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La science fait-elle oublier l'être

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« Commenter et discuter, s'il y a lieu, cette pensée de Heidegger : « La science oublie et fait oublier l'être.

» INTRODUCTION.

- Pour certains savants, les spéculations philosophiques se situent dans les nuages sinon dans le domaine des mots, tandis que leurs propres recherches s'attaquent au réel.

Aussi seraient-ils sans doute bien étonnés par cette réflexion de HEIDEGGER : « La science oublie et fait oublier l'être.

» I.

— EXPLICATION A.

— Les notions de « science » et d' « être ». a) La science.

— Ce mot, qui doit être pris dans son acception usuelle, ne présente pas de difficulté d'interprétation.

« Science » n'est pas ici synonyme de « savoir » ou de « connaissance » : nous savons ou connaissons bien des choses qui restent étrangères au domaine de la science.

Mais il ne s'agit pas non plus des diverses sciences particulières comme les mathématiques ou la chimie : en parlant de « la science », nous faisons abstraction des matières propres aux diverses disciplines scientifiques, .pour ne considérer que leur caractère commun d'être des sciences. Or, comme l'avait déjà dit ARISTOTE, il n'y a pas de science du singulier, il n'y a de science que de l'universel; bien plus, la science achevée ne porte pas sur la réalité contingente, mais sur les types et les lois nécessaires.

C'est la science ainsi comprise, la véritable science, qui oublie et fait oublier l'être. b) L'être.

— Ce mot est beaucoup plus ambigu.

« Être » est en effet un infinitif qui tantôt joue le rôle de copule, comme dans la proposition « le cheval est un mammifère », et tantôt affirme l'existence ou la réalité d'un fait comme lorsque je dis : « Il vaut mieux être que ne pas être.

» Mais ainsi que l'indique l'article, cet infinitif est ici employé substantivement.

Or, le substantif « être » désigne normalement ce qui est.

l'existant ou l' « étant », comme dit HEIDEGGER : d'abord, l'Être ou l'Étant suprême, Dieu; ensuite, les êtres qui participent en lui, les créatures. Remarquons-le toutefois, la formule à expliquer ne dit pas : « les êtres », ni l' « Être », c'est-à-dire Dieu, mais a l'être ».

Le sens de ce singulier nous apparaîtra facilement dans ce contexte : « Dieu nous a donné l'être »; c'est-àdire, il nous a donné d'être ou d'exister. B.

— Le sens de l'affirmation. Après ces précisions, il est assez facile de comprendre ce qu'a voulu dire HEIDEGGER dans cette phrase à première vue surprenante : « La science oublie et fait oublier l'être. Nous pourrions d'abord comprendre qu'il s'agit de l'être réel, que l'anthropologie, par exemple, fait oublier l'homme, que l'entomologie fait oublier l'insecte, etc.

La science, en effet, étudie bien des différentes espèces d'êtres : des minéraux, des végétaux, des animaux; dans le règne animal, des arthropodes, des vertébrés, des poissons, la carpe et le brochet, etc.: mais elle s'en tient aux espèces et ne s'occupe pas des individus, faisant abstraction des caractères particuliers qui distinguent les uns des autres les individus d'une même espèce Or, il n'y a que les individus à exister.

Les propriétés caractéristiques de l'espèce, de la famille ou de la race n'existent pas séparément, si ce n'est dans les descriptions des naturalistes.

En d'autres termes, la science n'a pour objet que les types généraux des êtres, non les êtres réels eux-mêmes; elle se confine dans le domaine des essences, oubliant ce qui existe, les existants ou les « étants ». Nous avons là le fondement essentiel de la philosophie nominaliste qui ne reconnaît pas la valeur de la science.

Or, ce n'est pas la valeur de la science qu'HEIDEGGER a en vue.

Son ambition est de restaurer une véritable ontologie à laquelle il donne pour objet, non pas les différents types d'êtres ou d' « étants » (entia), ni même l'idée d'être en général obtenue par abstraction des propriétés communes à tout ce qui est (l'ens commune des scolastiques), mais le fait ou l'acte d'être, ou, comme il dit l' a être des étants », leur esse.

Dans la formule que nous expliquons, « être », tout en étant employé substantivement, conserve son sens d'infinitif.

Aussi serait-il préférable de traduire : La science fait oublier l'exister. Nous disons « l'exister » plutôt que « l'existence », car « existence », est, lui aussi, un terme abstrait et général, et par là même risque de nous faire oublier l'être (l'esse), toujours concret et singulier.

L'existence nous apparaît statique, comme l'essence, alors que esse ou exister comporte un dynamisme essentiel.

De ce dynamisme nous avons une vue immédiate dans l' « étant » que nous sommes, le Dasein, lequel se dévoile comme temporel, comme destiné à mort...

et par suite comme souci.

Les existentialistes analysent cette situation pour elle-même.

A cette « philosophie existentielle » s'oppose la « philosophie existentiale » de HEIDEGGER pour qui le Dasein n'est intéressant que comme voie d'accès à l'être au sens de « acte d'être ». La science n'oublie pas et ne fait pas oublier les êtres : elle ne s'occupe que d'eux.

Ce qu'elle fait oublier, c'est l'être ou l'exister de ces êtres.

Ou encore, comme dit Jean WAHL interprétant HEIDEGGER : « Il n'y a d'étant que par l'être, et notre regard est fixé sur les étants, et il lui est très difficile de voir l'être.

» (Vers la fin de l'ontologie, p. 139.) II.

— DISCUSSION. »

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