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Peut-on se fier à la raison ?

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« Si l'on définit l'homme comme un animal raisonnable, capable de distinguer le vrai du faux dans le domaine théorique et le bien du mal dans le registre pratique, alors rien ne semble être plus digne de confiance pour un homme que sa raison.

Car sans ce guide assuré vers le vrai et le bien, il s'égarerait dans les sentiers de l'erreur et de la faute.

Pourtant, il n'est pas certain que ce guide le mène toujours là où il souhaiterait aller.

À trop lui faire confiance, ne risque-t-il pas en ce cas d'être déçu? 1.

La raison est absolument digne de confiance pour l'homme Contrairement aux passions, qui viennent du corps et aliènent le comportement de l'homme, la raison lui procure la maîtrise et la sûreté.

La passion pénètre au plus profond de l'âme et donne souvent à celui qui y succombe des motifs de le regretter.

La raison au contraire se bat avec « ses propres armes : des jugements fermes et déterminés » touchant la conduite de la vie (Descartes, Passions de l'âme), et ne peut procurer à l'homme que des motifs de satisfaction. Dans la mesure où elle est commune à tous les hommes, la raison est aussi susceptible de les réunir, par delà leurs différences.

C'est pourquoi Spinoza en fait le fondement de la démocratie dans le chapitre XVI du Traité théologicopolitique.

Les opinions et les affects des hommes sont tellement divers et confus, qu'ils ne pourraient fonder aucune entente.

Si chacun se conduit en revanche en tant qu'être raisonnable, alors la paix civile, fondatrice de la démocratie authentique, devient possible. 2.

La raison peut être à la source de déceptions profondes. Si en théorie le bon usage de la raison peut accorder les hommes entre eux, dans la pratique ils sont peu nombreux à la suivre.

Car pour penser par soimême, il faut beaucoup de courage, et être capable de faire prévaloir la vertu sur le bonheur.

Dans les Fondements de la métaphysique des moeurs, Kant explique ainsi que l'usage rigoureux de la raison n'est pas souvent récompensé par du bonheur.

Les comportements injustes et malhonnêtes semblent même parfois rendre leurs auteurs plus heureux que les actions vertueuses.

Déçus voire aigris, les hommes en viennent alors à se défier de la raison et à se réfugier dans des conduites plus faciles qui, en apparence seulement, les rendent plus heureux. Du point de vue théorique enfin, la raison est capable de produire ses propres illusions.

Une illusion est « un leurre qui subsiste [même] quand on sait que l'objet supposé n'existe pas» (Anthropologie du point de vue pragmatique, §13).

L'illusion spécifique à la raison est dite «transcendantale» dans la Critique de la raison pure.

Elle est naturelle à l'esprit humain et consiste à croire qu'on connaît le réel lui-même.

L'esprit a beau savoir que les idées de Dieu, de l'âme et du monde lui sont inaccessibles, il continue de les rechercher : « C'est là une illusion qu'il ne nous est pas possible d'éviter (...) pas plus que l'astronome lui-même ne peut empêcher que la lune ne lui paraisse plus grande à son lever, bien qu'il ne soit pas trompé sur cette apparence».

C'est pourquoi le bon usage de la raison doit être précédé par une critique, qui en montre à la fois les potentialités et les limites. Avec le grand rationalisme classique inauguré par Descartes, la raison apparaissait comme l'instrument infaillible d'une critique des illusions, généralement imputées aux sens ou à l'imagination. Or, avec Kant, l'illusion est portée au coeur même de la raison.

Le rationalisme fait place au criticisme, cad à une critique permanente des moyens de la connaissance, et à un incessant procès de la raison contre elle-même et ses prétentions abusives.

C'est le sens de l'illusion transcendantale : la raison prétend connaître au-delà des limites de l'expérience et déterminer des choses en soi, cad des objets qui ne sont pas donnés dans un phénomène sensible (le Moi, le monde, Dieu). L'illusion n'est plus seulement un déchet à éliminer (Platon, Descartes), mais elle est consubstantielle à l'instrument lui-même, la raison, qui se trouve empêtrée dans ses propres contradictions (antinomies : opposition d'une thèse et de son antithèse).

La « Dialectique transcendantale » est donc cette partie de la « Critique de la raison pure » où Kant examine comment la raison se contredit elle-même lorsqu'elle veut connaître au-delà de l'expérience. Et il est bien question ici d'illusion, et non d'erreur, car l'illusion transcendantale est inévitable, incorrigible, à l'inverse de l'erreur.

L'illusion transcendantale est un besoin structurel de la raison pure, et aucun effort d'attention ne peut y remédier. La connaissance est unification.

Pas de connaissance sans données sensibles ; mais les formes a priori de la sensibilité (espace et temps) unifient déjà les données de l'expérience.

Puis cette expérience sensible est unifiée sous les catégories de l‘entendement.

La raison, enfin, a pour destination d'unifier toute la connaissance en un système sous des idées, le moi, le monde et Dieu.

Ces idées ne sont donc que des formes organisatrices, ou des « principes régulateurs ».

Il y a illusion dès lors que la raison nous induit, par son essence même, à prêter à ces idées une valeur objective, et à vouloir faire de la psychologie et de la théologie des sciences à part entière, alors que nous n'avons aucune expérience sensible de ces objets, et ne pouvons en aucune façon en avoir. La dialectique a pour tâche de nous prémunir contre cette apparence trompeuse qui consiste à prêter une valeur objective à ces pures formes de la raison. L'illusion de la psychologie rationnelle (ou paralogisme) consiste à transformer le « je pense », forme a priori. »

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