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La science a fait des hommes des dieux avant qu'ils ne deviennent des hommes ?

Extrait du document

« Analyse du sujet et dégagement de la problématique ● Le sujet nous donne ici une tâche philosophique très précise : réaliser l'herméneutique d'une thèse.

Cela signifie qu'il nous faut, tout d'abord, en tracer le champ des interprétations possibles, puis déterminer les conditions, dégager les présupposés sous lesquels ces interprétations sont possibles et, enfin, choisir la préférable, à supposer, il est vrai, qu'il y en ait de tenables. La thèse à discuter, selon laquelle la science aurait fait des hommes des dieux avant qu'ils ne deviennent des hommes, est elle-même l'interprétation d'un processus, la science, dont la définition est entièrement présupposée.

Il faudra donc chercher la définition la plus plausible dans le contexte du sujet. ● En deça même de la question de la science, un processus est présupposé, qu'il faudra tâcher de comprendre : les hommes auraient à devenir hommes.

Il est clair que le mot « homme » est employé en deux sens différents.

Il faudra chercher quels concepts de l'homme vérifient la thèse : l'homme a-t-il à devenir homme? Ne l'est-il pas plutôt toujours déjà? Une clef pour l'interprétation est la question de la temporalité de ce devenir.

En effet, le sujet sous-entend-il que chaque homme aurait, pour lui-même, à devenir homme, responsable, par exemple? Ou sous-entend-il au contraire un processus historique, par lequel l'humanité aurait à réaliser dans l'histoire, et dans son ensemble, un concept plus élevé de l'humanité ? ● Notons bien qu'il s'agir d'une vocation manquée de l'humanité.

En effet, un autre processus est affirmé, selon lequel de fait, les hommes seraient devenus des dieux plutôt que des hommes.

L'« avant que » indique bien la substitution effective de ce nouveau processus à celui que nous décrivions précédemment.

Mais signifie-t-il une main-mise, un arrêt du processus plus naturel par la science? Ou signifie-t-il au contraire un lien, une coappartenance entre ces deux processus? En d'autres termes, cet enraiement du processus par lequel l'homme aurait à devenir homme, en constituait-il une possibilité originaire?Les mêmes substrats et/ou moteurs de changement sont-ils à l'origine des deux processus? Il nous faut pour cela déterminer en quel sens le sujet parle de dieux.

Le ton de l'ensemble de la phrase est manifestement ironique, critique.

Notre nouvelle nature de dieux est une nature usurpée, volée.

Mais de ce fait, et en raison des lois du monde divin, il ne peut s'agir que d'une semi divinité, d'une divinité imparfaite, inaccomplie, amputée. La divinité se caractérise avant tout, du point de vue de l'homme, par son pouvoir créateur et par son antécédence sur les lois physiques de la nature.

L'homme peut intervenir dans l'ordre des causalités de la nature, ordre dévoilé par la science, et ainsi devenir cause première et finale de phénomènes naturels.

Mais, il ne peut se faire créateur : le monde le précède sans cesse.

On voit bien ici une semi-divinité.

Mais attention : la science se réduit ici à ce qu'elle rend possible, la technique.

Cette divinité ne concerne donc pas le tout de la science comme telle. ● Nous pouvons alors revenir au terme de science.

La science désigne, très généralement, l'ensemble organisé du savoir certain pour l'homme.

Mais une telle définition nous amène à la voir comme un résultat.

Or, dans la mesure où nous aurons d'une part à l'interpréter comme processus et, d'autre part, à distinguer deux concepts d'hommes, nous avons tout intérêt à choisir une approche de la science qui en privilégie les côtés processuel et humain.

Deux questions, donc : qu'est-ce qui en l'homme, rend la science possible? Qu'est-ce que la science transforme en l'homme? La première question nous permettra de lier le processus de la science à celui par lequel l'homme aurait à devenir homme.

En effet, dans ce dernier processus, qu'est-ce qui, en l'homme et de l'homme, change, possède une possibilité supérieure et inexploitée dans l'histoire? Par le biais de l'histoire, nous revenons à la seconde question : qu'est-ce qui, en l'homme et de l'homme, a été de fait transformé dans l'histoire, et que nous pourrions attribuer à la science? Deux réponses se présentent à nous : nous pouvons caractériser la science comme mode d'être, ou par ce qu'elle produit : une nouvelle compréhension du monde d'une part, la technique d'autre part.

Or, l'humanité dans son entier est concernée, alors que la science n'est un mode d'être qu'au scientifique.

Ainsi, nous pouvons mettre sous le terme de science ce que dans l'histoire elle a modifié des rapports entre l'homme et le monde, aussi bien des rapports de connaissance et de compréhension, que des rapports d'action, de modification. ● Une importante remarque : si le sujet fait une référence claire à l'histoire, il n'en reste pas moins un sujet de philosophie.

En d'autres termes, si l'on doit pas éluder de la réflexion le fait qu'elle se déroule au XXIème siècle, c'est la science dans son essence qu'il faut questionner : il ne s'agit pas de chercher à tirer des leçons de l'histoire. ● Signalons que le sujet questionne la paraphrase d'une citation de Jean Rostand, biologiste et essayiste français, tirée de Pensées d'un biologiste, « La science a fait de nous des dieux avant même que nous méritions d'être des hommes ».

Le sujet a supprimé cette notion de mérite.

Mais, dans la mesure où elle caractérise l'advenue d'une véritable humanité, nous pouvons nous en servir comme point de départ pour notre réflexion. ● Résumons enfin les problèmes qui se posent à nous. Quelles conséquences du développement de la science nous rendent-elles comparables à des dieux? Ces conséquences sont-elles incompatibles avec une possibilité plus haute de l'humanité, non encore atteinte ? Lui sont-elles, tout au moins, nuisibles? Comment, enfin, comprendre cette possibilité en tant qu'elle est collective? Est-ce à dire qu'aucun homme n'a jamais été pleinement homme? Ou, au contraire, est-ce l'humanité dans son ensemble qui ne s'est pas élevée à elle-même? Mais cela a-t-il seulement un sens de parler d'un tel « salut » collectif ? Ou faut-il en déduire que la science a rompu quelque chose de la communauté même de l'humanité, n'en permettant plus un progrès collectif? Proposition de plan I La science a offert aux hommes une divinité usurpée HEIDEGGER La question de la technique in Essais et conférences « La centrale électrique est mise en place dans le Rhin.

Elle le somme de livrer sa pression hydraulique, qui somme à son tour les turbines de tourner.

Ce mouvement fait tourner la machine dont le mécanisme produit le courant électrique, pour lequel la centrale régionale et son réseau sont commis aux fins de transmission.

Dans le domaine de ces conséquences s'enchaînant l'une l'autre à partir de la mise en place de l'énergie électrique, le fleuve du Rhin apparaît, lui aussi, comme quelque chose de commis.

La centrale n'est pas construite dans le courant du Rhin comme le vieux pont de bois qui depuis des siècles unit une rive à l'autre.

C'est bien plutôt le fleuve qui est muré dans la centrale.

Ce qu'il est aujourd'hui comme fleuve, à savoir fournisseur de pression hydraulique, il l'est de par l'essence de la centrale.

Afin de voir et de mesurer, ne fût-ce que de loin, l'élément monstrueux qui domine ici, arrêtons-nous un instant sur l'opposition qui apparaît entre les deux intitulés: "Le Rhin", muré dans l'usine d'énergie, et "le Rhin", titre de cette oeuvre d'art qu'est un hymne de Hölderlin.

Mais le Rhin, répondra-t-on, demeure de toute façon le fleuve du paysage.

Soit, mais comment le demeure-t-il? Pas autrement que comme un objet pour lequel on passe une commande, l'objet d'une visite organisée par une agence de voyages, laquelle a constitué làbas une industrie des vacances. Le dévoilement qui régit complètement la technique moderne a le caractère d'une interpellation au sens d'une provocation.

Celle-ci a lieu lorsque l'énergie cachée dans la nature est libérée, que ce qui est ainsi obtenu est transformé, que le transformé est accumulé, l'accumulé à son tour réparti et le réparti à nouveau commué.

Obtenir, transformer, répartir, accumuler, commuer sont des modes du dévoilement.

Mais celui-ci ne se déroule pas purement et simplement.

Il ne se perd pas non plus dans l'indéterminé.

Le dévoilement se dévoile à lui-même ses propres voies, enchevêtrées de façons multiples, et il se les dévoile en tant qu'il les dirige.

La direction elle-même, de son côté, est partout assurée.

Direction et assurance (de direction) sont même les traits principaux du dévoilement qui provoque. Maintenant quelle sorte de dévoilement convient à ce qui se réalise par l'interpellation provoquante? Ce qui se réalise ainsi est partout commis à être surle-champ au lieu voulu, et à s'y trouver de telle sorte qu'il puisse être commis à une commission ultérieure.

Ce qui est ainsi commis à sa propre position et stabilité nous l'appelons le fonds.

[...] Qui accomplit l'interpellation provoquante par laquelle ce qu'on appelle le réel est dévoilé comme fonds? L'homme manifestement.

C'est seulement pour autant que, de son côté, l'homme est déjà provoqué à libérer les énergies naturelles que ce dévoilement qui commet peut avoir lieu.

Lorsque l'homme y est provoqué, y est commis, alors l'homme ne fait-il pas aussi partie du fonds, et d'une manière encore plus originelle que la nature? La façon dont on parle couramment de matériel humain, de l'effectif des malades d'une clinique, le laisserait penser.

» Le texte de Martin Heidegger présente un tableau et une analyse très complets de la divinité usurpée que la science offre aux hommes, et dans laquelle la science commet les hommes, par le biais de la technique.

Cette dernière, en effet, détermine aujourd'hui tout notre rapport à l'étant naturel : nous ne le considérons plus que comme ressource, stockable, mobilisable ou transformable à souhait, comme ce que Heidegger appelle le fonds.

Si bien que l'étant n'est plus déterminable, désignable, bref, n'apparaît plus, qu'en réponse à la provocation, à la mise en demeure, de la science et de la technique.

Même l'homme finit par faire partie de ce fonds.

Mais, ce qui compromet l'humanité comme telle, est que cet arraisonnement la rend sourde à ne pensée intrinsèque de l'Être, c'est-à-dire qu'elle lui bloque des modes d'accès privilégiés à sa vérité. Sciences & techniques obéissent à un destin commun qui est celui de la rationalité.

Le principe fondateur de celle-ci est le principe de raison selon lequel l'homme doit rendre raison de tout ce qui est.

L'homme se trouve soumis à un impératif dont il ne perçoit plus l'origine.

Il est alors exposé à un danger suprême: celui de perdre toute possibilité d'entendre le sens d'être autrement que dans son acception technique.

Pour la technique, le réel est un fonds destiné à l'arraisonnement. La technique peut donc se retourner contre la nature après en être issue et constituer un danger pour elle, et ce en un sens qui n'est pas exclusivement matériel, mais qui est aussi spirituel.

Dans son analyse de la technique, Heidegger, très au-delà de la bonne conscience écologique, met en lumière une certaine relation d' « arraisonnement » : à force de vouloir se rendre « maître et possesseur de la nature », comme le disait Descartes, l'homme met, selon la riche métaphore heideggerienne, la nature « à la raison » : Heidegger parle aussi d' « arraisonnement » , comme si la technique abordait la nature en pirate ; Qu'est-ce à dire ? Dans sa conférence titrée « La question de la technique », Heidegger part de la question suivante : « quelle est donc l'essence de la technique moderne pour que celle-(ci puisse s'aviser d'utiliser les sciences exactes de la nature ? » Pour répondre à cette question, il faut inverser le rapport traditionnel entre science et technique.

En apparence, la technique suit les sciences exactes de la nature ; en réalité, la relation est presque inverse : c'est l'application technique qui renforce un certain aspect de ces sciences naturelles : « La physique moderne n'est pas une physique expérimentale parce qu'elle applique à la nature des appareils pour l'interroger, mais inversement : c'est parce que la physique –et déjà comme pure théorie- met la nature en demeure de se montrer comme un complexe calculable et prévisible de forces que l'expérimentation est commise à l'interroger », ajoute Heidegger.

Et peut-être en effet peut-on aller jusqu'à dire que lorsque la science travaille, elle a déjà en vue les applications techniques, qui peut-être alors l'orientent dans ses travaux : c'est bien ce que veut dire Heidegger quand il dit que c'est pour appliquer son « questionnement », sa mise à la question, que la physique est expérimentale. La technique humaine, explique-t-il plus largement, accomplit un destin remontant à la philosophie grecque et au nom duquel elle organise la nature en objet : ce faisant, l'homme viole et épuise un certain « fonds », non pas celui des réserves quantitatives de minéraux, mais celui d'une réserve de dévoilement et d'étonnement.

est-il d'ailleurs si faux que notre rapport à la nature soit devenu à ce point médiatisé par la technique que nous ayons du mal à voir ce qu'est la nature ? Bref, c'est cet enjeu de la technique qui, aux yeux de Heidegger, illustre le mieux l'oubli de l'Etre dont il veut se faire le penseur.

Mais, dire que la technique contribue à l'oubli de l'Etre, ce n'est certes pas le rejeter en tant que. »

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