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Peut-on tirer une jouissance esthétique de ce qu'on ne comprend pas ?

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« Si la jouissance esthétique provient d'une satisfaction désintéressée (Kant, Critique de la faculté de juger), cela reviendrait à dire que l'on peut aimer une oeuvre d'art juste pour sa beauté formelle, même si on ne la comprend pas.

Puisque le beau doit plaire (toujours selon Kant) universellement sans concept, il paraît logique que la compréhension, la connaissance ne soient pas un critère.

On peut aimer (et en tirer une certaine jouissance esthétique) ce que l'on ne comprend pas.

D'une certaine manière, ce serait justement parce qu'on ne comprend pas qu'il y a jouissance esthétique.

Mais cette position ne vaut-elle pas que pour le sujet qui reçoit l'oeuvre ? L'artiste n'a-t-il aucune jouissance esthétique dans la création, ou seulement s'il ne comprend pas ce qu'il fait ? Cela paraît déjà plus discutable.

Et la compréhension ne peut-elle participer à la jouissance ? Par exemple, pour le tableau Guernica de Picasso, on peut tirer une jouissance esthétique plus grande en sachant qu'il évoque la guerre civile de 1936.

Le sens de l'oeuvre vient fusionner avec la beauté formelle.

L'oeuvre fait sens de manière certaine pour Hegel, puisqu'elle incarne la Vérité.

Or l'art fait-il sens même quand je ne le comprends pas parce qu'il est habité de cette vérité ? Cette question pose l'éternel problème de la nature de l'expérience esthétique, si elle est purement sensible ou si elle nécessite une éducation intellectuelle.

On réduit souvent notre contact avec les œuvres d'art à un plaisir sensible que tout à chacun pourrait ressentir.

Cela serait ignoré le facteur culturel qui forge notre capacité à ressentir des émotions esthétiques, autrement dit le goût.

Aussi la jouissance esthétique serait plus compréhensible si l'on se l'imagine comme étant un mixte de pur impression formelles et de culture.

Il faut aussi faire la différence entre la culture et la compréhension.

On peut connaître une culture sans véritablement la comprendre, par exemple pour l'Egypte antique que tout le monde connaît mais qui reste dans beaucoup de cas mystérieux, comme les étrusques, la culture des hommes préhistoriques.

Dans ce cas, ces civilisations peuvent engendrer de belles œuvres d'art sans parfois qu'on comprenne la culture qui les a vu naître. 1) Le beau est perceptible immédiatement, il n'y a pas besoin de culture pour le voir. Pour Platon, l'art est magique, d'une magie qui délivre de toute superficialité ; il est folie, délire (Phèdre, 245 a), mais en cela il nous ravit dans un ailleurs, dans un au-delà, dans le domaine des essences.

Loin de résider exclusivement dans l'objet, dans le visible, le Beau est, en soi, condition de la splendeur du visible et, à ce titre, idéal dont l'artiste doit se rapprocher ; d'où le thème de la mimèsis.

De la beauté des corps à celle des âmes, de celle des âmes à celle de l'Idée, il y a une progression, qu'énoncent les textes de l'Hippias majeur et du Phèdre et que ramasse la dialectique du Banquet et de La République ; mais il faut noter que l'Idée du Beau est seule à resplendir dans le sensible ; seule capable de séduire directement, elle est distincte des autres Idées.

D'où la complexité de l'esthétique platonicienne.

Car, d'un côté, l'art ne peut être que second par rapport au Vrai ou au Bien et le Beau est en désaccord avec le Vrai et le Bien, puisqu'il apparaît dans le sensible ; pourtant, ce désaccord est heureux, et le Beau rejoint le Vrai parce qu'il révèle ou désigne l'Être au sein du sensible ; et l'art, s'il peut et doit être condamné, en ce que l'imitation des Idées telle qu'il l'accomplit est toujours de second ordre, mérite cependant d'être pris en considération en ce qu'il est médiation : par lui s'articule la différence entre sensible et non sensible. Aussi, tout le monde percevoir cet intelligible dans le sensible.

Platon ne fait pas état d'une quelconque culture requise pour avoir accès à la dimension de l'intelligible.

Mais ce rapport immédiat nécessite tout de même la médiation de l'art.

L'art étant du domaine de la culture, il faut passer par une éducation pour le juger à sa juste valeur, ce que Platon a lui-même pensé pour préserver sa cité de la corruption des mœurs.

Les émotions esthétiques doivent être régulées pour admises socialement. 2 Le goût comme mixte de culture et de sensation. Le goût personnel est, en quelque sorte, un sixième sens, la faculté de déceler la beauté d'une forme, au-delà d'adjonctions extérieures disparates et en faisant abstraction de l'opinion d'autrui.

Cette lucidité de l'œil, cette pénétration visuelle immédiate peut s'exercer dans des domaines très différents selon le genre de vie, les curiosités, les activités de chacun : le choix d'objets de collection ou celui d'un vêtement, l'arrangement d'un vase de fleurs ou la présentation d'une exposition font appel, pour une part, à une même intuition de l'harmonie, à un même sens des couleurs et des rythmes.

L'art de susciter des accords satisfaisants, de mettre en valeur les éléments rares ou précieux d'un ensemble à première vue sans accents particuliers, dépend en partie de la formation reçue, de l'orientation adoptée sous l'influence du milieu familial ou social et en fonction des aptitudes intellectuelles de chacun.

Mais ces facteurs extérieurs interviennent à des degrés divers selon la nature et l'orientation du goût. D'une même éducation, d'un même milieu, des tempéraments divers reçoivent des impulsions différentes.

Chaque personnalité établit spontanément une sélection dans le « matériel » intellectuel ou visuel mis à sa portée.

La mémoire enregistre, élimine, crée des hiérarchies.

Et ce choix, déterminé par le goût, modifie l'environnement individuel, influence les choix ultérieurs et développe les tendances majeures de la personnalité.

Il n'en reste pas moins que l'œuvre des peintres, des sculpteurs, des architectes peut exercer une influence décisive sur le goût, soit que les artistes s'imposent d'eux-mêmes et imposent leur propre conception de la beauté, soit qu'ils se trouvent mis en vedette, protégés, imposés par les puissants du jour.

Citons encore une fois Voltaire : « Le goût se forme insensiblement dans une nation qui n'en avait pas parce qu'on y prend peu à peu l'esprit des bons artistes.

On s'accoutume à voir les tableaux avec les yeux de Le Brun, du Poussin, de Le Sueur ; on entend la déclamation notée. »

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