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Que faut-il penser de cette affirmation: "Nous savons que nous sommes mortels, mais nous ne le croyons pas" ?

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« L'homme est le seul étant conscient de sa finitude, il sait que sa propre mort est inéluctable, ce n'est qu'une question de temps.

C omment l'homme peut-il composer avec un tel savoir ? Schématiquement nous pouvons distinguer deux types de conduites : soit, ainsi que Pascal l'a souligné, l'homme s'adonne au divertissement et vit dans l'oubli de la mort ; soit il adopte une conduite de vie prudente, voulant retarder sa propre mort autant qu'il est possible.

C ertes, ce sont là deux caricatures, dans une vie un même homme oscille entre ces deux genres de comportements, se tenant généralement à mi-chemin entre une vie vécue dans l'inconscience de la mort et une vie vécue à l'ombre de la mort.

Que penser de l'affirmation « Nous savons que nous sommes mortels, mais nous ne le croyons pas » ? I- Croire et savoir. C 'est à la condition de comprendre la différence entre croire et savoir que nous pourrons réfléchir à la question posée, autrement dit comprendre comment, dans ce cas précis se forme la nuance.

C roire et savoir impliquent un rapport à la connaissance.

Le savoir correspond à une connaissance justifiée par des arguments rationnels, le savoir peut-être prouvé, attesté ou démontré.

A moins d'être un empiriste qui ne croit pas à l'objectivité du principe de causalité, je sais que si je lâche mon stylo il va tomber, c'est là un savoir intemporel que je possède et non une croyance. Une croyance est en revanche toujours hypothétique, elle peut se transformer en un savoir si jamais j'ai le moyen d'en vérifier l'exactitude.

Mais il se peut qu'une croyance soit invérifiable ; c'est le cas selon Kant pour l'existence de Dieu (cf.

« L'idéal de la raison pure » dans La critique de la raison pure), son existence ne peut être prouvée rationnellement puisque, en effet, j'ai besoin, pour établir une connaissance, d'un concept intellectuel et d'une intuition sensible, or, étant un être fini je ne peux intuitionner Dieu, je dois donc me contenter de croire en son existence en admettant qu'elle est indémontrable. Un savoir peut être infirmé par de nouvelles données mais, au moins en droit, il est censé être garanti par la raison tandis que la croyance implique toujours, en son propre sein, une marge, même infime, de doute.

Or, la mort de l'homme est une connaissance qui correspond à un savoir, elle est un fait indubitable, cet absence du moindre doute ne doit elle pas nous conduire à penser que l'affirmation examinée est contradictoire ? C omment l'homme peut-il à la fois savoir x et ne pas y croire ? N'est-ce pas qu'il faut comprendre la croyance autrement que comme un savoir dégradé ou à venir ? II- Chaque homme est inconsciemment persuadé de son immortalité. La croyance ne peut être définie que dans un cadre rationnel, elle a également une signification affective ; la croyance n'est pas simplement un savoir suspendu, mis en attente, elle correspond à une adhésion affective de l'homme pour une thèse.

Une adhésion à laquelle ne fait défaut aucun savoir, bien plus, elle se passe de tout savoir positif.

Croire ce n'est donc pas être en deçà de celui qui sait mais au-delà : c'est pouvoir être sûr en dépit de toute garantie définitive, or c'est là une condition nécessaire à l'action.

N'agir qu'à l'abri des certitudes et sans le moindre doute c'est le moyen le plus sûr de n'agir presque jamais. En distinguant deux pôles, l'un rationnel, l'autre affectif, nous pouvons désormais comprendre la logique de l'affirmation « Nous savons que nous sommes mortels, mais nous ne le croyons pas ».

L'homme est capable de tenir les discours les plus rationnels sur sa propre mort ; à travers les actualités, les conversations, les films qu'il voit, les romans qu'il lit et les faits divers dont il a connaissance, la mort est pour lui un thème quotidien.

Pourtant, se comporte t-il en conséquence ? Il semble bien que l'homme ne vit pas dans l'affolement ni la peur de la mort, la conscience qu'il a de sa finitude ne l'obnubile pas au point de l'empêcher d'agir, de le rendre fou. D a n s s e s Essais de psychanalyse Freud montre que l'homme est inconsciemment persuadé de son immortalité, non qu'il vive dans le risque permanent (encore que ce soit précisément le cas de certains jeunes hommes n'ayant pas renoncé à l'illusion de leur toute puissance), mais sa vie ne témoigne le plus souvent d'aucune angoisse à l'égard de la mort.

Les hommes donnent le sentiment d'approcher la mort en ne la regardant pas en face, en reculant au maximum le moment d'une implication personnelle, c'est-à-dire d'une prise de conscience, qui relève ici de la croyance et non du savoir.

C e n'est qu'en tant qu'il croit à sa propre mort que l'homme en prend réellement conscience, tant qu'elle n'est qu'un savoir impersonnel c'est l'illusion d'immortalité qui prime dans sa vie quotidienne. III- La société contemporaine face à la mort. Si l'on peut accorder quelque valeur de vérité à l'énoncé examiné nous pouvons également émettre quelques réserves, cela au regard des normes actuelles face au problème de la mort.

Il semble que de nos jours les comportements sociaux témoignent d'une normativité de plus en plus attachée à nous rendre attentifs aux risques liés aux comportements morbides.

En une seule année sont apparues les publicités avertissant les téléspectateurs de ne pas consommer trop de produits gras et l'interdiction de fumer dans les lieux publics, c e s normes d'hygiènes s'accompagnent d'un intérêt croissant depuis quelques années pour des problèmes éthiques sur la légalisation de l'euthanasie.

S'il il y a un inconscient collectif d'immortalité il apparaît de plus en plus menacé. Or, la remarque est classique, l'impératif de prudence affiché par la pensée contemporaine à l'égard des comportements à risques, témoigne à son tour d'une conduite morbide.

La préoccupation de la santé est bien souvent un symptôme pathologique, C anguilhem l'affirme avec force dans les dernières pages des Nouvelles réflexions sur le normal et le pathologique : être en bonne santé c'est être capable de tomber malade, l'homme sain est celui à même de faire l'épreuve de la maladie.

La valeur de vérité de l'énoncé trouve donc des résistances, les normes de la collectivité tendent bien plutôt à convaincre l'homme de sa fragilité, lui rappelant, au travers d'exigences sociales, qu'il est un être mortel. Sans condamner la tournure des normes sociales il faut néanmoins les interroger : la responsabilisation des comportements dont on parle n'est-elle pas parfois davantage une infantilisation ? Faire de la mort une question sociale n'est-ce pas encore se tromper sur elle en tant qu'elle est bien plutôt une épreuve singulière pour chaque individu ? Conclusion : L'affirmation « Nous savons que nous sommes mortels, mais nous ne le croyons pas » nous apparaît donc pertinente, elle n'est paradoxale qu'au premier abord.

Il faut prendre soin de préciser la conception de la croyance qui se joue ici.

Croire c'est une opération affective, qui implique une certaine passivité du sujet.

Or l'homme, inconsciemment, résiste à la thèse de sa propre mort ; la mort n'est pour lui qu'un thème impersonnel, cela est heureux car sinon il sombrerait probablement dans le désespoir ou la folie.

L'homme ne peut vivre et agir que dans l'oubli de sa propre mort.

Nous avons vu que de plus en plus les normes sociales trahissaient une préoccupation collective face à la mort contribuant ainsi bien souvent moins à écarter une mort réelle qu'à en intégrer l'idée dans notre quotidien.

Rousseau, de manière radicale, fustigeait en son temps, dans L'Emile, les médecins qui participaient davantage à faire se propager des idées morbides dans la population qu'à résoudre les maux du peuple.. »

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