Aide en Philo

Regret, remords, repentir ?

Extrait du document

« Regret, remords, repentir : ces trois attitudes manifestent le pouvoir qu'a l'homme de remettre en question son passé, son être.

Le préfixe RE, commun aux trois mots indique l'idée d'un retour sur soi et révèle cette vocation réflexive de la conscience humaine.

L'homme, a dit Heidegger, est «l'être des lointains». Il ne coïncide jamais avec son présent, se portant vers le passé par le souvenir, vers l'avenir par le projet.

E t c ' e s t encore par ce pouvoir de noncoïncidence avec soi, de non-adhésion à soi-même que Sartre définit la conscience, puissance de « néantisation ».

A insi l'homme qui se penche sur son passé se prend à rêver que ce passé eût pu être autre, qu'il aurait pu ne pas exister ou tout au contraire qu'il pourrait durer encore.

P uissance de la conscience capable de rêver de ce qui pourrait être au-delà de ce qui est ; impuissance de l'homme insatisfait de ce qui est, de ce qui fut.

N'est-ce pas la condition humaine elle-même qui se révèle pleinement dans ces sentiments d'inadéquation de l'homme à lui-même : le regret, le remords, le repentir ? Mais les trois mots ne sont pas synonymes ; il nous faut tout d'abord distinguer le regret, attitude purement psychologique, et le remords, attitude morale.

Il est vrai que le mot regret prend parfois une signification éthique ; on parle de « regretter » ses fautes.

Mais le terme a une acception plus vaste : je regrette qu'il ait plu dimanche dernier, je regrette la bonne santé que j'avais autrefois.

Le remords implique le sentiment d'une faute qui n'est pas indispensable au regret.

Pour parler strictement je dirai que j'ai du regret de m'être trompé mais que j'ai du remords d'avoir menti.

En général, on regrette quelque chose d'agréable dont on a joui et qu'on a perdu.

Par là même, dans le regret je ne me sens pas responsable mais victime.

Seul le temps qui passe est coupable.

Le remords s'oppose radicalement au regret.

Le regret déplore une absence, le remords, c'est la présence intolérable dans mon présent d'une faute passée qui me ronge.

Dans le regret il y a de la complaisance, une nostalgie douce-amère, c'est la pensée « à la fois amère et tendre qui s'attache aux biens perdus" (Bridoux).

M ais l'homme du remords éprouve de l'horreur et de la haine pour un passé qu'il voudrait définitivement anéanti.

Celui qui regrette est mélancolique, celui qui éprouve du remords est désespéré.

Le remords, c'est la conscience intime d'avoir commis une faute, d'avoir trahi s a propre conscience.

Il suppose la solitude d'une conscience qui ne dialogue qu'avec soi-même.

Gardons-nous de confondre le remords avec la crainte du châtiment, car précisément la crainte distrait notre attention, la disperse sur les événements extérieurs.

C 'est souvent lorsque le coupable n'a plus rien à craindre d'autrui et se retrouve en face de lui-même que le remords s'empare de lui. Le sentiment du remords implique la conscience de la liberté, de la responsabilité.

Mais en même temps — et c'est ce qui constitue la tragédie du remords — il est sentiment aigu de l'irréparable.

C ette torture morale est faite de deux expériences qui se heurtent.

D'une part je me sens responsable de l'acte mauvais, je l'ai commis librement.

D'autre part l'acte est maintenant irrémédiable.

J'ai le sentiment que j'aurais pu faire ou ne pas faire, mais qu'à présent je ne puis défaire.

L'acte libre en entrant dans le passé prend le visage du destin.

T el est le sortilège du temps dont le remords éprouve l'irréversibilité tragique ; le temps a transformé en fatalité l'oeuvre de ma liberté.

C omme l'a dit C laudel : «Dieu lui-même, quand il ferait un autre ciel et une autre terre, ne fera pas que ce qui a été n'ait pas été ».

L'homme du remords c'est très exactement, comme le dit Kierkegaard, « l'apprenti-sorcier qui considère avec terreur le monstre dont il est père » Si, à l'inverse du regret, le sentiment du remords prend une signification éthique précise, doit-on lui accorder une valeur morale authentique ? Si l'homme du remords dénonce sa faute avec vigueur, il demeure sous son emprise, en reste accablé, ne peut se délivrer du mal.

A u moment même où il condamne sa faute, il la continue, il la revit sans fin.

Sans doute a-t-elle perdu le visage séduisant qu'elle offrait au moment de la tentation ; désormais elle apparaît dans toute son horreur mais elle est toujours là.

A lors que la vraie conscience morale est disposée à l'action et tournée vers le futur, l'homme du remords est totalement passif, victime d'une obsession.

L'avenir est coupé pour lui, le présent défiguré et totalement envahi par un passé abhorré. C 'est pourquoi une éthique positive soulignera la stérilité du remords.

A quoi bon se tourmenter sans fin pour un mal désormais irrémédiable ? C 'est l'avertissement célèbre de Péguy : « P ensez un peu moins à vos péchés quand vous les avez commis et un peu plus au moment de les commettre.

» « Quand vous avez passé par dessus vos péchés vous les faites comme des montagnes n, dit Dieu : « c'est au moment de les passer qu'il faut voir que ce sont des montagnes ».

Spinoza avait déjà dénoncé dans le remords une double impuissance ; d'abord la faute commise qui est un mal par elle-même, ensuite la souffrance du remords qui, comme toute souffrance, est mauvaise ; le remords ne guérit rien, ne change rien, ajoute un mal à un autre.

Et si le remords est considéré comme un châtiment, il faudra reconnaître que c'est un châtiment bien mal compris et bien mal adapté à la faute : un dévoyé n'aura pas de remords pour un grand crime ; alors qu'une conscience scrupuleuse sera obsédée par une peccadille.

En ce sens le remords serait « un instrument de torture pour les honnêtes gens n.

Peut-être y a-t-il dans le remords quelque chose de morbide ; son apparence éthique dissimulerait des mécanismes psychologiques déréglés, comme Nietzsche l'a soupçonné avant que la psychanalyse ne l'établisse. Pour lui le remords s'explique par une transposition de l'agressivité naturelle, qui, endiguée par les lois de la civilisation, n'aurait d'autre ressource que de se retourner contre les instincts vitaux du moi.

Le docteur Hesnard reprend, à la lumière de l'expérience clinique, cette interprétation et l'approfondit.

Il constate que, toujours, les tentations créent plus de remords que les fautes (on s'accuse douloureusement de « mauvaises pensées »).

P ourquoi ? T out simplement parce que la pulsion coupable non satisfaite — lorsqu'elle n'est pas passée à l'acte — se retourne contre le sujet lui-même.

En revanche le coupable qui agit libère ses pulsions, éprouve une détente et voit parfois disparaître ses remords.

N'est-ce pas la thérapeutique que voulait s'appliquer à lui-même le Mathan de Racine dans A thalie, qui veut « à force d'attentats perdre tous ses remords n ? Si le remords est un révélateur éthique.

c'est un révélateur infidèle, déréglé.

Une conscience rationnelle ne peut faire fond sur lui.

Obsédé par le passé, incapable d'agir, l'homme du remords manque aux deux exigences fondamentales d'une conscience morale authentique.

laquelle est « proversive » (orientée vers l'avenir) et tournée vers l'action.

Le remords et le regret, si différents et si opposés qu'ils puissent être par ailleurs, se rejoignent sur ce point : dans l'un et dans l'autre cas, il est fait un mauvais usage du temps.

L'homme du regret voudrait éterniser un passé disparu, et dès lors risque de ne plus faire attention au présent; il ne vit plus au rythme du monde, il laisse passer toutes les occasions de joie.

L'homme du remords.

lui, voudrait détruire, anéantir, il voudrait que ce qui fut n'ait pas été, mais au lieu d'aller de l'avant, au lieu de se délivrer d'un passé maudit, voilà justement qu'il le prolonge et s'y engloutit. Le repentir, au contraire, manifeste un usage positif du temps.

Le présent n'est plus seulement l'écho du passé mais manifeste l'appel de l'avenir.

C e qui compte ici ce n'est plus la vaine rumination du passé, mais la ferme résolution de ne plus retomber dans ses fautes et de progresser dans la voie du bien. Dans le remords, je suis le prisonnier de ma faute, je suis ma faute elle-même.

Dans le repentir, j'ai ma faute, elle appartient à mon passé mais je me détache d'elle, je ne l'oublie pas, je la confesse mais par là j'en fais un objet duquel je me distingue.

Au remords de Judas, dont le reniement débouche sur le désespoir et sur le suicide, il faut préférer le repentir de Pierre qui certes renie Dieu, lui aussi, mais renaît de son passé et retrouve l'espérance.

C ette résurrection du repentir — qui est la résurrection de ma liberté — est liée à un bon usage (lu temps, à la redécouverte de sa vraie dimension vivante qui est le futur.

D'après une admirable formule de Hegel que cite, à propos du repentir — Jean Lacroix, nous lisons : « La première catégorie de la conscience temporelle n'est pas le souvenir, mais l'annonce, l'attente, la promesse. C ependant on dira que le passé est tout de même là, que le mal qui est fait est accompli sans remède.

N'y a-t-il pas, à côté de la gravité tragique du remords, une certaine facilité, une certaine frivolité du repentir ? Nous ne le pensons pas car le repentir n'est pas l'oubli.

Il ne met pas entre parenthèses l'irréversibilité du temps mais il parvient à le conjurer, à l'exorciser.

C omme l'a montré M ax Scheler, si le passé est ce qu'il est, le sens du passé peut être converti.

Le passé est ce qu'il est sans retour possible mais mon repentir le sauve en lui donnant un sens nouveau.

C 'est très exactement la définition que donne Max Scheler du repentir : e Le repentir signifie tout d'abord qu'en nous penchant sur une portion du passé de notre vie, nous attribuons à cette portion un nouveau sens et une nouvelle valeur ».. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles