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Qui n'a jamais réfléchi sur le langage , n'a jamais philosophé ?

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« Notre sujet nous propose d'interroger le lien entre réflexion sur le langage et activité philosophique.

Or, si l'absence de réflexion sur le langage devait entraîner l'abandon de toute pratique philosophique, c'est que l'étude du langage ne serait pas un champ parmi d'autres au sein de l'investigation philosophique – à côté, par exemple, de la réflexion sur l'art (esthétique), sur la science (épistémologie), sur l'action (éthique/morale), etc.

– mais elle serait le fondement de toute pratique philosophique. Ainsi, il s'agit de déterminer en quoi le langage peut se voir conférer ce pouvoir fondateur : nous verrons alors, par la distinction langues/langage, qu'il possède une vertu structurante universelle ; nous nous demanderons ensuite dans quelle mesure cette propriété recoupe les exigences de la philosophie, notamment en analysant in fine la thèse de l'inconscient structuré comme langage, exemple typique propre à confirmer notre hypothèse initiale. I – Langues et langage Dès le début de notre réflexion, il est important d'insister sur la différence entre langue et langage.

D'abord, comme le remarque le linguiste C.

Hagège ( L'homme de paroles), la faculté de parler – la fonction langagière – est commune aux hommes, tandis que plusieurs langues sont attestées.

Il y a donc diversité des langues sur fond d'unité de langage.

Nous parlerons donc distinctement de langues et de langage (même s'il est possible, sous certaines conditions, de parler de langages au pluriel).

Ainsi, réfléchir sur le langage ne peut revenir à réfléchir sur la langue.

Pourquoi ? D'une part, parce que la langue est particulière et ne repose que sur des conventions partagées au sein d'une communauté humaine.

Par exemple, le sujet d'une phrase vient avant le verbe en anglais et en français, alors qu'il vient après en japonais ; de même, certaines subordonnées allemandes voient leur verbe rejeté en fin de phrase.

À cela, il n'y a aucune raison particulière, si ce n'est les conventions de la langue. D'autre part – et c'est une conséquence ou un corollaire de ce que nous venons de dire – le langage a une prétention universelle.

En effet, le langage n'est pas déterminé de manière particulière, mais il correspond à une capacité universellement partagée par tous les hommes.

En ce sens, il est un invariant – tous les hommes possèdent le langage et cette disposition ne varie pas d'un homme à l'autre (alors que l'un parle français et l'autre japonais) – et une structure : l'homme possède le langage et sa vie s'articule autour de cela. II – Le holisme du langage Ainsi, le langage traverse-t-il littéralement l'expérience humaine, puisqu'il se retrouve en chaque homme.

Or, comment concevoir qu'il traverse « l'expérience humaine » ou qu'il articule « la vie de l'homme » ? L'idée est de penser au langage selon la catégorie du holisme.

Qu'est-ce que cela veut dire ? Le terme holisme vient du grec to holon qui signifie le « tout ».

Parler de holisme du langage veut dire que tout est langage ou, du moins, que tout n'est compris qu'à partir du langage.

Comme l'homme est un être de langage, ses productions en possèdent les caractéristiques : ainsi, la science, l'art, la philosophie, la religion, le discours oral, etc.

sont des langages, c'est-à-dire des manières de se rapporter au monde.

Et de fait, l'homme ne se rapporte au monde et aux choses qu'en tentant de les connaître (science), de les représenter (art), de les comprendre (religion) ou simplement d'en parler (discours).

Mais que pouvons-nous tirer de cela ? Si la philosophie est comprise comme une manière de saisir l'homme, dans son rapport au monde et aux autres, le langage apparaît alors comme la structure – la colonne vertébrale – de ce rapport.

Le langage est tel une grille de lecture qui permet à l'homme d'appréhender les choses et les autres ; réfléchir sur le langage, c'est donc entamer la réflexion philosophique à la racine, en tentant de saisir le mode de fonctionnement de l'homme et sa manière d'être au monde. Réfléchir sur le langage revient donc à expliquer les mécanismes proprement humains ; or, si expliquer l'homme c'est pratiquer la philosophie, celle-ci semble devoir passer inéluctablement par l'étude du langage.

Tentons de confirmer cette hypothèse en prenant un exemple précis, celui de l'inconscient psychanalytique. III – Lacan et l'inconscient structuré comme langage Selon notre hypothèse, le langage est capable d'expliquer l'homme.

Pour le dire d'une manière moins brutale, le langage permet de comprendre certains mécanismes proprement humains : il révèle, pour ainsi dire, le mode de fonctionnement de l'homme.

C'est à partir de cette hypothèse que Jacques Lacan a élaboré une théorie de l'inconscient structuré comme langage.

Qu'est-ce que cela signifie ? On sait que selon les topiques freudiennes, l'inconscient comprend le ça, le moi et le surmoi.

Le ça, composé de pulsions inconscientes qui n'obéissent qu'au principe de plaisir, tentent de s'exprimer en permanence.

Or, le surmoi les en empêche. Cependant, dans le rêve, le surmoi se relâche et certains éléments arrivent à se manifester.

Toutefois, le surmoi n'est pas assez « endormi » pour que le ça se manifeste pleinement.

Il ne le fait donc que sous la forme de détails, dès lors plus importants que le reste du rêve.

Afin d'expliquer cela, Lacan a recours à l'idée de métonymie. La métonymie est une figure de style tirée de la linguistique.

Elle consiste à parler d'une partie pour exprimer le tout : je parle ainsi d'une voile au loin sur la mer pour évoquer un bateau.

Or, l'inconscient ne fonctionne pas autrement : le détail d'un rêve (une partie) exprime alors un tout plus vaste, une pulsion qui ne peut s'exprimer en entier.

Le surgissement du ça dans le rêve est donc métonymique, c'est-à-dire compris à partir du langage. La philosophie qui se propose une saisie de l'homme doit donc recourir au langage comme base de son édifice théorique.

La théorie lacanienne – très complexe, au demeurant – en est un exemple typique. Conclusion : Ainsi, l'étude du langage n'est pas simplement l'étude d'une langue : il ne s'agit pas de s'intéresser à une manière de parler parmi d'autres.

Le langage est un ensemble beaucoup plus vaste, invariant et universel, qui guide notre manière d'être au monde. Réfléchir à son propos, c'est commencer d'explorer les mécanismes humains et notre manière d'être au monde et, en un sens, faire œuvre de philosophie.

En effet, puisque la philosophie étudie l'homme dans ses diverses dimensions (comment l'homme connaît ? communique ? agit ? réfléchit ? etc.), elle doit avoir recours à la structure qui les présuppose : le langage.

De ce point de vue, réfléchir sur le langage conditionne la pratique philosophique : il ne s'agit pas d'un point d'aboutissement parmi d'autres, mais de la condition préalable à toute philosophie.. »

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