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Sans nos échanges, que serait la beauté ?

Extrait du document

« On assimile trop souvent le sentiment de la beauté à un simple sentiment intérieur, à un pur plaisir égoïste.

Cela serait ignorer que ce sentiment a été forgé par la civilisation, par la culture et donc par les hommes.

Les critères de la beauté sont relatifs à l'époque et sont donc forgé par la société.

Il n'y a pas de critères de la beauté en soi qui serait au-dessus des changements historiques.

L'histoire est faite elle-même de débats houleux sur ce qui mérite le nom de « beau ».

Qu'est-ce qui constitue véritablement la beauté ? Les échanges fondent notre sentiment de la beauté. Le beau semble complètement relatif et ne s'attacher qu'à la sensation de la personne.

On ne pourrait expliquer intellectuellement ce que l'on ressent face à un œuvre d'art.

Souvent les individus ne peuvent dire pourquoi ils trouvent une œuvre d'art belle.

Le beau serait indicible, il transcenderait le langage.

En effet, comment décrire nos sensations en voyant la chapelle Sixtine ? S'il n'y a pas de langage, il ne peut y avoir de pensée.

Mais il serait limité de s'en arrêter là.

Le beau est un sentiment qui se communique.

Le beau, ditil, est sans concept ; impossible de définir ce qu'est le beau en soi, et donc de donner des règles qui en garantissent la production ; le jugement de goût est toujours singulier, il ne dit pas que les roses sont belles, mais que cette rose est belle.

Et il ne justifie pas, il exprime simplement le plaisir que nous prenons à percevoir la chose belle.

Ce plaisir est à la fois le ressort et le critère du jugement. Critère subjectif, donc ; et, en effet, le plaisir à son tour exprime l'état du sujet, l'harmonie de ses facultés dans leur libre jeu.

En disant que l'objet est beau, je ne sais et je ne dis rien de lui, je parle de moi, et j'affirme que ma perception est heureuse.

Est-ce à dire que le beau soit totalement relatif ? Un certain historicisme le suggère, et c'est lui sans doute qui, avant et après Kant, a dû ébranler les certitudes dogmatiques.

Le subjectivisme finit ainsi par annuler le jugement de goût.

Or, Kant s'est bien gardé d'aller jusque-là ; pour lui, le jugement de goût, même s'il ne peut se justifier par quelque concept, revendique l'universalité ; en prononçant ce jugement, j'affirme que tous doivent le prononcer comme moi.

Dans la Critique de la faculté de juger , il écrit : « Mais ce que j'arrache ainsi à la relativité de l'histoire, ce n'est pas une idée du beau, ou un art poétique, c'est une idée de l'homme ; ce que je promeus à l'universel, c'est le sentiment que j'éprouve devant le beau, dont je postule que tous doivent l'éprouver : j'affirme que tous les hommes sont semblables, qu'il y a en eux une nature transcendantale universelle, je suppose que « chez tous les hommes les conditions subjectives de la faculté de juger sont les mêmes [...] car sinon les hommes ne pourraient pas se communiquer leurs représentations et leurs connaissances ».

Qu'est-ce à dire ? Que sans concept, on peut discuter à l'infini sur une œuvre d'art car il n' y aura pas d'accord sur des données stables possibles.

Chacun pourra aller selon ses raisons au sujet des œuvres d'art suivant les sentiments qu'il sentira face à une œuvre. 2) Le caractère social de la beauté. Le goût, en effet, désigne, d'une part, un « don » personnel, d'autre part un phénomène collectif, l'orientation d'une société ou d'un milieu vers certaines formes d'art nettement déterminées ; c'est la faculté d'éliminer, de choisir, de créer des associations heureuses, qui naît d'une certaine intuition de la qualité, de la « saveur » des choses, parallèle en somme à celle qui s'exerce sur le plan sensoriel et gastronomique.

Le goût personnel est, en quelque sorte, un sixième sens, la faculté de déceler la beauté d'une forme, au-delà d'adjonctions extérieures disparates et en faisant abstraction de l'opinion d'autrui.

Le goût c'est l 'intuition de l'harmonie, le sens des couleurs et des rythmes .

L'art de susciter des accords satisfaisants, de mettre en valeur les éléments rares ou précieux d'un ensemble à première vue sans accents particuliers.

Chaque personnalité établit spontanément une sélection dans le « matériel » intellectuel ou visuel mis à sa portée.

La mémoire enregistre, élimine, crée des hiérarchies.

Et ce choix, déterminé par le goût, modifie l'environnement individuel, influence les choix ultérieurs et développe les tendances majeures de la personnalité.

Il n'en reste pas moins que l'œuvre des peintres, des sculpteurs, des architectes peut exercer une influence décisive sur le goût, soit que les artistes s'imposent d'eux-mêmes et imposent leur propre conception de la beauté, soit qu'ils se trouvent mis en vedette, protégés, imposés par les puissants du jour.

Citons encore une fois Voltaire : « Le goût se forme insensiblement dans une nation qui n'en avait pas parce qu'on y prend peu à peu l'esprit des bons artistes.

On s'accoutume à voir les tableaux avec les yeux de Le Brun, du Poussin, de Le Sueur ; on entend la déclamation notée des scènes de Quinault avec l'oreille de Lulli, et les airs, les symphonies, avec celle de Rameau.

On lit les livres avec l'esprit des bons auteurs.

» Quant à l'art de cour, des palais minoens aux salons de la princesse Mathilde, certes il impose un style, mais il oriente aussi le goût, d'abord dans le pays où il est né, puis partout où s'exerce l'influence de celui-ci. Aussi le critère pour juger d'un œuvre d'art sera le bon goût, en somme l'harmonie, le respect d'une certaine décence, une certaine normalité.

C'est donc la société qui forme le goût pour la beauté, sans un échange social, il semble difficile de juger la beauté. 3) Un pourvoir de l'œuvre elle-même. On se demandera pourquoi une œuvre est reconnue comme œuvre d'art, et parfois même donnée en exemple.

Sans doute parce qu'elle a subi victorieusement l'épreuve de la critique : elle satisfait aux normes qui prévalent, et qui constituent les critères de la beauté, car l'idée de beauté est encore une idée normative.

Ces règles, ce sont les experts – académiciens, chefs d'école, princes – qui les instaurent du haut de leur fauteuil ou de leur trône.

Mais pas arbitrairement : ces experts qui orientent l'opinion du public sont euxmêmes orientés par elle ; plus exactement, ils sont sensibles au système des valeurs qui règne dans leur société et qui spécifie sa vision du monde, autrement dit son idéologie.

Car les valeurs esthétiques s'inscrivent dans un système plus large auquel elles s'accordent, surtout dans les sociétés où l'art est spontanément le moyen d'initier et d'intégrer l'individu à la culture.

Une sociologie de l'art doit repérer les corrélations qui s'établissent entre les exigences auxquelles l'œuvre est soumise, d'une part, les structures sociales, les normes juridiques et les impératifs moraux, d'autre part (ce qui n'exclut nullement, bien sûr, une nouvelle mise en relation de ce système avec le système de la production).

Mais la normativité n'est pas seulement le fait des pouvoirs ou de l'idéologie ; elle est aussi le fait de l'œuvre elle-même.

Comme pour un organisme qui instaure ses propres normes et vise à se maintenir « en forme », l'œuvre semble tendre à s'accomplir selon une nécessité interne ; beauté, c'est pour elle santé, ou, si l'on préfère, passage de l'essence à une pleine existence ; c'est ce qu'indiquent des prédicats comme « parfait », « achevé », « accompli », et aussi les termes par lesquels on a si souvent tenté de définir la beauté : « clarté », « plénitude », « équilibre », « harmonie ».

L'œuvre, c'est cet objet clos qui se suffit à lui-même, qui se pose et s'impose avec la force de l'évidence, pour le bonheur de qui la contemple.

Le véritable plaisir esthétique serait solitaire mais il serait fondé socialement, on ne pourrait connaître de beauté sans échange véritable. Conclusion. Croire que la beauté serait un sentiment purement subjectif serait une illusion.

C'est un sentiment fondé socialement par les échanges des hommes dans le cadre du plaisir esthétique face à une œuvre d'art et d'autres parts dans les cadres institutionnels, culturels.

Audelà du simple dogmatisme, la beauté fait débat et suscite des réactions qui forment le goût des individus.

Sans les échanges, la beauté serait un vain mot.. »

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