Aide en Philo

La nature comme puissance créatrice ?

Extrait du document

« En un premier sens, donc, considérons la Nature comme Dieu (Deus sive Natura), ou comme la Déesse souveraine qui conçoit et engendre toutes choses.

C'est l'idée d'une Puissance éternelle, incréée, sans commencement ni fin, qui anime l'ensemble de tout ce qui existe ; puissance répartie entre autant de divinités qu'il y a d'éléments – les dieux de l'eau, de l'air, de la terre et du feu – ou unifiée en une force créatrice, Mère de toutes choses, sereine dispensatrice de ce que les vivants, de leur observatoire précaire et limité, appellent les biens et les maux.

C'est cette Productrice de vie qui lance inlassablement dans le temps et l'espace des séquences innombrables de générations, sans jamais produire deux êtres exactement semblables.

En elle, l'ingéniosité des dispositifs se conjugue à la simplicité déconcertante des moyens. C'est cette Nature, dont la spontanéité créatrice fournit à l'Art un idéal inaccessible.

Loin de pouvoir rivaliser avec elle, l'artiste lui-même n'est ici qu'une manifestation de la Nature. Comparées à cette puissance, toutes les entreprises humaines sont irrémédiablement fragiles et provisoires.

Elles ne subsistent que grâce à un labeur incessant.

Mais un instant d'abandon, une baisse de vigilance suffisent pour que la Nature, comme on dit, reprenne ses droits : les temples impérissables deviennent la proie des lianes et des intempéries, l'herbe et la rouille envahissent le chantier.

Cependant, avec l'herbe et la rouille, ce sont deux transformations « naturelles » de sens contraire qui envahissent le chantier, manifestant la continuité ambiguë de la Nature.

En effet, si la rouille signifie la corrosion et la mort, l'herbe, en revanche, signifie la croissance et la vie. Ainsi Vanini, l'auteur des De admirandis Naturae reginae deaeque mortalium arcani, Dialogi (1616) (Dialogues sur les secrets de la Nature, reine et déesse des mortels), celui-là même que Bayle considère comme un «martyr de l'athéisme», fut traduit devant un tribunal, pour être interrogé sur « ce qu'il pensait de l'existence de Dieu.

Il répondit que la Nature démontrait évidemment l'existence de la Divinité et, ramassant un brin d'herbe qui traînait sur le sol, il expliqua que tout le problème de la vie, de ses transformations merveilleuses et incessantes, que tout ce que nous attribuons à la Providence divine est déjà là, inclus dans ce brin d'herbe, auquel nous ne prêtons même pas attention.

Réfléchir à tout cela et sentir que la vie circule en toutes choses, que les hommes n'en sont qu'un épanouissement éphémère, et que Dieu se manifeste à chaque instant, mieux que par de rares miracles souvent contestés, – par ce grand miracle incontestable, incessant et toujours nouveau que nous appelons la Nature, reine et déesse des mortels, avec ses lois éternelles : voilà quelle était sa philosophie, et sa croyance ».

Condamné au bûcher pour cette réponse impie, il fut brûlé à Toulouse, le 9 février 1619, à l'âge de 33 ans (Voir : E.

Namer, La Vie et l' oeuvre de J.C.

Vanini, Prince des Libertins, Vrin, 1980). Cette « vue » de la Nature, la plus ancienne et peut-être la plus forte, est celle que les hommes ne pouvaient manquer de former lorsqu'ils avaient à se mesurer constamment aux éléments naturels.

Mais elle continue d'alimenter, dans des directions opposées, nos rêveries et nos fantasmes autour du feu, de l'eau, de la terre et de l'air.

Dionysos (Bacchus), Vénus (sous l'invocation de qui Lucrèce place son poème) et leur fils Priape, ainsi que le grand Pan, ce Dieu dont des voix mystérieuses avaient annoncé la mort, continuent en réalité de hanter les mythologies contemporaines.

Ainsi, le phallus en érection (ou ithyphalle), emblème de la puissance reproductrice de la Nature, qu'on portait solennellement en procession aux fêtes de Dionysos, de Vénus et de Priape, est aujourd'hui encore l'objet d'un culte semblable au Japon, pays des ordinateurs de la cinquième génération : l'énergie qui doit s'investir dans l'entreprise informatique est puisée périodiquement dans des rites phalliques, qui rassemblent des foules considérables. «La grande idée des forces naturelles auxquelles nous devons nous soumettre bon gré mal gré ne peut être abolie par aucune religion proprement humaine...

C'est ainsi que l'ancienne religion de la nature est éternelle en un sens et ne peut être déposée.

» Alain, Les Arts et les Dieux, Pléiade, p.

1150. Les attitudes de l'homme restent nécessairement partagées à l'égard de cette toute-puissante Nature : s'agit-il d'une force aveugle et redoutable? d'une providence tutélaire, dont on doit se concilier les faveurs ? ou d'une nécessité indifférente, à laquelle la sagesse commande de se conformer ? Quoi qu'il en soit, l'immense Nature est ici conçue comme sujet, et c'est en son sein que l'homme se situe, non comme un empire dans un empire, mais comme une partie du Tout ou, mieux, comme un organe à l'intérieur d'un organisme où règne une parfaite solidarité.

Dionysos lève les frontières artificielles entre les bêtes, les hommes et les dieux.

La barbarie et l'âge d'or se confondent.

Emportés dans un même mouvement, Éros et Thanatos, l'amour, la vie et la mort, font ici bon ménage. C'est cette Nature qui se retrouve aussi bien dans l'exubérante vitalité de Zorba le Grec que dans «le blanc troupeau de mes tranquilles tombes» du Cimetière marin.

C'était elle qui, dans le poème de Lucrèce, créait et détruisait des mondes, sans fin : «Libre, affranchie de maîtres superbes, gouvernant elle-même son empire sans contrainte et sans l'aide des dieux.

» (De Natura, II, v.

1090-92.) La Nature porte en elle, selon l'expression d'Aristote, le principe de tous ses changements.

Il est donc vain de vouloir s'opposer à ses desseins, il est sage au contraire, comme le conseille Montaigne, de la prendre pour guide, et prudent de s'abstenir de toute intervention qui la contrarierait.

Dans cette optique, le statut de la médecine sera toujours quelque peu ambigu.

En effet, l'art médical n'a pu se constituer qu'à partir de l'idée que la Nature n'était pas toute-puissante et absolument infaillible.

Cependant, dès l'Antiquité, les médecins se sont partagés en interventionnistes agissants, bien décidés à remédier aux défaillances de la Nature et en naturistes expectateurs, plus soucieux d'hygiène que de thérapeutique. Dans cette première acception, naturel signifiera donc, tour à tour : spontané, dynamique, sauvage et paisible, par opposition à : contraint, artificiel, mécanique et.

violent. Réciproquement, les lois et les institutions, considérées comme de vains artifices en vue de maîtriser la Nature, seront assimilées à des formes de violence. Ainsi, selon Rousseau, la vieillesse et la mort sont naturelles, mais non les maladies, imputables à la société qui a «dénaturé» l'homme.

C'est pourquoi : « Quelque utile que puisse être parmi nous la médecine bien administrée, il est toujours certain que si le sauvage malade, abandonné à lui-même, n'a rien à espérer que de la nature, en revanche il n'a rien à craindre que de son mal ; ce qui rend souvent sa situation préférable à la nôtre.

» Rousseau, Discours sur l'origine de l'inégalité, 1er partie.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles