Travail et nature ?
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«
VOCABULAIRE:
NATURE :
1° L'inné par opposition à l'acquis (nature opposée à culture, ou chez les anthropologues anglo-saxons nature opposée à nurture); 2°
Essence, ensemble des propriétés qui caractérisent un objet ou un être (la nature de l'homme par exemple); 3° L'ensemble des
phénomènes matériels, liés entre eux par des lois scientifiques.
En ce sens, le naturel peut s'opposer au surnaturel qui désigne une
intervention transcendante de la divinité; 4° Spinoza distingue la nature naturante, c'est-à-dire la substance infinie et la nature naturée,
les divers modes par lesquels s'exprime cette substance.
Le mot nature est ambigu.
Le naturalisme du xviiie siècle par exemple est
contradictoire.
D'une part son épistémologie réduit la nature à un mécanisme (des faits soumis à des lois nécessaires) indifférent aux
valeurs humaines.
D'autre part, sa morale prétend se fonder sur la nature, c'est-à-dire sur des tendances spontanées, supposées bonnes;
la nature devient alors la Mère-Nature, une sorte de providence bienveillante.
TRAVAIL: Du latin populaire tripalium, «machine à trois pieux » destinée à immobiliser les chevaux pour les ferrer, d'où « instrument de
torture ».
Toute activité visant à la production d'une oeuvre utile.
Spécialement, ensemble des activités accomplies par l'homme pour produire des
biens et des services en contrepartie desquels il est rémunéré.
• Le travail est souvent associe a la peine et a la souffrance.
Dans la Bible d'ailleurs, Dieu punit le premier péché en chassant Adam du
jardin d'Eden et en l'obligeant à cultiver désormais une terre stérile : « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front ».
• Pour Marx, le
travail humain contribue à transformer l'homme tout autant que la nature.
En effet, contrairement à l'animal, qui agit par pur instinct,
l'homme détermine dans sa conscience le but qu'il veut atteindre avant de le réaliser.
« Ce qui distingue dès l'abord le plus mauvais
architecte de l'abeille la plus experte, écrit Marx, c'est qu'il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche.
» • Le
travail salarié constitue, selon Nietzsche, « la meilleure des polices » : « il tient chacun en bride et s'entend à entraver puissamment le
développement de la raison, des désirs, du goût de l'indépendance ».
Le travail humain est une activité qui suppose la représentation du rapport entre une fin et les moyens de l'atteindre.
L'homme y est
confronté à la nature extérieure et à sa propre nature.
En travaillant, il transforme l'une et l'autre.
Cependant, cette activité tient-elle à la
simple nécessité pour l'homme d'assurer sa survie, ou à son désir et à sa liberté de bâtir son monde ?
Travail et mort
Lutter contre la nature tient tout d'abord à la condition d'existence faite à l'homme.
Sa nature le met dans un état de dépendance et de
faiblesse.
Ne disposant pas de biens naturels infinis, il doit tirer, extraire, arracher à la nature de quoi vivre.
Il lui faut transformer celle-ci
: cela nous conduit à penser que c'est la nature qui impose à l'homme une nécessité naturelle du travail.
Elle serait donc
fondamentalement hostile à l'homme.
Derrière cette nécessité se profile la mort : nous travaillons pour vivre.
Le travail humain est une
résistance opposée à la mort.
Le travail s'oppose à la nature, mais il s'y oppose vainement puisque nous finirons par mourir.
On peut
ainsi comprendre l'idée d'une dévalorisation du travail, qui nous rappelle notre misérable existence.
Travail et vie
Cependant, la nature est ce qui nourrit l'homme, d'où, dans les mythes anciens, l'image d'une « terre nourricière ».
La nature ne serait
pas seulement ce qui s'oppose à notre vie, mais ce qui la favorise.
Il y a donc une ambiguïté : elle nous voue à une fin certaine tout en
rendant possible notre vie terrestre.
Cela justifierait les soins que l'homme peut lui porter et expliquerait même la dévotion particulière
dont elle est l'objet dans les mythes et les religions.
Mais elle reste avare de ses biens et de ses bienfaits.
Leur rareté nécessite de
l'homme un travail efficace.
Il ne peut se contenter de ce qu'elle lui offre : la médiation d'une technique s'avère décisive dans la manière
dont l'homme adapte la nature à ses besoins.
Il lui faut s'affirmer doublement : a) en affirmant sa supériorité technique sur la nature ; b) en affirmant sa propre nature par sa
domination technique.
La technique ne s'explique pas seulement par la faiblesse de notre condition.
Elle manifeste une ingéniosité de l'être pensant, qui
parvient à détourner la nature à son avantage.
Travail et désir
Ce second aspect du rapport travail-nature est le plus complexe.
Si les hommes travaillent, c'est d'abord parce qu'ils doivent répondre à
des besoins.
Le besoin crée un état de manque perpétuel qui nécessite une organisation rationnelle du travail, dont le progrès technique
n'est qu'un aspect.
La pensée est prévoyance et l'organisation du travail en vue de pourvoir aux manques relève d'un souci proprement
humain : celui de vivre hors de l'angoisse de la mort.
Mais le besoin est-il la seule origine du travail humain ? Ne peut-on faire une place
au désir de travailler ?
Transformer la nature laisse supposer qu'il y a désir de la transformer.
Que trouve donc l'homme dans l'accomplissement d'un tel désir ?
Il y gagne la conscience de ce qu'il est en faisant de la nature le produit de son opération (activité) ; l'homme anticipe, adapte et donc
connaît.
Le travail est ainsi un savoir en marche.
La pensée constitue le ressort du rapport de l'homme et de la nature par la médiation du
travail.
Encore faut-il que l'homme veuille travailler.
Le travail est le moyen par lequel l'homme peut être reconnu dans son humanité.
Il y
gagne une place sociale et c'est pourquoi son absence peut avoir des conséquences si dramatiques.
Le désir de reconnaissance serait
ainsi le ressort ultime du travail, permettant à l'homme de se mesurer à d'autres hommes.
Ce n'est plus la lutte contre la nature qui est
déterminante, mais la lutte entre les hommes.
Ce n'est plus seulement un manque à vivre qui justifie le travail, mais un manque à vivre
humainement, en rapport et même en concurrence avec d'autres hommes.
Néanmoins, le travail seul rend-il possible cette reconnaissance
de notre valeur personnelle ?
Travail et amour
Toutes les activités humaines peuvent être l'occasion pour l'homme de satisfaire son désir d'être reconnu, même si le travail est
certainement un moyen privilégié de prendre place dans la société.
Mais il serait réducteur de dire que le travail n'est rien d'autre que du
travail salarié et de croire que l'importance de celui-ci suffit à en comprendre la valeur complète.
La moindre activité peut être l'occasion
d'une lutte pour la reconnaissance.
L'hypothèse d'une paresse naturelle de l'homme est même, en ce sens, inutile : les hommes ne
rechignent pas à travailler lorsqu'ils aiment ce qu'ils font.
Si l'on observe les hommes dans leurs jeux ou leurs loisirs, nous trouvons qu'ils
peuvent se dépenser sans compter.
Le jeu n'est pas un travail dira-t-on : mais n'est-il pas, lui aussi, une manière d'aimer faire et d'être
reconnu par d'autres dans ce faire lui-même ? de produire sa vie et sa personne ?
La notion de travail s'avère peut-être trop restreinte pour parvenir à penser le rapport de l'homme à l'activité et à l'action.
Appropriation
réelle et symbolique du monde et de soi, l'activité pourrait alors désigner l'ensemble des travaux humains et la possibilité pour l'homme
de donner un sens à sa vie..
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