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ROUSSEAU: L'éducation d'Emile

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Émile, ayant peu réfléchi sur les êtres sensibles, saura tard ce que c'est que souffrir et mourir. Les plaintes et les cris commenceront d'agiter ses entrailles ; l'aspect du sang qui coule lui fera détourner les yeux; les convulsions d'un animal expirant lui donneront je ne sais quelle angoisse avant qu'il sache d'où lui viennent ces nouveaux mouvements. S'il était resté stupide et barbare, il ne les aurait pas; s'il était plus instruit, il en connaîtrait la source : il a déjà trop comparé d'idées pour ne rien sentir, et pas assez pour concevoir ce qu'il sent. Ainsi naît la pitié, premier sentiment relatif qui touche le coeur humain selon l'ordre de la nature. Pour devenir sensible et pitoyable, il faut que l'enfant sache qu'il y a des êtres semblables à lui qui souffrent ce qu'il a déjà souffert, qui sentent les douleurs qu'il a senties, et d'autres dont il doit avoir l'idée comme pouvant les sentir aussi. En effet, comment nous laissons-nous émouvoir à la pitié, si ce n'est en nous transportant hors de nous et nous identifiant avec l'animal souffrant, en quittant pour ainsi dire, notre être pour prendre le sien ? Nous ne souffrons qu'autant que nous jugeons qu'il souffre; ce n'est pas dans nous, c'est dans lui que nous souffrons. Ainsi, nul ne devient sensible que quand son imagination s'anime et commence à le transporter hors de lui. Pour exciter et nourrir cette sensibilité naissante, pour la guider et la suivre dans sa pente naturelle, qu'avons-nous donc à faire, si ce n'est d'offrir au jeune homme des objets sur lesquels puisse agir la force expansive de son coeur, qui le dilatent, qui l'étendent sur les autres êtres, qui le fassent partout retrouver hors de lui ; d'écarter avec soin ceux qui le resserrent, le concentrent, et tendent le ressort du moi humain; c'est-à-dire, en d'autres termes, d'exciter en lui la bonté, l'humanité, la commisération, la bienfaisance, toutes les passions attirantes et douces qui plaisent naturellement aux hommes, et d'empêcher de naître l'envie, la convoitise, la haine, toutes les passions repoussantes et cruelles, qui rendent, pour ainsi dire, la sensibilité non seulement e, mais négative, et font le tourment de celui qui les éprouve? ROUSSEAU

« PRESENTATION DE L'OUVRAGE "EMILE OU DE L'EDUCATION" DE ROUSSEAU: L'Émile est un livre inclassable, qui emprunte aussi bien aux genres du traité, de l'essai que de la fiction romanesque et même de la confession.

Pour Rousseau (1712-1778), l'éducation' est une notion si complexe qu'on ne peut en faire la théorie systématique, ni la réduire à une collection de préceptes.

Publié simultanément au C ontrat social, l'Émile apparaît comme son nécessaire contrepoint dans la mesure où il ne cherche p a s à faire de l'individu un citoyen mais d'abord un homme.

Prenant acte du déchirement, propre à la modernité, entre l'homme et le citoyen, Rousseau va proposer une anthropologie de l'individu politique en suivant les âges de la vie, du nourrisson jusqu'à l'adulte.

Partant du fait de la liberté et de la bonté naturelle, Rousseau va conduire Émile, pas à pas, à vivre moralement dans la société des hommes. C ontrairement aux théories de l'éducation créatrice (Helvétius, Locke...), Rousseau ne considère pas l'éducation comme une « seconde nature » mais comme une continuation de la nature par tous les détours possibles et imaginables.

Le problème devient un paradoxe quasiment insurmontable puisqu'il s'agit de socialiser l'homme sans le « dénaturer », l'éduquer sans le déformer. C omment élever l'homme à la culture sans sortir de la nature ? Pour répondre à un tel paradoxe, il va s'agir d'écarter l'éducation des mains des seuls éducateurs en prenant pour norme ultime la Nature elle-même ; vouloir la seconder serait une erreur, il faut seulement la suivre sans quoi, comme se plaît à le dire souvent Rousseau, « tout est perdu » Émile, ayant peu réfléchi sur les êtres sensibles, saura tard ce que c'est que souffrir et mourir.

Les plaintes et les cris commenceront d'agiter ses entrailles ; l'aspect du sang qui coule lui fera détourner les yeux; les convulsions d'un animal expirant lui donneront je ne sais quelle angoisse avant qu'il sache d'où lui viennent ces nouveaux mouvements.

S'il était resté stupide et barbare, il ne les aurait pas; s'il était plus instruit, il en connaîtrait la source : il a déjà trop comparé d'idées pour ne rien sentir, et pas assez pour concevoir ce qu'il sent. Ainsi naît la pitié, premier sentiment relatif qui touche le coeur humain selon l'ordre de la nature.

Pour devenir sensible et pitoyable, il faut que l'enfant sache qu'il y a des êtres semblables à lui qui souffrent ce qu'il a déjà souffert, qui sentent les douleurs qu'il a senties, et d'autres dont il doit avoir l'idée comme pouvant les sentir aussi.

En effet, comment nous laissons-nous émouvoir à la pitié, si ce n'est en nous transportant hors de nous et nous identifiant avec l'animal souffrant, en quittant pour ainsi dire, notre être pour prendre le sien ? Nous ne souffrons qu'autant que nous jugeons qu'il souffre; ce n'est pas dans nous, c'est dans lui que nous souffrons.

Ainsi, nul ne devient sensible que quand son imagination s'anime et commence à le transporter hors de lui. Pour exciter et nourrir cette sensibilité naissante, pour la guider et la suivre dans sa pente naturelle, qu'avons-nous donc à faire, si ce n'est d'offrir au jeune homme des objets sur lesquels puisse agir la force expansive de son coeur, qui le dilatent, qui l'étendent sur les autres êtres, qui le fassent partout retrouver hors de lui ; d'écarter avec soin ceux qui le resserrent, le concentrent, et tendent le ressort du moi humain; c'est-à-dire, en d'autres termes, d'exciter en lui la bonté, l'humanité, la commisération, la bienfaisance, toutes les passions attirantes et douces qui plaisent naturellement aux hommes, et d'empêcher de naître l'envie, la convoitise, la haine, toutes les passions repoussantes et cruelles, qui rendent, pour ainsi dire, la sensibilité non seulement nulle, mais négative, et font le tourment de celui qui les éprouve? Outre l'amour de l'ennemi, le C hrist enseignait la commisération : la participation affective aux misères d'autrui.

Dans ce texte, Rousseau montre l'importance d'une éducation de la pitié, seule à même de prévenir les tourments de l'amour-propre. Rousseau commence par décrire les effets sur le coeur du jeune Émile, de la présentation des souffrances d'autres hommes: il s'y montre sensible, il ressent en lui l'écho de ces douleurs dont il est simple spectateur.

Il ne s'agit pourtant pas là, prévient l'auteur, d'un sentiment immédiat, inné et universel, mais uniquement nourri par le jugement et développé par des expériences déterminées.

C e qui signifie que la pitié, comme toute faculté, doit être exercée de bonne heure et cultivée par la suite: l'enfant doit donc être très tôt confronté au spectacle du malheur des autres.

C 'est seulement ainsi qu'il peut prendre l'habitude de « se mettre à la place (...) de ceux qui sont plus à plaindre.

» P ar ces jeux de l'imagination (c'est elle pour Rousseau qui permet le transfert), il apprendra à devenir envers les autres chaque fois plus « sensible et pitoyable». C ette éducation par la contemplation des misères humaines permet le développement des « passions attirantes », lesquelles fondent entre les hommes les conditions d'une véritable communication et d'un authentique partage. Pour Rousseau au contraire, le spectacle du bonheur des autres ne pourrait que susciter « l'envie, la convoitise, la haine » (« les passions repoussantes ») : le coeur humain ne s'ouvre, ne se dilate que confronté à la souffrance de l'autre; la joie de l'autre ne fera jamais que blesser son amour-propre . En somme, pour Rousseau, la vue d'êtres malheureux développe la pitié qui rend heureux et celle d'êtres heureux suscite l'envie qui rend malheureux. ROUSSEAU (Jean-Jacques).

Né à Genève en 1712, mort à Ermenonville en 1778. Il n'est pas dans notre propos de résumer la vie de Rousseau, sou séjour aux C harmettes chez Mme de Warens, à Montmorency chez M me d'Épinay, ses travaux de musique, sa persécution par les catholiques comme par les protestants, son voyage en A ngleterre après sa fuite de Suisse ou l'hospitalité du marquis de Girardin à Ermenonville.

Non plus que la mise à l'Assistance Publique des cinq enfants qu'il eut de Thérèse Levasseur, ou sa brouille avec Grimm et Diderot.

Jean-Jacques Rousseau fut seul, chassé de partout, et c'est en méditant sur son existence malheureuse, qu'il a pu énoncer sa doctrine de philosophe.

Sa philosophie n'est pas un système, mais une vision de la condition humaine.

— C ontrairement aux Encyclopédistes, l'homme, pour Rousseau, est naturellement bon et juste.

Il fut heureux lorsqu'il vivait sans réfléchir, au milieu de la nature, uniquement préoccupé des soins matériels de la vie quotidienne.

Puis, il a cherché à paraître, à dominer.

Il a inventé la propriété.

Sont venus l'inquiétude d'esprit, le goût du luxe, l'ambition, l'inégalité, les vices, la philosophie.

La société a corrompu l'homme, en l'élevant à la moralité.

La vie idéale n'est pas le retour à l'état de nature ; mais elle doit se rapprocher le plus possible de la vie naturelle.

C 'est le coeur qui fournit à l'homme la preuve des vérités morales et religieuses, qui lui permet de goûter aux plaisirs de la générosité, de la bienfaisance, de l'amitié.

L'enfant, naturellement bon, doit être éduqué de façon« négative».

Il faut laisser libre cours à son propre développement.

Rousseau prône les vertus de l'intuition et de l'émotion.

— Le fondement de toute société, c'est le contrat social, par lequel chaque contractant renonce à sa propre liberté au profit de la communauté, et se soumet à la volonté générale.

Rousseau pose ainsi le principe de la souveraineté populaire.

Tant en littérature qu'en philosophie ou en politique (la Révolution française le revendiqua), l'influence de Rousseau fut considérable.

Il a véritablement transformé la sensibilité humaine.. »

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