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Y a-t-il des étapes sur le chemin de la vie ?

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« A première vue notre sujet peut paraître ambigu : faut-il comprendre que la vie, telle que nous la vivons, de la naissance à la mort, est découpée en divers étapes ? Ou bien la question porte-t-elle sur le processus biochimique qui voit l'avènement de la vie ? Il nous semble que seule la seconde question pose réellement problème, comme nous le prouvent les polémiques de l'histoire des sciences lorsqu'il s'agit de savoir si la vie est le résultat d'un processus lent et analysable en étapes physico-chimiques, biologiques ou biochimiques, ou bien si elle ne peut être comprise que comme émergence, c'est-à-dire surgie d'autre chose qu'elle-même.

C e sera donc au problème de la réductibilité ou de l'irréductibilité de la vie que nous nous confronterons.

L'autre voie nous semble s'annuler d'elle-même : il ne nous paraît pas pertinent de s'interroger pour savoir si la vie, l'existence, en tant que chemin, comporte des étapes. L'hétérogénéité qualitative qui rythme les divers moments d'une même existence nous incline à admettre que l'existence comporte des étapes.

C 'est donc au chemin de la vie comme chemin vers la vie que nous nous intéresserons ici. I - Il y a des étapes sur le chemin de la vie. La vie ne saurait émerger ex nihilo de façon magique.

Postuler un hiatus infranchissable entre la vie et la matière, ainsi que le font par exemple les vitalistes, Bichat à leur tête, c'est s'interdire de comprendre comment la vie peut se former.

C'est s'empêcher de réfléchir sur son origine et se la donner toute faite.

S'interroger sur le chemin de la vie implique que l'on admette que la vie s'enracine dans autre chose qu'elle-même, en l'occurrence une matière, analysable, et donc l'organisation donnera la vie. Il faut donc reconnaître la nécessité d'une continuité entre ce en quoi la vie se préforme, soit une matière non-vivante, et la vie elle-même.

C 'est là la position du positivisme scientifique qui tente d'expliquer la vie à partir de ce qui n'est pas vivant : c'est-à-dire à partir des lois physico-chimiques valant également pour le monde de la matière inerte, minérale.

C anguilhem remarque fort à propos que c'est d'ailleurs dans la deuxième moitié du XIXe siècle, au moment où le positivisme, avec A uguste C omte comme chef de file, impose ses vues, que le problème de la réduction ou de l'irréductibilité de la vie à autre chose qu'elle-même surgit.

Penser qu'il y a une continuité entre la matière et la vie c'est assumer la réduction de la vie à des lois qui valent aussi pour la matière. Les tentatives de biologistes pour se défaire du langage de la physico-chimie paraissent d'ailleurs échouer lorsqu'ils tentent d'expliquer la formation de la vie à l'aide de lois spécifiques, l'historien des sciences A ndré Pichot remarque, dans Histoire de la notion de vie, que la naissance d'une biochimie au début du XXe siècle, semble témoigner de l'impuissance de la biologie à ne pouvoir se départir tout à fait des sciences physico-chimiques.

Il y a bien une spécificité des lois du vivant par rapport aux objets du monde inorganique, par exemple le fait, mis en évidence par Schrödinger dans What's life ? en 1943, d'une entropie négative caractéristique de la vie (les objets inorganiques se dégradent dans le temps, l'entropie est le mécanisme par lequel les éléments perdent, gagnent ou échangent de l'énergie, il apparaît que le vivant a les moyens de lutter contre l'entropie en conservant, grâce à la faculté qu'il a de se nourrir, un minimum d'énergie lui permettant d'éviter de se dégrader en une matière inerte).

C ependant il ne semble pas y avoir de spécificité de la vie relativement à son apparition, pour rendre compte de celle-ci, il faut étudier la matière et chercher comment, et en suivant quelles étapes, elle s'organise pour devenir vivante. I I - Il ne peut y avoir d'étapes sur le chemin de la vie. La perspective positiviste que nous venons d'ébaucher ne prend pas suffisamment en compte la radicale différence entre la vie et la matière.

Lorsque l'on se rend compte de la singularité de la vie par rapport au comportement d'éléments inorganiques, on voit qu'il est absurde de vouloir faire dériver la vie d'autre chose qu'elle-même en la faisant s'enraciner et se préformer dans une matière inerte.

La spécificité du vivant est déjà caractérisée par Kant dans la Critique de la faculté de juger comme capacité à l'auto-réparation, capacité illustrée notamment par la cicatrisation.

C ette seconde voie est sans doute moins scientifique que la première, et pour cause : elle empêche le scientifique d'expliquer la vie à partir des lois de la matière, elle refuse d'accorder quelque valeur de vérité aux efforts de la science pour réduire la vie à ses manifestations physico-chimiques. Les solutions apportées à l'émergence de la vie ne pourront donc qu'être idéalistes, philosophiques, voire religieuses, et seront de toute façon invérifiables.

P armi les solutions proposées, celle de Bergson, thématisée dans L'évolution créatrice se distingue comme faisant date.

La proposition de Bergson consiste à se donner ce qu'il nomme l'élan vital et qui est aussi une sorte de supra conscience, une force qui, se dégradant donnerait la matière et rentrant en conflit avec elle donnerait la vie, c'est-à-dire une matière informée, organisée, organique.

Les organes ne seraient pas des compositions matérielles échafaudées sur un modèle artisanal, partie après partie, mais autant de signes du conflit opposant l'élan vital à la matière, la matière, faisant obstacle à l'élan vital, se changerait en organe sous son impulsion.

L'organe, le vivant, ne serait donc pas le signe d'une composition harmonieuse, dont on pourrait louer un Dieu pour sa perfection, mais le signe d'un conflit. O n le voit, de telles explications, celle de Bergson ayant été schématisée à très gros traits, pèchent en cela qu'elles se donnent d'emblée la vie, ici sous la forme d'un élan vital.

Les explications théologiques ont le même défaut, la vie y est une sorte d'attribut que Dieu est susceptible de donner aux êtres de sa création.

Qu'il s'agisse de théologie ou de métaphysique la question de l'origine de la vie, de ses conditions de possibilités, est en fait évitée puisque la pensée se donne d'emblée la vie.

La volonté de défendre une irréductibilité de la vie à la matière est louable mais son versant positif n'est pas très économique au sens où il oblige la formation d'hypothèses métaphysiques invérifiables. I I I - Problèmes éthiques. Les débats idéologiques pour savoir ce qu'il en est du chemin de la vie : est-il constitué d'étapes ou consiste t-il davantage en une sorte de saut, est-il continu ou discontinu, ne saurait ici être tranché.

Nous espérons en avoir suffisamment souligné la valeur polémique.

Nous voudrions maintenant montrer, brièvement, en quoi un tel problème excède ses seuls enjeux scientifiques.

Le problème du chemin de la vie se pose également dans le champ de l'éthique, et l'actualité en témoigne justement. En effet, récemment un décret a été adopté qui autorise les parents d'un enfant mort-né à enregistrer ce dernier à l'état civil, à lui donner un nom et à l'enterrer en tant que personne à part entière.

Une telle mesure, émise pour répondre à la détresse de familles, n'est pas sans poser de graves difficultés.

En effet, les partisans de l'avortement s'inquiètent de ce que le statut de personne pourrait être accordé au fœtus, c'est-à-dire la caractéristique de vivant, auquel cas l'avortement deviendrait légalement le crime d'une personne et serait puni par la loi. Si l'on postule qu'il n'y a pas d'étapes sur le chemin de la vie, c'est-à-dire que le fœtus possède d'emblée sa propre vie, et qu'il n'est pas seulement une excroissance biochimique du corps maternel, se posent alors bien des problèmes pour les défenseurs de la liberté d'avorter.

C 'est seulement en considérant qu'il y a des étapes sur le chemin de la vie, au sens d'un processus menant l'embryon à une autonomie suffisante pour le considérer comme un vivant à part entière (différent de la mère), que l'on se donne les moyens d'empêcher des dérives idéologiques conduisant à la contestation du bien-fondé de l'avortement.

Jusqu'à présent cette autonomie n'était validée que si le nouveau-né était viable une fois l'accouchement terminé.

Dire que l'embryon appartient, pour son propre compte, au règne des vivants, c'est faire face à des difficultés éthiques considérables. Conclusion : La question de savoir s'il y a des étapes sur le chemin de la vie se divise donc en problèmes scientifiques, métaphysiques ou encore éthiques.

Dire qu'il y a des étapes c'est à la fois réduire la vie à autre chose qu'elle-même et se donner l'assise théorique nécessaire pour dire que le fœtus par exemple n'est pas encore un vivant autonome et ne saurait donc prétendre au statut de personne.

Nier qu'il y ait des étapes sur le chemin de la vie paraît philosophiquement plus satisfaisant en cela que l'irréductibilité du phénomène de la vie à ses manifestations physico-chimiques est maintenue ; en revanche, sur le plan éthique, cela peut mener à des difficultés.

En effet, si la vie du fœtus est de même nature qualitative que celle de l'homme, déterminer où commence la personne semble arbitraire au point que l'on est tenté de la faire commencer dès la formation du fœtus, ce qui fait donc évidement problème.. »

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