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Au terme de l'Avant-propos placé en tête de son livre Matière et Lumière, Louis de Broglie écrit : « On peut légitimement aimer la science pour ses applications, pour les soulagements et les commodités qu'elle a apportés à la vie humaine, sans oublier to

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L'amour de la science ne date pas d'hier. Sans qu'on puisse appuyer sa conviction sur des documents historiques bien anciens, il suffit de penser aux alchimistes du moyen âge pour se représenter des hommes qui, en dépit de la méfiance publique, des persécutions, voire des procès de sorcellerie qui s'achevaient souvent sur un bûcher, poursuivaient la recherche de l'Absolu. Sous le nom de Balthazar Claës, c'est un obsédé de cette espèce, mais vivant au début du XIXe siècle, que Balzac nous a présenté. Nouveau Bernard Palissy, il sacrifie tout au Grand Œuvre : sa fortune, celle de sa femme, de sa fille, sa galerie de tableaux, son honneur de grand bourgeois même. Et quel démon, sinon l'amour de la connaissance, poussait le grand Léonard de Vinci à laisser les brosses et les couleurs qui lui valaient une gloire incontestée pour se plonger dans l'ingrat problème de la navigation aérienne ou sous-marine? Si elle suscitait des vocations aussi tenaces, quoique décevantes et parfois dangereuses, c'est sans doute que la recherche scientifique avait un attrait bien puissant. Certes, les temps ont changé : on n'est plus mené vers la science par le goût du risque puisque, au lieu d'être persécutée, elle est encouragée de mille manières. On ne se représente plus le chercheur comme un pauvre fou vivant entre des grimoires où file l'araignée, des hiboux empaillés et des crapauds; le mythe de Faust passant un pacte avec le diable a fait son temps. Vêtu d'une blouse blanche, le savant se dresse au centre d'un impressionnant laboratoire d'émail et de chrome, il déclenche des millions de volts en pressant un bouton, appelle à ses ordres électrons et microbes. Il symbolise un idéal humain qui dresse sa statue à l'extrémité d'une galerie où figurent le héros et le sage antiques, le chevalier, le prince, l'honnête homme du XVIIe siècle, l'homme d'esprit et l'homme sensible du XVIIIe siècle. Bien que la puissance des rois de l'acier, du pétrole ou de l'automobile en impose à ceux mêmes qui détestent de telles souverainetés, l'on s'accorde aujourd'hui à placer au-dessus d'eux les Pasteur, les Fleming, les Curie, les Einstein pour lesquels les hommes du monde entier, sans distinction de race, de régime politique ou de religion, ont construit un Panthéon idéal; et il ne faudrait pas solliciter longtemps le premier venu pour qu'il reconnaisse, dans ces savants, de véritables démiurges1. Pourquoi cette admiration, passionnée dans l'âme d'une jeunesse studieuse, un peu inquiète dans l'âme des gens plus rassis? A ces questions, l'un de nos plus grands physiciens contemporains, Louis de Broglie, propose deux réponses de valeur inégale : nous aimons la science « pour ses applications, pour les soulagements et les commodités qu'elle a apportés à la vie humaine »; nous l'aimons aussi et surtout pour sa « valeur » intellectuelle : elle est « une grande œuvre de l'esprit ».

« Au terme de l'Avant-propos placé en tête de son livre Matière et Lumière, Louis de Broglie écrit : « On peut légitimement aimer la science pour ses applications, pour les soulagements et les commodités qu'elle a apportés à la vie humaine, sans oublier toutefois que la vie humaine restera toujours, de par sa nature même, précaire et misérable.

Mais on peut, pensons-nous, trouver une autre raison d'aimer l'effort scientifique, en appréciant la valeur de ce qu'il représente.

En effet, comme toutes grandes choses, c'est sur le plan spirituel que cet effort prend pleinement sa valeur : il faut aimer la science parce qu'elle est une grande œuvre de l'esprit.

» Vous développerez, à l'aide d'exemples précis, les réflexions que vous inspirent ces lignes, et vous apprécierez la hiérarchie établie par l'auteur entre les différents mobiles de la recherche scientifique. Introduction.

L'amour de la science ne date pas d'hier.

Sans qu'on puisse appuyer sa conviction sur des documents historiques bien anciens, il suffit de penser aux alchimistes du moyen âge pour se représenter des hommes qui, en dépit de la méfiance publique, des persécutions, voire des procès de sorcellerie qui s'achevaient souvent sur un bûcher, poursuivaient la recherche de l'Absolu.

Sous le nom de Balthazar Claës, c'est un obsédé de cette espèce, mais vivant au début du XIXe siècle, que Balzac nous a présenté.

Nouveau Bernard Palissy, il sacrifie tout au Grand Œuvre : sa fortune, celle de sa femme, de sa fille, sa galerie de tableaux, son honneur de grand bourgeois même.

Et quel démon, sinon l'amour de la connaissance, poussait le grand Léonard de Vinci à laisser les brosses et les couleurs qui lui valaient une gloire incontestée pour se plonger dans l'ingrat problème de la navigation aérienne ou sous-marine? Si elle suscitait des vocations aussi tenaces, quoique décevantes et parfois dangereuses, c'est sans doute que la recherche scientifique avait un attrait bien puissant.

Certes, les temps ont changé : on n'est plus mené vers la science par le goût du risque puisque, au lieu d'être persécutée, elle est encouragée de mille manières. On ne se représente plus le chercheur comme un pauvre fou vivant entre des grimoires où file l'araignée, des hiboux empaillés et des crapauds; le mythe de Faust passant un pacte avec le diable a fait son temps.

Vêtu d'une blouse blanche, le savant se dresse au centre d'un impressionnant laboratoire d'émail et de chrome, il déclenche des millions de volts en pressant un bouton, appelle à ses ordres électrons et microbes.

Il symbolise un idéal humain qui dresse sa statue à l'extrémité d'une galerie où figurent le héros et le sage antiques, le chevalier, le prince, l'honnête homme du XVIIe siècle, l'homme d'esprit et l'homme sensible du XVIIIe siècle.

Bien que la puissance des rois de l'acier, du pétrole ou de l'automobile en impose à ceux mêmes qui détestent de telles souverainetés, l'on s'accorde aujourd'hui à placer au-dessus d'eux les Pasteur, les Fleming, les Curie, les Einstein pour lesquels les hommes du monde entier, sans distinction de race, de régime politique ou de religion, ont construit un Panthéon idéal; et il ne faudrait pas solliciter longtemps le premier venu pour qu'il reconnaisse, dans ces savants, de véritables démiurges1. Pourquoi cette admiration, passionnée dans l'âme d'une jeunesse studieuse, un peu inquiète dans l'âme des gens plus rassis? A ces questions, l'un de nos plus grands physiciens contemporains, Louis de Broglie, propose deux réponses de valeur inégale : nous aimons la science « pour ses applications, pour les soulagements et les commodités qu'elle a apportés à la vie humaine »; nous l'aimons aussi et surtout pour sa « valeur » intellectuelle : elle est « une grande œuvre de l'esprit ». Nous l'aimons pour ses applications On accordera aisément à Louis de Broglie que le vulgaire se sent exalté lorsque, au salon des arts ménagers, il regarde fonctionner une cuisine automatique qui semble sortie de la demeure d'une fée beaucoup plus habile que celles de Perrault; lorsqu'il lutte contre la nausée en observant, sur l'écran cinématographique, d'étonnants instruments chirurgicaux aux prises avec un cœur humain qui se débat comme un oiseau; lorsqu'il aperçoit, sur ce même écran, une informe cellule qui se multiplie, palpite et devient un têtard parent de nos ancêtres.

Revenu guéri d'un sanatorium, il n'est pas un tuberculeux qui ne voue à Koch, à Calmette, à Guérin une reconnaissance sans bornes.

Combien de captifs, durant la dernière guerre, ont évoqué les bienfaits du chauffage central et de l'électricité, en grelottant sous une tente obscure? Couchés dans la paille, se traînant sur les routes, combien ont évoqué le métro, l'autobus, l'ascenseur, l'automobile, l'avion, le paquebot? Chez l'arracheur de dents privé d'anesthésique, combien ont évoqué les merveilles de la prothèse8 moderne? Ravalés à une condition animale, ils ne pensaient point à reprendre — sauf lorsqu'ils voyaient, dans la guerre totale, une conséquence du progrès —, contre les découvertes scientifiques et les progrès techniques, le procès intenté par Rousseau dans son premier Discours, par Brunetière dans la Faillite de la science, Georges Duhamel dans les Scènes de la vie future ou Charlie Chaplin dans les Temps modernes. N'est-ce point la conjugaison de l'essor scientifique et de l'épanouissement technique qui a dissipé la terreur ancestrale des grandes épidémies et aboli les abominables douleurs causées par un traumatisme aigu ou une opération chirurgicale? Devant tel crâne préhistorique où l'on relève les traces d'une trépanation, comment imaginer sans frémir l'homme d'autrefois subissant de sang-froid l'ouverture de son crâne à l'aide d'un silex? Comment se mettre à la place de ces soldats du premier Empire ou du second qui, sur les champs de bataille de Wagram, de l'Alma ou de Solferino durent subir l'amputation d'un membre avec un verre d'alcool pour tout stupéfiant? Lorsqu'on roule vers une salle de chirurgie en feuilletant dans son esprit ces images d'un passé si proche, c'est un véritable hymne de reconnaissance que l'on offre à Lister et à tous ceux qui, avec le chloroforme, l'éther ou le pentothal, nous ont permis de narguer la douleur, ce mal par excellence sans lequel, au dire de Montaigne, la mort elle-même serait peu de chose. Cependant...

tout esprit un peu porté à la philosophie aperçoit les limites des « soulagements » et des « commodités » que nous devons à la science et à la technique.

Aux enthousiasmes trop prompts, à la partialité, à l'aveuglement, M.

Louis de Broglie rappelle opportunément que « la vie humaine restera toujours, de par sa nature. »

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