Y a-t-il des limites à la tolérance ?
Extrait du document
«
Définition des termes du sujet
La question « y a-t-il » demande que l'on tranche au sujet de l'existence ou de la non existence d'une chose donnée.
D e s limites, c e s o n t d e s bornes, des éléments posant une fin nécessaire à une chose, que c e s é l é m e n t s soient institués (et alors on pourra aussi
demander : faut-il poser des limites à la tolérance ?) ou soient cons titutifs de l'objet en question.
La tolérance peut être définie de différentes manières : elle est dans tous les cas une acceptation de l'existence de choses qui dévient par rapport à notre
propre position, mais cette acceptation peut ou bien être résignée, et alors tolérer c'est supporter, ou bien être établie de bon coeur, et alors tolérer c'est
simplement considérer que sa position n'est pas l'unique position valable et que toutes les autres positions sont au moins autant fondées que la nôtre à
exister.
La tolérance concerne des domaines de la réalité très différents : modes de vie, croyances religieuses ou politiques , points de vue en général.
Son
problème touche à la fois à l'individuel – comment accepter personnellement la différence, comment se conduire compte tenu de la variété des points de
vue ? – et au collectif – une communauté de vie doit-elle être unifiée ? O u bien doit-elle tolérer plusieurs positions sur des points importants – idées
politiques et religieuses par exemple ? Et si oui, dans quelles limites ?
Proposition de plan
I.
L'idéal absolu de la tolérance
La tolérance est largement prônée par le discours public à notre époque, comme s'il s'agissait d'une valeur fondamentale : en quoi consiste cette valeur ?
Q uel est cet idéal ? C ette première partie devra mettre en place les caractéristiques principales de la notion de tolérance sous ses différents aspects, en
posant peut-être d'emblée une difficulté majeure : quelle attitude de toléranc e avoir envers l'intolérance ? T olérer l'intolérance, c'est laisser libre champ à
ce qui peut détruire complètement la tolérance.
Locke, Lettre sur la tolérance
« La tolérance, en faveur de ceux qui diffèrent des autres en matière de religion, est si conforme à l'évangile de Jésus-C hrist, et au sens commun de tous les
hommes, qu'on peut regarder comme une chose monstrueuse, qu'il y ait des gens assez aveugles, pour n'en voir pas la nécessité et l'avantage, au milieu de
tant de lumière qui les environne.
je ne m'arrêterai pas ici à accuser l'orgueil et l'ambition des uns, la passion et le zèle peu charitable des autres.
C e sont
des vices dont il est presque impossible qu'on soit jamais délivré à tous égards ; mais ils sont d'une telle nature, qu'il n'y a personne qui en veuille soutenir
le reproche, sans les pallier de quelque couleur spécieuse, et qui ne prétende mériter ces éloges, lors même qu'il est entraîné par la violence d e s e s
passions déréglées .
»
II.
La tolérance face au réel
Si l'on confronte maintenant cet idéal aux conditions réelles de son exercice, qu'en est-il du point de vue de la question de ses limites ? Une grande
tolérance à l'égard d'idées politiques extrémistes, par exemple, peut permettre la diffusion et l'influence de ces idées sur l'ensemble de la c ommunauté
politique dans laquelle on se situe : l'idéal de tolérance est alors ruiné.
Il semble qu'il faille examiner la question des limites de la tolérance en prenant en
compte les risques que court la notion de tolérance de par le fonctionnement même des communautés humaines – l'idéal de heurte douloureusement au réel.
Freud
« Il n'est manifestement pas facile aux hommes de renonc er à satisfaire ce penchant à l'agression qui es t le leur ; ils ne s'en trouvent pas bien.
L'avantage
d'une sphère de culture plus petite - permettre à la pulsion de trouver une issue dans les hostilités envers ceux de l'extérieur - n'est pas à dédaigner.
Il est
toujours possible de lier les uns aux autres dans l'amour une assez grande foule d'hommes, si seulement il en reste d'autres à qui manifester de l'agression.
Je me suis une fois occupé du phénomène selon lequel, précisément, des communautés voisines, et proches aussi les unes des autres par ailleurs, se
combattent et se raillent réc iproquement, tels les Espagnols et les Portugais, les A llemands du Nord et ceux du Sud, les A nglais et les Écoss ais, etc.
J'ai
donné à ce phénomène le nom de " narcissisme des petites différences ", qui ne contribue pas beaucoup à l'expliquer.
M aintenant, on reconnaît là une
satisfaction commode et relativement anodine du penchant à l'agression par lequel la cohés ion de la communauté est plus facilement assurée à s e s
membres.
Le peuple des juifs , dispersé dans toutes les directions, a de cette façon grandement mérité des cultures de ses peuples d'accueil ; mais hélas !
tous les massacres de juifs au M oyen  ge n'ont pas suffi à rendre cette époque plus pacifique et plus sûre pour les chrétiens contemporains.
A près que
l'apôtre P aul eut fait de l'universel amour des hommes le fondement de sa communauté chrétienne, l'extrême intolérance du christianisme envers ceux qui
étaient restés en dehors en avait été une conséquence inévitable ; aux Romains, qui n'avaient pas fondé sur l'amour la vie publique au sein de leur État,
l'intolérance religieuse était restée étrangère, bien que chez eux la religion fût affaire d'État et que l'État fût imprégné de religion.
C e ne fut pas non plus un
hasard incompréhensible si le rêve d'une domination germanique sur le monde appela comme s on complément l'antisémitisme, et il est concevable, on le
reconnaît, que la tentative d'édifier en Russie une nouvelle culture communis te trouve son support psychologique dans la persécution des bourgeois.
O n se
demande seulement avec inquiétude ce que les Soviets entreprendront une fois qu'ils auront exterminé leurs bourgeois.
»
III.
Qu'est-ce que l'intolérable ?
Il semble alors finalement qu'il faille définir soi-même les limites de la tolérance, en trouvant un équilibre entre le maintien de l'idéal de tolérance et les
difficultés que celui-ci rencontre dans son applic ation.
Il n'y a pas de limites intrinsèques à la tolérance, mais il faut en créer de manière à ce qu'elle puisse
continuer à exister.
Il semble qu'il soit nécessaire de définir des critères de l'intolérable.
V oltaire, Traité sur la tolérance à l'occas ion de la mort de Jean Calas
« Pour qu'un gouvernement ne soit pas en droit de punir les erreurs des hommes, il es t nécessaire que ces erreurs ne soient pas des crimes; elles ne sont
des crimes que quand elles troublent la société: elles troublent cette société, dès qu'elles inspirent le fanatisme; il faut donc que les hommes commencent
par n'être pas fanatiques pour mériter la toléranc e
Si quelques jeunes jésuites , sachant que l'Eglise a les réprouvés en horreur, que les jansénistes sont condamnés par une bulle, qu'ainsi les jansénistes
sont réprouvés, s'en vont brûler une maison des P ères de l'O ratoire parce que Quesnel l'oratorien était janséniste, il est clair qu'on sera bien obligé de punir
ces jésuites.
De même, s'ils ont débité des maximes coupables, si leur institut est contraire aux lois du royaume, on ne peut s'empêcher de dissoudre leur compagnie,
et d'abolir les jésuites pour en faire des citoyens : ce qui au fond es t un mal imaginaire, et un bien réel pour eux, car où est le mal de porter un habit court au
lieu d'une soutane, et d'être libre au lieu d'être esclave? O n réforme à la paix des régiments entiers, qui ne se plaignent pas: pourquoi les jésuites poussentils de si hauts cris quand on les réforme pour avoir la paix? »
NOTE SUR LE JANSÉNISME
Le jansénisme est une forme particulièrement rigoureuse de pensée et de vie chrétienne.
Il se propose de revenir à l'enseignement de Saint A ugustin par
réaction contre le laxisme des molinis tes et des jésuites qui accordaient tant de pouvoir à la liberté de l'homme que plus rien ne restait à la puissance de
Dieu..
Le jansénisme et son austérité morale constituèrent une véritable mac hine de guerre contre les jésuites et leur système rhétorique qui leur permettait
de tout justifier y compris les actions morales les plus condamnables..
»
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