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Faut-il apprendre à oublier le passé ?

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« Le sens commun est sévère pour l'oubli; il le considère comme une tare que l'âge aggrave.

Le passé, par rapport au présent ou à l'avenir, renvoie à une certaine impuissance, puisqu'il est irréversible.

Non seulement, il semble impossible d'agir sur lui mais il pèse sur nous.

Pour le déterminisme des sciences physiques, le passé détermine strictement le présent et l'avenir.

Il ne semble pas être de même pour les hommes.

L'homme semble pouvoir rejeter ou accepter son passé par rapport à son présent.

L'expression apprendre à oublier semble signifier que l'oubli n'est pas un donné naturel mais qu'il faut un entraînement, une éducation pour y arriver.

Le passé serait donc nuisible à l'homme pour son bonheur présent et sa créativité.

Pourtant comment un homme sans passé peut-il se définir dans le présent? La mémoire n'est-elle pas une donnée essentielle de la nature humaine? La mémoire ne nécessite-telle pas l'oubli? Le passé constitue une entrave à l'évolution de l'homme Il faut d'abord bien voir que nous ne saisissons le temps que dans l'instant.

Seul le présent a une réalité pour l'individu, le passé n'est plus et l'avenir n'est pas encore.

Le temps apparaît donc comme une succession d'instants chaque fois différents : "une nouveauté, toujours soudaine, ne cesse d'illustrer la discontinuité essentielle du temps, écrit Bachelard. Si je veux profiter pleinement de l'instant présent, je ne peux pas penser à mon passé mais aussi à mon avenir.

"Nul bonheur, nulle sérénité, nulle espérance, nulle jouissance de l'instant présent ne pourrait exister sans la faculté d'oubli." Frédéric Nietzsche Si pour Nietzsche, l'oubli est ce qui rend possible une certaine sérénité, tranquillité d'esprit, il est aussi une condition essentielle au développement de nouvelles facultés.

Ainsi, pour le philosophe, il faut "faire table rase dans notre conscience pour qu'il y ait de nouveau de la place pour faire des choses nouvelles." De plus, pour Sartre, l'avenir est la dimension essentielle pour l'homme : "l'homme surgit dans le monde et ne se définit qu'après(...) Il n'est d'abord rien, il ne sera qu'ensuite." Ce qui sous-entend que l'homme n'est pas constitué par son passé mais par son avenir. Nous avons besoin de repère pour nous connaître dans le présent Il faut cependant voir que l'avenir n'est rien s'il n'existe pas de passé pour le définir.

"Le présent est gros de l'avenir : le futur se pourrait lire dans le passé." Leibniz. Ainsi ce que l'homme a vécu le détermine à faire un choix plutôt qu'un autre et lui fournit les moyens de parvenir à ses fins.

Jean Ortega affirme que "le passé est le seul arsenal qui nous fournisse les moyens de façonner l'avenir.".

"c'est cette connaissance[ du passé] seule qui lui procure une intelligence plus nette du présent et lui permet même de formuler des inductions pour l'avenir'." Schopenhauer De plus, Bergson montre que le présent n'est rien d'autre que l'instant reliant le passé au futur, il ne peut dès lors pas y avoir une existence humaine sans une mémoire qui prolonge " l'effet utile du passé dans le présent." Sans mémoire, il n'y a pas de conscience.

Pour Schopenhauer, sans la mémoire, la conscience n'aurait pas plus d'unité "qu'un miroir dans lequel se réfléchit tantôt ceci tantôt cela.", il n'y aurait pas de possibilité de connaissance et de relation entre deux choses. Être conscient, c'est donc savoir ce que j'ai vécu.

En effet, ce que nous considérons comme un individu dans le présent n'est en fait rien d'autre que le résultat de la formation progressive d'un sujet, qui s'est faite dans le passé.

L'individu est le résultat d'une longue histoire.

Notre passé détermine donc ce que nous sommes. Ainsi apprendre à oublier tout le passé nous amènerait à ne plus savoir ce que nous sommes et même ce qu'est le monde L'oubli est une fonction innée et naturelle de notre psychisme Nous ne pouvons donc pas tout oublier sous peine de perdre notre identité mais nous ne pouvons tout retenir sinon notre conscience serait surchargée. Mais il n'est pas nécessaire d'apprendre à oublier.

En fait, l'oubli est spontané et inné.

En effet, nous oublions au fur et à mesure les souvenirs inutiles : les visages de nos professeurs, la récitation apprise à l'école primaire,...

Il faut aussi voir que l'oubli fait partie de la mémoire et qu'il faut pouvoir oublier pour pouvoir se souvenir. Notre équilibre psychique, comme l'a montré la psychanalyse, tient au pouvoir d'oublier ce que la conscience se refuse à assumer.

Ainsi, par exemple, le refoulement permet de protéger la conscience en ne laissant pas entrer ce qui serait traumatisme.

Il ne s'agit pas d'un oubli total et définitif, mais il s'agit d'écarter pendant quelques temps un élément qui perturberait trop le sujet. Il faut alors voir que l'homme se détermine aussi par ce qu'il a oublié, parce que l'élimination du souvenir porte sur ce qui n'est pas essentiel.

A insi, par exemple, dans l'habitue qui vient du passé, on ne retient que les mouvements les plus simples et les plus efficaces.

De même, l'individu se souvient des faits qui l'ont marqué ou qui lui sont utiles.

On peut alors se dire que ce qui a été oublié l'a été soit par inintéressant soit par ce qu'il était trop traumatisant. Dans La Généalogie de la morale, Nietzsche a montré que l'oubli n'est pas une faculté passive qui résulte de l'inertie du psychisme, de ses fatigues ou de sa faiblesse.

L'oubli est un pouvoir actif d'enrayement.

Il correspond à la phase de "digestion psychique" des événements, comparable à celle de la digestion organique des aliments auxquels nous ne pensons plus une fois absorbés.

L'oubli est l'effet d'une assimilation.

C'est un temps mort durant lequel se fait table rase ou place nette pour les choses nouvelles et plus nobles : "La faculté active d'oubli est une sorte de gardienne, de surveillante chargée de maintenir l'ordre psychique, la tranquillité, l'étiquette." Des sentiments comme le bonheur, la sérénité, l'espérance, la fierté ou la jouissance de l'instant présent ne pourraient exister sans la faculté d'oubli.

Freud de son côté a souligné le caractère vital de l'oubli des événements pénibles et désagréables.

C'est spontanément que l'inconscient oppose une résistance aux souvenirs d'impressions ou à la représentation d'idées pénibles.

Pour l'inconscient, l'oubli est un instinct de défense comparable au réflexe de fuite face au danger.

S'il est souvent difficile d'effacer de sa mémoire des sentiments de remords et de culpabilité, s'il est vrai que l'oubli n'est jamais volontaire, il faut supposer une "économie" dans l'organisation du psychisme humain, où l'oubli de certains événements sert l'intégrité de l'ensemble.

Parfois tenu en échec par des instances plus puissantes qui cherchent à réaliser leurs buts, l'oubli s'opère par un déplacement d'objet.

Si l'événement douloureux n'est pas oublié, l'oubli sera transféré sur les circonstances ou des objets qui y sont liés, montrant qu'il réalise par là un véritable "travail". Ainsi, le passé peut constituer une entrave quant au bonheur présent ou même à la création de nouvelles formes dans l'avenir.

Et pourtant un homme sans mémoire semble être un homme sans avenir.

La connaissance du passé permet de prévoir l'avenir, de se connaître et de connaître l'avenir.

Si nous pouvons nous définir comme individu, c'est parce que nos expériences personnelles ont forgé notre individualité.

Pourtant, il est nécessaire pour l'équilibre de chacun de pouvoir oublier et l'oubli est en fait une fonction naturelle et innée de notre organisme.

Il ne faut dès lors pas apprendre l'oubli mais laisser notre psychisme le faire.. »

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