Une connaissance métaphysique est-elle possible ?
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«
Ce mot grec, « méta ta phusika », désigna tout d'abord dans l'édition des oeuvres d'Aristote d'Andronikos de Rhodes
la série des quatorze livres qui viennent « après » (méta) les livres de Physique.
Or ces ouvrages sont consacrés
aux problèmes de la philosophie première : problème de l'être en tant qu'existant, des divers genres de causes, de
Dieu moteur immobile du monde.
Il se trouve que le mot métaphysique, qui voulait désigner la place de ces
ouvrages, convient aussi pour exprimer leur nature ; car méta veut dire non seulement « à la suite de » mais encore
« au-dessus de ».
L'objet de la métaphysique serait donc la connaissance de ce qui ne tombe pas sous les sens, de
ce qui est au-dessus de la nature sensible (physis) explorée par les sciences expérimentales.
Le domaine
métaphysique, si nous suivons les suggestions de cette étymologie lumineuse quoique fortuitement signifiante serait
littéralement le domaine sur-naturel.
Toutefois la métaphysique n'est pas la religion, encore qu'elles portent sur les
mêmes questions (Dieu, l'âme, la destinée humaine).
Car la méthode diffère.
La religion repose sur la Révélation, sur
la Parole de Dieu transmise dans les textes sacrés la métaphysique se donne en revanche pour un système de
connaissances rationnelles.
Descartes, dans l'Épître dédicatoire des Méditations, donne pour objet à la
métaphysique, la connaissance de Dieu et de l'âme par u raison naturelle ».
Le problème est de savoir si la raison est capable d'une connaissance
suprasensible.
A cette question les grands philosophes classiques répondent par l'affirmative.
Pour eux la raison humaine peut connaître la réalité absolue.
C'est l'expérience
sensible qui est mensongère, qui constitue un monde d'apparences
trompeuses que la raison doit dépasser pour découvrir l'Être, tel qu'il est en
soi.
Leur métaphysique est une ontologie, une connaissance de l'Être.
Le mythe de la caverne, chez Platon, symbolise la conversion de l'âme à la
métaphysique.
Les hommes sont d'abord semblables à des prisonniers,
enchaînés dans une caverne, le dos tourné vers l'ouverture, les yeux fixés sur
la paroi.
Ils ne voient rien de ce qui se passe au dehors, ils ont pour tout
spectacle les ombres mouvantes sur la muraille, qu'ils prennent pour des
choses réelles.
Mais supposons qu'un de ces prisonniers soit brusquement
arraché à la caverne et transporté à l'extérieur, en pleine lumière.
D'abord
ébloui, il s'accoutume petit à petit au monde ensoleillé qui symbolise les idées
éternelles, patrie du philosophe...
Avant de tomber dans la prison du corps
l'esprit pouvait contempler les Idées sans effort : après la chute, les Idées
lumineuses, antérieures à notre expérience terrestre, demeurent intérieures à
notre esprit comme un souvenir nostalgique et un peu confus, mais que nous
sommes capables d'évoquer grâce à l'initiation philosophique, au progrès
dialectique qui arrache « l'oeil de l'âme » au bourbier des sens.
Socrate invitait ses disciples à définir la vertu, le courage, la science, c'est-à-dire à chercher des concepts
abstraits et généraux.
Pour Platon ces concepts de notre esprit ne sont que le reflet d'Idées éternelles existant en
soi.
L'Idée est la substance même de l'Être.
La posséder c'est connaître l'absolu.
Les philosophes du XVIIe siècle adoptent ce rationalisme ontologique.
Pour Descartes, les « idées innées » qui sont
de véritables intuitions intellectuelles ont été déposées en notre esprit par Dieu même.
Et c'est Dieu qui garantit la
valeur de ces « semences de vérité » que tout le processus de la connaissance ne fait que développer.
De même, si Spinoza accorde à l'évidence intellectuelle la valeur d'une connaissance absolue, c'est parce que toute
pensée claire et distincte est coïncidence avec la Pensée divine à l'oeuvre dans l'univers.
Dans ce système, comme
on l'a souvent dit, «toute vraie pensée est une pensée vraie ».
Autrement dit, lorsque je pense c'est Dieu qui pense
en moi ; et cette connaissance divine est une connaissance absolue car l'opération par laquelle Dieu pense ne fait
qu'un avec l'opération par laquelle les choses réelles sont produites :
L'ordre et la connexion des idées sont les mêmes que l'ordre et la connexion des choses ».
« Notre âme étant une
partie de l'entendement de Dieu, il est nécessaire que les idées claires et distinctes de notre âme soient vraies
comme celles de Dieu ».
Toutefois ces ambitions ontologiques se révèlent à l'épreuve décevantes, car il y a autant de métaphysiques que de
métaphysiciens, comme Kant en fait la remarque.
Descartes, Leibniz ou Spinoza croient que nous disposons
d'intuitions intellectuelles qui nous révèlent l'essence même des choses.
Mais leurs trois systèmes métaphysiques
sont différents et inconciliables.
Tandis que les savants prouvent leurs propositions — qui finissent toujours par faire
l'accord des esprits compétents — les métaphysiciens discutent indéfiniment sans se convaincre.
Pourquoi cet échec des métaphysiques ? Kant répond : parce que nous ne disposons pas d'intuitions intellectuelles.
Le seul donné de la connaissance, c'est le sensible.
L'absolu, le « noumène », nous échappe.
Nous ne connaissons le
monde que réfracté à travers les cadres subjectifs de l'espace et du temps ; nous ne connaissons que des
phénomènes.
Certes, l'entendement (Verstand), grâce à ses catégories, peut mettre de l'ordre dans ces apparences
et construire une science ; mais au-delà de ce « rêve bien lié » la connaissance est impuissante.
Si la raison
(Vernunft) veut poursuivre son effort de liaison et d'unification au-delà de l'expérience sensible, elle ne rencontre
que le vide et se perd dans les « antinomies » métaphysiques.
Le métaphysicien est pareil à une colombe naïve qui
sentant dans son vol la résistance de l'air « pourrait s'imaginer qu'elle volerait bien mieux encore dans le vide ».
Ainsi
Platon veut-il évacuer l'obstacle du sensible et voyager « sur les ailes des Idées dans les espaces vides de la Raison
pure ».
C'est là une ambition chimérique.
L'entendement scientifique est à jamais voué à « épeler les phénomènes »
tandis que la raison métaphysique est condamnée à tourner à vide.
Le savant a le droit de dire que l'échauffement
est la cause de la dilatation car ces deux phénomènes sont donnés dans l'expérience sensible spatio-temporelle et
l'entendement n'a plus qu'à les relier.
Mais lorsque le métaphysicien prétend qu'il y a une cause du monde qui est
Dieu, il abuse de la causalité car il sort de l'expérience, il imagine gratuitement quelque chose en dehors du monde..
»
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