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Peut-on concevoir une religion sans Dieu ?

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« Introduction -La religion, d'après l'étymologie proposée par Cicéron, est ce qui nous relie (religere) à la divinité, c'est-à-dire à une ou des entités qui transcendent notre condition finie, c'est-à-dire sensible et mortelle. -Or, la religion peut aussi se définir, en un second sens, par rapport aux conséquences de la première acception : elle peut désigner toute attitude de dévotion se manifestant à travers une sorte de pompe cultuelle. -La religion peut ainsi se concevoir soit par sa cause (relier l'individu à une entité infinie), soit par ses effets (la dévotion à travers un culte) : or, est-il possible de penser une religion qui séparerait ces deux modalités d'une même attitude spirituelle ? Une religion sans Dieu ou une religion sans culte est-elle même concevable ? Et cette forme nouvelle d e religion serait-elle une forme supérieure de religion, ou bien constituerait-elle une forme de décadence par rapport à l'idée même de sacralité ? I.

L'idée dogmatique de religion. La religion se fonde sur deux corps théoriques, une théologie et un canon cultuel, qui tous deux constituent l'explicitation herméneutique des Ecritures saintes sur lesquelles s'appuie la religion considérée.

La religion implique, d'une part l'exigence de l'existence d'une ou de plusieurs entités transcendantes, dont le mode d'existence est radicalement coupé de celui d e l'homme ; d'autre part, elle implique l'exigence de la possibilité, pour l'homme, d'entrer en contact avec cette ou ces entités transcendantes, au travers de cultes particuliers réglés à cet effet.

La religion, c'est donc une double relation à la transcendance : une relation de connaissance, puisque je sais que cette transcendance existe et que j'en connais certaines modalités d'existence, et une relation d'action, puisque je suis au service de cette transcendance en accomplissant au sein de ma condition finie ses exigences propres. II.

Le rêve humaniste de la religion civile (Rousseau). Dans le Contrat Social, Rousseau théorise la possibilité d'une "religion civile", qui se déploierait sous la forme d'un culte à l'homme civique, afin d'assurer la cohésion sociale.

Ici, la religion serait coupée de sa fonction de relation "verticale", et aurait pour fonction celle de renforcer le lien "horizontal" entre les hommes.

La religion, ici, coupée de tout rapport à une transcendance infinie, se transformerait en un culte, c'est-à-dire à un effet sans cause légitime, puisque l'homme à qui il s'agirait de faire ce culte est lui-même fini et mortel.

Cette religion civile fut un grand rêve de Robespierre, mais les dérives de la Terreur ont pu montrer l'extrême danger que peut revêtir une religion qui se déprend de l'une de ses deux exigences fondamentales, à savoir celle de la présence de l'infinité.

C'est la raison pour laquelle le consul Bonaparte a renoncé en cette idée, qu'il trouvait utopique d'une part, et dangereuse d'autre part. Pour Rousseau, le lien social doit être fondé sur un « contrat ».

Seules des conventions sont susceptibles de lier les hommes et de faire naître la société.

Mais on peut objecter à Rousseau que tout contrat présuppose, pour son établissement, une société et ne peut donc servir à la fonder. Rousseau lui-même semble l'admettre lorsqu'il affirme : « Pour qu'un peuple naissant pût goûter les saines maximes de la politique et suivre les règles fondamentales de la raison d'Etat, il faudrait que l'effet pût devenir cause, que l'esprit social, qui doit être l'ouvrage de l'institution, présidât à l'institution même ; et que les hommes fussent avant les lois ce qu'ils doivent venir par elles.

» (livre II, chapitre VII). C'est donc une nécessité que le législateur recoure « à une autorité d'un autre ordre, qui puisse entraîner sans violence et persuader sans convaincre ».

Cet autre ordre, distinct de la contrainte et de la raison, c'est celui des sentiments religieux.

Ainsi Rousseau reconnaît que, dans l'origine de la société, la religion peut servir d'instrument à la politique.

Toutes les religions sont bonnes pour autant qu'elles écoutent ou favorisent ce sentiment de sociabilité nécessaire au lien social.

Elles deviennent mauvaises dès qu'elles engendrent la division, édictent des élections ou des rejets et instituent des intermédiaires comme les prêtres ou les prophètes entre Dieu et les hommes. Le lien social ne saurait donc reposer entièrement sur un contrat, il lui faut e plus un fondement religieux. Aussi Rousseau propose-t-il une « religion civile ».

Les dogmes en sont forts simples : « existence de la divinité, bonheur des justes, châtiment, sainteté du contrat social et des lois ».

La société est pour Rousseau fondamentalement morale, elle est même un ordre sacré.

Il y a donc la nécessité d' « une profession de foi purement civile dont il appartient au souverain de fixer les articles, non pas précisément comme dogmes de religion, mais comme sentiments de sociabilité, sans lesquels il est impossible d'être bon citoyen ni sujet fidèle.

» (livre IV, chapitre VIII). III.

La religion prise dans son sens cultuel constitue une idolâtrie, donc l'inverse même de la possibilité de la religion (la Kabbale juive). Toute religion qui se fonde sur ses effets cultuels et qui ne vise qu'à constituer des dévots fervents, se ferme à la possibilité même de la religion.

Puisque celle-ci implique la présence d'un être infini, elle est essentiellement ouverture, ouverture à un Ailleurs dont il ne s'agit à aucun moment de maîtriser, ni par une théologie, ni par un culte.

La religion implique la présence inexplicable d'une Transcendance dont on ne peut retrouver que les traces, mais dont précisément les traces ne doivent pas être considérées en elles-mêmes : les traces doivent être le signe d'une Source qui les dépasse infiniment.

Toute religion qui se perd, soit dans la caractérisation essentielle d e la Transcendance, soit dans l'effacement même de celle-ci, se perd dans l'idolâtrie du fini, donc dans la violence la plus extrême, puisque seul l'inconditionné est source d'éthique. Conclusion -Par essence, une religion implique le rapport entre le fini et l'infini. -Or, l'infini n'est plus tel, d'une part si on le définit par une essence métaphysico-théologique, et d'autre part si on le substitue par un être intrinsèquement fini, à savoir l'homme. -Une religion sans Dieu n'est pas possible, ou plutôt, si l'on approfondit encore, seule une religion sans Dieu est possible : en effet, Dieu n'est que la saisie par un Nom d'une Transcendance qui ne peut que dépasser infiniment ce Nom.

Dieu, c'est la négation nécessaire de la Transcendance pour pouvoir entrer en contact avec elle : c'est là toute la différence, pour la tradition juive, entre YHWH, et Eloïm.

Une religion sans Dieu est donc la seule concevable, si l'on entend par là qu'à la source de toute sacralisation doit se trouver une origine transcendante absolument inconditionnée.. »

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