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La connaissance de soi passe-t-elle par la médiation d'autrui ?

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« 1° La lutte pour la reconnaissance. Pour Sartre autrui est le fondement constitutif de la relationà autrui.

Chaque conscience est une liberté qui rêve d'être absolue et de transformer en chose passive la liberté d'autrui.

Peuimporte qu'autrui m'aime, me haïsse ou soit indifférent à mon égard : son simple surgissement est violence.

Sartre illustre ce conflit, dans « L'Etre &le Néant », à travers l'expérience du regard. La notion de regard ne doit pas être comprise en un sens empirique, comme une propriété d'un être apparaissantdans le monde, comme une faculté des yeux.

L'appréhension du regard se produit toujours sur fond d'une disparition des yeux : je ne peux à la fois voir les yeux de l'autre et voir qu'il me regarde.

Dès l'instantoù on me regarde, il m'est impossible d'adosser ce regard sur un être du monde, de le saisir à sa source ; et, si je me retourne pour tenter de l'affronter, je me fais regard à mon tour et retombe alors sur une face d'où tout regard est absent.

L'expérience du regard n'est qu'expérience de mon être-regardé.

Il suit de là que si, le plus souvent elle est associée à une forme empirique, qualifiée comme face, elle peut procéder d'un tout autre événement.

Lorsque je rampe dans les fourrés afin de ne pas être « repéré », et que soudain s'allume une maison sur le coteau, je me sens objectivité et cette lueur est alors un regard.

Lorsque, par jalousie, j'épie ce qui se passe derrière une porte, le bruit des pas dans le couloir est bien un regard.

Celui-ci ne désigne donc en aucun cas un événement empirique, mais la modalité même du surgissement d'autrui comme sujet. La honte est bien une certaine conscience, où je me découvre moi-même : elle est toujours honte de soi ; mais elle est structurellement honte de soi devant autrui : j'y suis révélé à moi-même comme ce que je suis à ses yeux, je m'y aperçois comme m'échappant vers autrui. Reprenons l'exemple de la situation de jalousie.

On peut la décrire en termes d'intentionnalité : les événements objectifs« provoquant» ma jalousie ne sauraient être distingués de la conscience jalouse que j'en prends, c'est au contraire par cette jalousie même que je les fais exister.

Mais, dans cette mesure, je n'ai pas connaissance de cette jalousie : je ne me sais pas jaloux, je suis au monde sur le mode de la jalousie, et celle-ci ne se distingue donc pas de l'action d'écouter à la porte.

En tant qu'elle est pure ouverture au monde, la conscience ne possède aucune consistance propre, rien ne vient s'interposer en elle, la séparer d'elle-même.

La conscience peut être définie comme rapport i mmédiatà soi, comme conscience irréfléchie.

Elle est par conséquent impersonnelle : elle n'est même pas mienne, ne jouit pas de la consistance lui permettant de s'éprouver comme « moi ». Lorsque je cours après le bus il n'y a aucun moi dans cette conscience, mais seulement« le bus-devant-être-rejoint».

Ainsi, pure extériorité à soi, la conscience irréfléchie est sans intimité, sans habitant ; elle a l'impersonnalité du monde vers lequel elle ouvre. L'apparition d'autrui, qui se marque ici par le bruitdes pas, correspond à une transformation radicale de la conscience irréfléchie : un moi surgit au sein de celle-ci.

Toutefois, contrairementà ce qui advient dans la réflexion, ce moi ne m'est pas connu : j'en fais certes l'expérience, mais comme d'une réalité qui m'échappe.

Je ne peux passer de l'autre côté du spectacle, afin d'en prendre possession ; ce moi se donne précisément comme ce qui n'estque pour autrui, comme fuite de ma substance vers lui, et j'en suis donc séparé par toute la liberté d'autrui.

Ce moi surgissant au sein de la conscience irréfléchie est de l'ordre du non-révélé : il demeure totalement indéterminé quant à ce qu'il est, et cette indétermination est portée par le regard d'autrui.

Il ne faut cependant pas oublier la seconde dimension de la honte, et concevoir ce moi comme une image dans l'esprit d'autrui, une représentation qui ne me concernerait pas.

La honte que j'éprouve lorsque s'entend les pas est reconnaissance de ce moi qu'autrui me faitêtre, ici d'un moi jaloux. L'apparition d'autrui ne doit pas seulement être décrite au plan de la conscience : elle affecte le monde lui-même.

La conscience irréfléchie est conscience positionnelle du monde ; dès lors que rien ne vient s'interposer en elle, elle peut s'ouvrir à l'en-soi.

Cependant, dans l'attitude irréfléchie, conscience et monde forment encore une sphère close, entretiennent une relation de pure corrélation : le monde est rigoureusement ce dont j'ai conscience, cad qu'il n'est que ma possibilité.

L'apparition d'autrui introduit un écart entre la conscience et le monde, brise cette sphère close, car le monde se donne alors comme sa possibilité, comme ce qui m'échappe. « Je suis dans un jardin public, non loin de moi, voici une pelouse, et le long de cette pelouse, des chaises...

» Situation paisible, tout n'est que calme et volupté.

« Un homme passe près des chaises.

Je vois cet homme ».

Fini la quiétude ! Pourquoi ?Parce que je ne le perçois pas seulement comme un objet, mais aussi comme un homme.

Du coup, une spatialité se déplie qui n'est pas ma spatialité, un autre centre du monde apparaît, un autre sens.

Je ne suis plus sujet absolu.

Cette décentration du monde fait de moi un sujet glissant, en voie de désintégration.

Autrui tend à me « voler le monde ». Si autrui n'existait que sur le mode d' « être-vu-par-moi », je pourrais contenir cette désintégration par un effort de recentrage perpétuel, en m'efforçant de le saisir seulement comme objet, en le réintégrant dans ma propre vision du monde.

Mais autrui me voit.

J'existe sur le mode « d'être-vu-par-autrui ». Imaginons que j'en sois venu...

à coller mon oreille contre une porte, à regarder par le trou d'une serrure.

Je suis seul...

Mon attitude n'a aucun « dehors».

Ce qui signifie que je suis« englué » dans le monde, un peu comme l'encre est bue par un buvard.

Mais je suis aussi liberté pure.

Rien d'extérieur à moi-même ne me contraint à regarder par le trou de la serrure, rien d'extérieur parce que je suis précisément ce rien même. Or voici que j'ai entendu des pas dans le corridor : on me regarde. Le regard d'autrui me saisi tet me fige.

J'étais liberté pure, conscience allégée de tout image, me voici devenu quelqu'un, un objet du regard.

Je me vois parce qu'on me voit : mon « moi » faitirruption.

En même temps, j'en viens à exister sur le même plan que les objets.

Je suis l'objetd'un regard, objet pour autrui.

J'ai un « dehors », une apparence externe, j'ai une nature qui ne m'appartient pas.

Je suis engagé dans un autre être.

Plus jamais je ne pourrai échapper à l'image qu'autrui me tend de moi-même.

Autrement dit, j'existe sur le mode d' « être-pour-autrui ». « Autrui, c'est ma chute originelle ».

Tout se passe, en effet, comme si autrui me faisait choir, m'écrouler au milieu des choses.

Il fait de moi une quasi-essence.

Scandale !Car pour Sartre, l'homme estcelui qui échappe à toute essence.

Face à autrui, je ne peux plus qu'être « projetde récupération de mon être ».

Si autrui me regarde, je le regarde aussi.

S'il tend à me chosifier, j'en fais de même.

Toutest combat, même l'amour, la caresse.

Tout n'est que ruse ou calcul pour échapper à l'emprise d'autrui.

(cf.

texte). Sartre reconnaît toutefoisqu'autrui est un « médiateur indispensable entre moi et moi-même ».

Sans autrui, je serais subjectivité pure, libre spontanéité, mais mon être et ma liberté s'identifieraient au néant.

Autrui me fait passer d'une « conscience non positionnelle de soi » à une conscience réflexive.

Sans autrui, l'ignorerais des structures essentiellesde monêtre et ne pourraisme connaître.

«Je suis unêtre pour-soi, qui n'est pour-soi que par un autre.

» « Imaginons que j'en sois venu, par jalousie, par intérêt, à coller mon oreille contre une porte, à regarder par le trou d'une serrure.

Je suis seul [...] Cela signifie d'abord qu'il n'y a pas de moi pour habiter ma conscience.

Rien donc, à quoi je puisse rapporter mes actes pour les qualifier.

Ils ne sont nullement connus, mais je les suis et, de ce seul fait, ils portent en euxmêmes leur totale justification.

Je suis pure conscience des choses [...].

Cela signifie que, derrière cette porte, un spectacle se propose comme « à voir », une conversation comme « à entendre ».

La porte, la serrure sont à la fois des instruments et des obstacles : ils se présentent comme « à manier avec précaution » ; la serrure se donne comme « à regarder de près et un peu de côté », etc.

Dès lors « je fais ce que j'ai à faire » ; aucune vue transcendante ne vient conférer à mes actions un caractère de donné sur quoi puisse s'exercer un jugement : ma conscience colle à mes actes, elle est mes actes ; ils sont seulement commandés par les fins à atteindre et par les instruments à employer.

Mon attitude, par exemple, n'a aucun « dehors », elle est pure mise en rapport de l'instrument (trou de la serrure) avec la fin à atteindre (spectacle à voir), pure manière de me perdre dans le monde, de me faire boire par les choses comme l'encre par un buvard [...]. Or voici que j'ai entendu des pas dans le corridor : on me regarde.

Qu'est-ce que cela veut dire ? C'est que je suis soudain atteint dans mon être et que des modifications essentielles apparaissent dans mes structures [...]. D'abord, voici que j'existe en tant que moi pour ma conscience irréfléchie.

C'est même cette irruption du moi qu'on a le plus souvent décrite : je me vois parce qu'on me voit, a-t-on pu écrire [...] ; pour l'autre je suis penché sur le trou de la serrure, comme cet arbre est incliné par le vent.

[...] S'il y a un Autre, quel qu'il soit, où qu'il soit, quels que soient ses rapports avec moi, sans même qu'il agisse autrement sur moi que par le pur surgissement de son être, j'ai un dehors, j'ai une nature ; ma chute originelle c'est l'existence de l'autre.

» Sartre, « L'Etre et le Néant », Gallimard, pp.

305-306. Le texte de Sartre décrit clairement deux états de la conscience.

Dans le premier, une conscience solitaire est occupée, par jalousie, à regarder par le trou d'une serrure ce qui se passe derrière la porte.

Cette conscience est alors entièrement livrée à la contemplation du spectacle jusqu'à s'y fondre; elle est tout entière ce spectacle qu'elle regarde, elle est la série des actes motivés par la jalousie (se pencher, ne pas faire de bruit, regarder).

Cette conscience ne se connaît même pas comme jalouse (ce qui supposerait un recul réflexif): elle est rapport au monde sur la mode de la jalousie.

La conscience n'a pas de consistance propre qui lui permette de s'appréhender comme moi; elle se confond immédiatement avec toutes ces choses sur lesquelles elle s'ouvre. Brusquement surgit un autre (j'entends des pas, on me regarde): je suis surpris, il va penser que moi, je suis jaloux.

C'est alors (dans le cadre d'une expérience de la honte d'avoir été surpris) que ma jalousie prend consistance (et par là-même aussi mon être comme jaloux); elle n'est plus seulement une manière diffuse d'agir dans ce monde: elle est cette qualification de ma personne, ce jugement sur moi porté par un tiers.

Je suis quelqu'un, je ne suis plus une pure ouverture sur le monde: on me détermine comme un homme jaloux (on me donne une "nature”, je deviens "quelque chose” sous le regard de l'autre (autrui me chosifie). Mais au moment où je deviens quelqu'un, je suis dépossédé de moi-même: c'est à l'autre de décider si je suis un curieux, un jaloux ou encore un vicieux. 2° L'autre comme médiation nécessaire entre moi et moi Pourquoi désirer ce q'autrui désire ? Pourquoi sommes-nous si sensibles au jugement d'autrui porte sur nous ? En fait, si je désire posséder l'objetmême dont il a envie, c'est pour qu'il m'admire, qu'il m'estime.

Ce n'estque pour cela que je désire cet objet, et non pour lui-même, pour ses qualités propres, pour le plaisir qu'il me procurerait.

Mon vrai désir, c'est le désir de l'amour d'autrui.

Presque tous les désirs humains ont en réalité cette fin.

C'est ce qu'affirme clairement Hegel : le désir humain fondamental n'est pas le désir de consommation de l'objet, le désir de plaisir, de jouissance physique, qui estaussi bien celui de l'animal, mais c'est le désir de l'estime, de l'admiration, de l'amour d'autrui, ou encore, comme le nomme Hegel, le désir de reconnaissance (le désir du désir d'autrui), cad le désir d'être reconnu par autrui comme un être qui a un valeur (qui est donc lui-même désirable).

Et cela médiatise le désir d'objet, objet dont la possession n'estqu'un moyen pour ramener sur soi l'envie qu'autrui lui porte.

Si je veux avoir de multiples objets, ce n'est pas pour le plaisir qu'ils m'apportent directement, mais c'est pour tenter de capter et de détourner au profit de mon être la valeur qu'autrui leur reconnaît.

LA CONNAISSANCE DE SOI PASSE PAR LA RECONNAISSANCE D'AUTRUI.

SANS AUTRUI, POINT DE VÉRITÉ SUR MOI OU SUR LE MONDE. Le besoin et sa représentation sociale. « Dans la mesure où dans le besoin social, comme liaison du besoin immédiat ou naturel et du besoin spirituel de la représentation, c'est ce dernier qui est universel et devient donc prépondérant, il y a dans ce moment social le côté libérateur dans lequel la rigoureuse nécessité naturelle du besoin est occultée, et où l'homme se rapporte à son opinion, qui est ici opinion universelle, et à une nécessité qui n'existe que de son fait : au lieu de rapporter sa conduite à une contingence uniquement extérieure, il la rapporte à une contingence intérieure, à l'arbitraire de son choix. Remarque : l'idée que dans un prétendu état de nature où il n'aurait que des besoins naturels prétendument simples et emploierait uniquement pour les satisfaire les moyens qu'une nature contingente lui fournirait immédiatement , l'homme vivrait en liberté pour ce qui concerne les besoins, est –même si nous faisons momentanément abstraction du moment de libération que comporte le travail, sur lequel nous reviendrons ultérieurement- le produit d'une opinion erronée, parce que ce besoin naturel, en tant que tel, et sa satisfaction immédiate ne seraient jamais que l'état où la spiritualité est enfoncée dans la nature, un état frustre et non libre, alors que la liberté ne peut résider que dans la réflexion en soi-même de l'élément spirituel, dans sa différenciation d'avec ce qui est naturel et sa projection en retour sur cette nature.

» Hegel, « Principes de la philosophie du droit », $194. Toute conscience cherche à se faire reconnaître d'autrui.

Et ce désir de reconnaissance passe d'abord par la négation de l'autre.« Toute conscience, dit Hegel, poursuit la mort de l'autre ».

Il s'agit non pas de tuer réellement autrui, mais de le supprimer en tant qu'opposé à soi et agissant contre soi, autrement dit de l'asservir.

Au terme de cette lutte à mort pour la reconnaissance, la conscience qui n'a pas eu peur de la mort, qui est allée jusqu'au bout dans le risque de la mort, prend la figure du Maître, tandis que l'autre qui a préféré la vie à la liberté, entre dans le rapport de servitude.

L'Esclave a perdu toute dignité.

Il n'estplus qu'un instrument, une chose aux mains du Maître qui l'a épargné et s'est réservé la jouissance. Mais, par le travail, l'Esclave transforme le monde, lui donne la forme de son activité.

Il peut se reconnaître dans ce monde effectivement transformé par lui et qui porte la marque de son intériorité.

Il peutainsi jouir de lui-même comme d'une réalité extérieure et accéder à une certaine reconnaissance de soi et à la dignité.

Il se libère aussi de sa propre nature, en particulier de son angoisse de la mort qui le liaitau monde sensible.

Tandis que le Maître qui ne travaille pas dépend de l'Esclave etne produit rien en dehors de lui.

Sa jouissance n'intéresse personne, elle reste purement subjective, elle est privée de vérité objective.

Certes, il est reconnu par l'Esclave, mais il ne peut être satisfaitpar une telle reconnaissance, car l'Esclave n'est qu'une chose. En libérant l'Esclave du monde sensible, le travail l'a libéré de lui-même, de sa propre nature d'Esclave.

Il lui suffit de se faire reconnaître par le Maître pour que s'établisse la reconnaissance mutuelle : « Ils se reconnaissent comme se reconnaissant mutuellement». Cette dialectique hégélienne du conflit des consciences qui se trouve dans « La phénoménologie de l'esprit » et dans« Propédeutique philosophique », a été popularisée par Kojève et est devenue célèbre.

Elle signifie que toute conscience ne peut se poser qu'en s'opposant à ce qui n'est pas elle, mais que le conflit n'est qu'un momentqui, comme tel, est destiné à être dépassé.

Il n'y a de véritable reconnaissance de soi que lorsque les consciences se reconnaissent mutuellementet réciproquement comme libres etautonomes.. »

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