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Bergson: La création comme source de bonheur

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« Dans L'Énergie spirituelle (1919), Bergson distingue le plaisir comme "artifice imaginé par la nature pour obtenir de l'être vivant la conservation de la vie", de la joie, qui est le signe d'une réussite ou d'une victoire de la vie.

La joie est coextensive à la création.

La mère n'éprouve pas de plaisir à enfanter, mais de la joie qui peut donc s'éprouver dans la douleur.

L'industriel ou le commerçant qui voit prospérer ses affaires n'est pas tant joyeux de l'argent gagné que de la réussite d'une affaire ou d'une entreprise qui marche grâce à ses efforts, d'un projet solide qui voit le jour. Ce ne sont pas non plus les honneurs, les louanges ou les éloges qui procurent de la joie, mais la certitude avérée d'avoir créé quelque chose de viable et de durable. La gloire de l'artiste ou du savant qui a fait une découverte les rassure extérieurement, mais leur bonheur ne résulte que de leur création ou de leur invention même.

Cette joie du créateur est une joie divine, le bonheur peut donc, ainsi entendu, constituer le sens de toute existence humaine.

Une vie humaine prend son propre sens lorsqu'elle se fait création d'elle-même, et nous éprouvons du bonheur toutes les fois que nous réalisons par des créations diverses notre propre nature.

Le bonheur est donc coextensif à notre propre puissance de création. « En résumé, à côté de l'émotion qui est l'effet de la représentation et qui s'y surajoute, il y a celle qui précède la représentation, qui la contient virtuellement et qui en est jusqu'à un certain point la cause.

Un drame qui est à peine une œuvre littéraire pourra secouer nos nerfs et susciter une émotion du premier genre, intense sans doute, mais banale, cueillie parmi celles que nous éprouvons couramment dans la vie, et en tout cas vide de représentation.

Mais l'émotion provoquée en nous par une grande œuvre dramatique est d'une tout autre nature: unique en son genre, elle a surgi dans l'âme du poète, et là seulement, avant d'ébranler la nôtre; c'est d'elle que l’œuvre est sortie, car c'est à elle que l'auteur se référait au fur et à mesure de la composition de l'ouvrage.

Elle n'était qu'une exigence de création, mais une exigence déterminée, qui a été satisfaite par l’œuvre une fois réalisée et qui ne l'aurait été par une autre que si celle-ci avait eu avec la première une analogie interne et profonde, comparable à celle qui existe entre deux traductions, également acceptables, d'une même musique en idées ou en images. C'est dire qu'en faisant une large part à l'émotion dans la genèse de la morale, nous ne présentons nullement une «morale de sentiment».

Car il s'agit d'une émotion capable de cristalliser en représentations, et même en doctrine.

» BERGSON, « Les deux sources de la morale & de la religion », page 44 , PUF). « L’œuvre géniale est le plus souvent sortie d’une émotion unique en son genre, qu’on eût crue inexprimable, et qui a voulu s’exprimer.

Mais n’en est-il pas ainsi de toute œuvre, si imparfaite soit-elle, où entre une part de création ? Quiconque s’exerce à la composition littéraire a pu constater la différence entre l’intelligence laissée à elle-même et celle que consume de son feu l’émotion originale et unique, née d’une coincidence entre l’auteur et son sujet, c’est-àdire d’une intuition.

Dans le premier cas l’esprit travaille à froid, combinant entre elles des idées, depuis longtemps coulées en mots, que la société lui livre à l’état solide.

Dans le second, il semble que les matériaux fournis par l’intelligence entrent préalablement en fusion et qu’ils se solidifient ensuite à nouveau en idées cette fois informées par l’esprit lui-même : si ces idées trouvent des mots préexistants pour les exprimer, cela fait pour chacune l’effet d’une bonne fortune inespérée; et, à vrai dire, il a souvent fallu aider la chance, et forcer le sens du mot pour qu’il se modelât sur la pensée.

L’effort est cette fois douloureux, et le résultat aléatoire.

Mais c’est alors seulement que l’esprit se sent ou se croit créateur.

Il ne part plus d’une d’une multiplicité d’éléments tout faits pour aboutir à une unité composite où il y aura un nouvel arrangement de l’ancien.

Il s’est transporté tout à coup à quelque chose qui paraît à la fois un et unique, qui cherchera ensuite à s’étaler tant bien que mal en concepts multiples et communs, donnés d’avance dans les mots.

» BERGSON (« Les deux sources de la morale et de la religion » , pp.

43-44, PUF).. »

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