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L'art qui reproduirait la réalité serait-il encore de l'art ?

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« Introduction • Comment, tout d'abord, définir la notion d'art et que faut-il entendre par ce terme ? En sa signification originelle, l'art était proche de la technique et désignait un ensemble de procédés et de moyens permettant d'atteindre certaines fins et certains résultats.

Mais, au sens moderne, l'art est une création de choses belles, de réalités exprimant un idéal de beauté ; il désigne une production de la beauté par les oeuvres d'un être conscient. Qu'est-ce que reproduire ? C'est répéter, rendre fidèlement et donner l'équivalent d'une chose, c'est, également, copier, de telle sorte qu'une réalité déjà produite puisse être et exister de nouveau.

Il y a, dans cette idée de reproduction, le thème d'une imitation fidèle.

Quant à la réalité, elle désigne, dans cet intitulé précis de sujet, ce qui existe, l'existence sensible et objective.

C'est en cette acception que le terme de réalité doit être ici compris • La signification de cet intitulé de sujet est donc la suivante : la production de la beauté par les oeuvres d'un être conscient, lorsqu'elle relève du principe de l'imitation des choses, mérite-t-elle encore le nom d'art ? On notera que la formulation même du sujet (serait-il encore...) conduit à un certain type de réponse, évidemment négative. • Le problème posé dans cet intitulé est celui de la relation de la nature et de l'art, celui de savoir si l'on peut faire de la nature l'idéal de l'art ou si, bien au contraire, cette dernière imite l'art.

Ainsi c'est l'essence même de l'art qui est questionnée dans ce sujet. A) Thèse : l'art qui reproduirait la réalité serait digne de ce nom d'Art et le mériterait pleinement. L'art, disions-nous, représente la production de la Beauté et l'expression d'un idéal de Beauté par les oeuvres d'un être conscient.

Or, à première vue, cette expression de la Beauté semble devoir se conformer — s'il faut en croire le sens commun, mais aussi certains philosophes ou artistes — à la reproduction de la Nature et de la réalité sensible, lesquelles nous offrent la matière d'un premier sentiment esthétique.

Avant toute oeuvre d'art, les réalités naturelles, le coucher de soleil sur la mer, la haie de roses ou le champ de blé, suscitèrent chez l'homme joie ou plaisir ; s'ils produisirent cet effet, ne serait-ce point en raison d'une organisation naturelle des formes et des couleurs, que l'art serait destiné dès lors à imiter et reproduire ? Dans cette perspective, l'art copiant la réalité mériterait pleinement ce nom d'art ; l'art est « réaliste » par essence et par destination. Telle est la thèse du bon sens populaire, selon laquelle l'art a pour mission de reproduire le réel, de refaire ce qui existe déjà dans le monde extérieur.

Mais telle était également l'opinion de Platon, pour qui l'art, copie de copie, reproduit et imite la réalité et mérite encore ce nom d'art, même quand il ne dépasse pas ce stade, dépassement qu'il est, par destination, incapable de réaliser.

Que fait, en effet, l'artiste ? Il se borne à copier la réalité sensible, par exemple, cette table, laquelle n'est qu'une imitation de l'Idée même de table.

La réalisation artistique vient, dans cette perspective, au troisième rang dans l'ordre des réalités : d'abord la pure Essence, intelligible, immatérielle, permanente, soustraite au temps, ne connaissant ni génération ni corruption, modèle intelligible de tout le réel.

Puis la réalité sensible (cette table réalisée et produite par l'artisan, l'objet d'une technique empirique).

Enfin, la manifestation artistique en tant que telle, laquelle imite et reproduit le second niveau de réalité, l'apparence phénoménale.

A la limite, cette démarche atteindrait sa perfection avec la peinture en trompe-l'oeil. Il semble ainsi qu'un certain consensus, un accord entre diverses familles d'esprit, aboutisse à la conception de l'art « réaliste », de l'art-copie, de l'art conçu comme imitation de la nature et des diverses réalités sensibles.

Au nom de quoi, d'ailleurs, pourrait-on déprécier l'art à visée « objective » ou « réaliste » et se demander s'il mérite pleinement le nom d'art ? Considérons le tableau de Van Eyck, le portrait des Arnolftni (1434).

Le peintre nous donne ici à voir un couple de riches bourgeois.

L'époux et l'épouse se tiennent la main au sein des harmonies rouges et brunes.

Un miroir circulaire et bombé reflète une partie de la chambre ainsi que le couple, cet homme et cette femme qui ont engagé leur foi.

Les étoffes et fourrures des vêtements, la noblesse du lit à baldaquin, tout ne renvoie-t-il pas ici à la richesse, mais aussi à l'art de vivre et au raffinement de bourgeois du xve siècle ? Ainsi la question posée semble absurde : l'art donne à voir le réel, il le reproduit en sa vérité radicale et l'on ne voit guère pourquoi il cesserait d'exprimer la beauté lorsqu'il manifeste le monde réel et objectif. Néanmoins l'examen du tableau désigné sous le nom Les époux Arnolfini est susceptible de recevoir une tout autre interprétation.

Il y a bien du mystère en lui, bien autre chose que de l'observation concrète, et c'est ce Mystère qui nous séduit et nous attire dans cette toile.

Le tableau est, en fait, imprégné de surnaturel.

Le miroir circulaire de la chambre nuptiale symbolise, peut-être, tout l'univers.

Ce mystère et ce surnaturel font que ce tableau, apparemment et superficiellement « réaliste », mérite pleinement d'être appelé beau.

Sans ce charme énigmatique, il ne nous ravirait pas et ne nous charmerait pas.

D'ailleurs, les signes étranges prolifèrent dans cette toile.

Ainsi, sur le chandelier à plusieurs branches, brûle une seule chandelle...

le petit chien nous considère curieusement... Certains historiens ou esthéticiens virent même dans le tableau une scène de chiromancie, où l'homme prédit l'avenir à la femme.

Ainsi, rien n'est simple dans le « Portrait des époux Arnolfini» ! Rien n'y est « réaliste » à proprement parler. Dès lors, on peut commencer à mettre en question et à soupçonner la conception imitative de l'art.

Peut-être bien l'art reproduisant fidèlement le réel n'est-il pas vraiment digne du nom d'art.

Dans l'art à son plus haut sommet, la notion même de « copie » disparaît. B) L'art véritable est création d'une réalité spirituelle.

L'art imitatif n'est pas un art véritable. Il faut donc revenir sur le concept d'art.

Production de la Beauté par les oeuvres d'un être conscient, il exprime, essentiellement, l'Esprit, bien davantage que le réel sensible, l'Esprit incarné concrètement qui, ainsi, peut parler à. »

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