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Le travail nous éloigne-t-il de la nature ?

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« Pour répondre à cette question, il conviendra de se demander de l'importance de l'opposition entre deux conceptions du travail, celle qui voit dans le travail un bien, un nécessaire éloignement de la nature pour la formation même de la conscience.

De l'autre une conception qui voit dans cet éloignement un mal, un oubli de la nature, un impérialisme, une emprise exercée sur elle et une aliénation de l'homme par le travail, c'est-à-dire le sentiment d'être étranger à soi et aussi à la nature.

Entre la tradition issue de Hegel et celle de Marx, notre civilisation devra trouver une troisième voie. 1) La dialectique du maître et de l'esclave de Hegel : le nécessaire éloignement de la nature. On remarque que l'identité absolue à soi ne peut être immédiate car elle implique jusque là un dépassement de l'immédiateté sensible, ainsi que la manifestation de soi face à un autre en tant que libre et indépendant du sensible.

Dans le rapport du maître et du valet, l'une des deux consciences, celle du maître, prônera la liberté au détriment de la vie immédiate, et l'autre, celle du valet, choisira la vie et non la liberté, dans la mesure où elle n'a pas pu se délivrer de son être sensible pour atteindre l'autonomie.

Etant sous l'emprise du maître, la conscience servile se voit appartenir à un autre, alors même qu'avant le procès de la reconnaissance, les deux consciences se reconnaissaient comme se reconnaissant mutuellement.

De l'égalité est donc apparue une non égalité essentielle et existentielle, puisqu'une des consciences sera celle qui est reconnue, alors que l'autre celle qui reconnaît, la première atteignant sa vérité dans la manifestation à l'autre de son autonomie.

Kojève montrera dans son commentaire de la section (a) du chapitre IV de la Phénoménologie, que le rapport entre maître et esclave n'est pas une véritable reconnaissance.

En effet, il souligne que la reconnaissance est unilatérale car maître et esclave ne reconnaissent que le maître, et ce dernier est de surcroît reconnu par quelqu'un qu'il ne reconnaît pas.

D'où « l'insuffisance », « le tragique », pour Kojève, qui voit bien que « l'attitude du maître est une impasse existentielle », car il est reconnu par un esclave qu'il considère comme une chose, et cela ne semble effectivement pas rendre compte d'un désir portant sur un objet non-naturel, mais bien plutôt d'un désir portant sur une chose : « le maître a donc fait fausse route ».

Alors la vérité de la conscience autonome s'avère être la conscience servile du valet, et il s'ensuit que ce dernier par le refoulement en soi incarnera l'autonomie véritable.

Au départ, le maître est l'essence pour le valet, et la vérité est selon lui la conscience de soi autonome.

Cependant le valet a fait l'expérience de l'essence, car « cette conscience, en effet, a eu peur non pour telle ou telle chose, ni en tel ou tel instant, mais pour son essence tout entière ; car elle a ressenti la crainte de la mort, de ce maître absolu.

Elle y a été dissoute intérieurement, parcourue de part en part en elle-même par ce frisson, et tout ce qui était fixe en elle a tremblé.

» Cette expérience du pur être pour soi, « de la fluidification absolue de toute préexistence », pour la conscience du valet, représente l'essence simple de la conscience de soi. Par cette expérience, il comprend qu'il n'y a rien de fixe en lui et qu'à la différence du maître qui a risqué sa vie et qui maintenant se fige dans sa condition, il est prêt au changement.

Kojève soutient bien que l'esclave est la figure du mouvement, du dépassement, et qu'il est dans son essence et son existence même le « devenir historique ».

Et le travail permettra à cette conscience de se détacher de son existence naturelle, car en servant, elle supprime dans tous les moments singuliers son adhésion à l'être-là naturel, et en travaillant l'élimine.

La dissolution universelle de tout ce qui est fixe, stable et donné chez le valet s'accomplit effectivement de manière concrète dans le service.

A la différence du maître pour qui la satisfaction est un état disparaissant, Le valet façonne l'objet, contient l'évanescence pour qu'en demeure une forme, il est « l'activité qui donne forme […] le pur être pour soi de la conscience qui accède désormais, dans le travail et hors d'elle-même, à l'élément de la permanence ; la conscience travaillante parvient donc ainsi à la contemplation de l'être autonome, en tant qu'il est elle-même.

» La crainte du maître ainsi que le travail permettront au valet d'atteindre l'être pour soi, car avant cela il n'est qu'objet pour le maître.

Désormais le valet est par le travail maître de la nature, et n'y est plus subordonné comme il l'était lors de son état animal.

Le travail est libération de soi vis-à-vis de la nature donnée, mais aussi vis-à-vis de sa propre nature d'esclave.

Le travail éduque l'homme en refrénant ses désirs, à la différence du maître qui jouit insatiablement de ce qu'il désire.

Le valet se voit contraint de refouler ses désirs, sa nature instinctive, et les sublime dans la transformation des choses, et non dans la destruction immédiate.

Cette « activité formative » est la caractéristique de l'être pour soi pur de la conscience, où la conscience aura l'intuition d'elle-même dans ce qu'elle contemple, en ce sens que la réalisation de la chose est le produit de la conscience façonnante, son idée, son projet.

C'est en transformant le monde naturel selon ses intentions que l'homme prend conscience de sa valeur, de sa réalité humaine initiatrice de progrès et de dynamisme dans le temps et dans l'espace, dans l'Histoire et dans le Monde.

L'activité du travail est aussi fonction de libération de la peur, de l'angoisse que le valet a éprouvé depuis sa lutte avec le maître.

Le maître incarne la peur pour le valet qui le sert, et il est inutile ici de justifier qu'il en va dans ce comportement contre cette idée couramment admise qu'aimer c'est servir (du fait du service unilatéral, il semble évident que servir ici ne peut coïncider avec l'amour du valet envers le maître.

Il y a ici un service inauthentique, comme celui du sujet envers un Dieu qu'il craint).

Il y a donc un rapport essentiellement angoissé au travail, qui requiert l'être entier du valet, qui embrase toute son essence, et pourtant « ce qui importe dans le service, c'est le travail, fondé sur l'angoisse, au service du maître », car « sans la discipline du service et de l'obéissance, la crainte en reste au niveau formel et ne se répand pas sur l'effectivité consciente de l'existence ».. »

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