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Pourquoi l'homme maîtrise-t-il si mal son histoire ?

Extrait du document

« Notre sujet part d'un présupposé : les hommes maîtrisent leur histoire, mais il n'y parviennent que difficilement.

Notre réflexion doit donc se concentrer sur le concept d'histoire lui-même : l'histoire est-elle l'ensemble du passé, auquel cas elle dépasserait de loin notre capacité à l'assimiler ? L'histoire est-elle au contraire le récit sensé des actions humaines ? Mais comment maîtriser le sens d'actions et d'événements passés ? Toutefois, il faut s'interroger aussi sur l'idéal d'une maîtrise de l'histoire : s'agit-il là d'un obstacle pour les hommes ? Se demander pourquoi les hommes maîtrisent mal leur histoire doit donc nous conduire à considérer le rapport des hommes à l'histoire : celle-ci n'est pas un objet différent d'eux (comme la nature), mais elle est le milieu où ils vivent.

Avant de réfléchir sur l'histoire, l'homme est donc déjà dans l'histoire. I – L'histoire comme compilation Un premier niveau d'analyse pour notre sujet se situe au moment où l'individu se confronte à l'histoire, c'est-à-dire à tous les événements révolus qui constituent non seulement son passé en tant qu'individu, mais surtout en tant qu'être humain : il s'agit alors de l'histoire de la culture dans laquelle il s'insère, du pays où il vit, voire du monde en son ensemble.

De ce point de vue, l'absence de maîtrise concernant l'histoire se fonde sur une (sur)abondance de données.

Il s'est passé trop de choses pour que l'on retienne tout.

Si l'on dit que les hommes maîtrisent mal leur histoire, c'est alors de la même manière que l'élève qui n'arrive pas à ce souvenir d'une date lors d'un contrôle d'histoire. Cette compréhension de l'histoire prend son origine dans l'étymologie même du terme.

Historié, en grec, signifie « enquête », « compilation ».

L'histoire est donc un vaste récit, dont le contenu englobe tous les événements passés et toutes les actions des hommes, de l'origine de l'humanité jusqu'à maintenant.

En somme, l'objet sur lequel porte notre attention dépasse notre capacité à l'assimiler.

Or, si l'on cherche à réduire cette somme de connaissance à certaines dates clés, à certains événements cruciaux, qui ont déterminé le cours du monde, cela ne fait que nous renvoyer à cette absence de maîtrise de l'histoire elle-même.

Trop vaste, on la réduit à des instants saillants, qui permettent de la scander et de l'appréhender dans ses articulations fondamentales. Cependant, ce premier niveau d'analyse doit être dépassé.

En effet, si l'histoire est la somme des événements passés, elle n'est qu'un contenu inassimilable.

La mémoire a alors raison de se focaliser sur certaines dates : les deux guerres mondiales, par exemple.

Il faut donc que nous passions à l'analyse de l'histoire, non plus en terme de contenu, mais en terme de contenant.

Qu'est-ce à dire ? II – Explication et compréhension dans les sciences historiques L'histoire comme contenu, c'est le passé, c'est-à-dire tout ce qui a eu lieu avant nous.

Autant dire, une somme prodigieuse d'informations.

À l'inverse, en terme de contenant, l'histoire, c'est l'historiographie elle-même, c'est-à-dire le récit du passé produit par l'historien.

Or, l'historien n'est pas un simple compilateur.

Il ne se contente jamais d'enregistrer de manière neutre les faits, il ne les entasse pas dans les livres d'histoire, mais il les ordonne et les classe selon certaines exigences.

De ce point de vue-là, c'est lui qui sélectionne des séquences temporelles significatives, que scandent des événements importants et qui facilitent le travail de mémoire. Cependant, l'historien se trouve face à un dilemme, qui met en question sa maîtrise de l'histoire. En effet, l'écriture de l'histoire est conçue de deux manières différentes par les historiens : pour les uns (Raymond Aron), l'histoire porte sur des actions humaines, qui répondent à des intentions et des motifs ; il s'agit alors de comprendre ces intentions et motifs en se mettant, en quelque sorte, à la place de ceux qui ont agi.

Pour les autres (Carl Hempel), il n'est pas possible de se mettre à la place d'autrui ; pour expliquer une action, il faut donc se référer 1° à des conditions initiales (contexte, circonstances, etc.) et 2° à une loi générale, c'est-à-dire à une régularité.

Par exemple, on expliquera le fait que Louis XIV est mort impopulaire, en disant qu'il a mené une politique nuisible aux intérêts nationaux de la France, prenant par là appui sur une régularité qui veut que les gouvernements qui poursuivent des politiques nuisibles aux intérêts de leur sujet deviennent impopulaires. Or, la concurrence entre explication et compréhension dans les sciences historiques met à mal l'idée d'une maîtrise de l'histoire.

En effet, l'histoire n'est plus ici la somme des événements passés, mais le sens qu'elle prend sous la plume de l'historien et ce sens doit être construit dans la lutte entre explication et compréhension. III – Hegel et l'histoire L'histoire n'est donc pas une masse informe de données historiques, mais la construction d'un sens par l'historien ; or, nous l'avons dit, celui-ci se trouve pris entre deux méthodes, qui minimisent sa maîtrise de l'histoire.

Prolongeons ces remarques de deux manières : premièrement, disons que si l'historien maîtrise l'histoire et que son activité n'est jamais fantaisiste cela n'implique pas forcément que cette maîtrise soit totale.

Mais, qu'elle ne soit pas totale, ne doit pas pour autant discréditer l'historien.

Cela conduit à notre deuxième remarque : les hommes sont toujours inscrits dans l'histoire ; s'ils écrivent l'histoire, ils la font également, d'où l'idée qu'elle puisse échapper en partie à leur maîtrise. Pour Hegel, l'histoire possède une fonction bien particulière : elle est source de progrès.

Elle n'est plus historié (compilation), mais Geschichte.

Le terme vient du verbe geschehen, qui signifie « se produire », « arriver ».

De ce point de vue, l'histoire est le lieu même où les choses se produisent, où des événements arrivent, qui déterminent l'évolution du monde.

Hegel pense par exemple aux grands hommes de l'histoire mondiale, tel Napoléon, qui ont influé directement sur le cours des événements. L'histoire est donc le mouvement même du monde, dans lequel les hommes se trouvent pris : être, pour Hegel, c'est être historique, c'est-à-dire devenir quelque chose d'autre que ce que l'on est.

Il s'agit donc toujours d'être ce que l'on est pas et de ne pas être ce que l'on est. Ainsi, l'histoire implique nécessairement une absence de maîtrise face à ce qui se produit. L'histoire est maîtrisée dans le sens où elle le fruit de l'action humaine, mais elle ne l'est pas au sens où elle n'est pas déterminée à l'avance.

L'absence d'une telle maîtrise est donc le signe d'une liberté historique des hommes face à leur destin.

Il ne s'agit plus d'une incompétence à connaître le passé, mais d'une possibilité d'investir l'avenir. Conclusion : Que les hommes maîtrisent mal leur histoire peut paraître un signe de faiblesse : il nous est impossible de tout retenir.

Cependant, l'histoire est aussi l'activité même d'écrire l'histoire.

Or, de ce point de vue, la construction d'un sens oscille entre deux exigences, puisque maîtriser l'histoire c'est à la fois la comprendre et pouvoir l'expliquer.

Mais cette oscillation dans la maîtrise de l'histoire tient aussi au fait que les hommes sont dans l'histoire – et non pas à côté d'elle pour la maîtriser de manière extérieure – et qu'une telle position implique qu'ils ne maîtrisent pas tout, qu'ils ne sont qu'un moment de l'histoire : mais en tant que moment, ils font l'histoire et y participent activement.. »

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