la tour réelle comme la tour perçue : elle relève donc de ce qu'Epicure nommait une prolepsis, une anticipation de la raison.

Ce sont les sens qui vont à nouveau rectifier cette erreur de la raison en montrant de près la situation objective de la tour.

Toute objectivité provient donc de l'expérience sensible, c'est l'entendement de celui qui perçoit qui fait en réalité les erreurs attribuées aux sens.

La science, la théorie, vient ordonner l'objectivité délivrée par les sens, mais ne la construit pas. Mais la question se pose alors de savoir si sans ces anticipations de celui qui perçoit nous percevrions quoi que ce soit qui ressemble à un objet.

En effet, si l'on réduit l'expérience sensible aux simples données des sens, nous n'avons que des successions de flashes sensoriels désordonnés, et nous ne faisons pas l'expérience d'un monde stable et constitué par une somme d'objets.

Bien loin d'être des sources d'erreurs, ces anticipations ne sont-elles pas nécessaires à la présence d'objectivité dans l'expérience sensible ?. »

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