Peut-on avoir peur d'être libre ?
Extrait du document
«
Analyse du sujet:
Question qui peut dérouter: en quoi la liberté serait-elle source de crainte ? La liberté ne serait-elle pas un fardeau Comment peut-elle
constituer une menace, un danger.
Dans l'opposition classique de la liberté et du déterminisme, ce dernier peut-il sembler rassurant à
l'homme ? Dans quelles conditions ? Si la liberté est une menace, comment s'en protéger ? Comment faire pour que l'homme nait plus
peur de la liberté ?
Intro et problématique:
La vision commune fait de la liberté un bien ne pouvant apporter que bénéfices à celui qui en jouit.
La liberté serait un bien en soi.
Mais
cette liberté ne peut-elle pas être inquiétante, bien plus un fardeau ? L'homme devant toujours déjà décider de ce qu'il doit et veut être,
et, au nom de quelles valeurs doit-il fonder ses actions ? Au cas où ces valeurs feraient défaut; l'individu ne pourrait-il pas ressentir sa
propre liberté comme un danger, facteur de peur, mieux d'angoisse, de regret, de remords, de repentir permanents ? Peut-on alors
avoir peur de la liberté ?
[I.
La liberté implique des valeurs]
Le jeune enfant ne peut être libre, il ne peut même pas revendiquer de l'être.
Il ignore le sens de l'expression, et sa conduite demande
à être guidée.
Ce n'est donc que lorsque l'individu est capable de se diriger seul, que la liberté commence à prendre pour lui du sens.
On pourrait considérer, pour reprendre un terme kantien, qu'il se débarrasse alors du « tutorat » et devient apte à déterminer sa
propre conduite.
C'est l'accès à ce que Kant appelle la "majorité".
Généralement, ce moment d'accès à la « maturité » est vécu comme une sorte de délivrance - celle que ressent, par exemple,
l'adolescent lorsqu'il n'a plus à obéir en tout à ses parents : on lui fait désormais confiance et on n'aura plus besoin de le surveiller sans
arrêt, cela signifiant aussi que c'est bien à lui désormais que ses parents demanderont des comptes s'ils apprennent qu'il s'est « mal »
conduit.
L'autonomie ( opposé à l'hétéronomie) va de pair avec une responsabilité.
Puisque le sujet ne dépend plus d'autrui, il devient
le seul responsable de sa conduite.
C'est d'ailleurs ce qui justifie l'éducation, comme moment d'apprentissage nécessaire des normes
sociales qui devront être respectées, même lorsqu'aucun ordre ne sera plus reçu d'une autorité extérieure.
Réussir l'éducation d'un
enfant, c'est ainsi le préparer à exercer sa propre liberté ; l'être mal éduqué ne saura pas utiliser cette dernière : on lui en fera
reproche, ainsi qu'à ses parents.
En effet, qu'est-ce que l'éducation sinon l'apprentissage du bon usage de la liberté ? On pourra
méditer ce texte de Kant:
« L'homme ne peut devenir homme que par l'éducation.
Il n'est que ce qu'elle le
fait.
Il est à remarquer qu'il ne peut recevoir cette éducation que d'autres
hommes, qui l'aient également reçue.
Aussi le manque de discipline et
d'instruction chez quelques hommes en fait-il de très mauvais maîtres pour leurs
élèves.
Si un être d'une nature supérieure se chargeait de notre éducation, on
verrait alors ce qu'on peut faire de l'homme.
Mais, comme l'éducation, d'une part,
apprend quelque chose aux hommes, et, d'autre part, ne fait que développer en
eux certaines qualités, il est impossible de savoir jusqu'où vont nos dispositions
naturelles.
Si du moins on faisait une expérience avec l'assistance des grands et
en réunissant les forces de plusieurs, cela nous éclairerait déjà sur la question de
savoir jusqu'où l'homme peut aller dans cette voie.
Mais c'est une chose aussi
digne de remarque pour un esprit spéculatif que triste pour un ami de l'humanité,
de voir la plupart des grands ne jamais songer qu'à eux et ne prendre aucune part
aux importantes expériences que l'on peut pratiquer sur l'éducation, afin de faire
faire à la nature un pas de plus vers la perfection.
» KANT.
Articulation des idées
- Kant commence par énoncer une idée générale: L'éducation est fondamentale, car c'est par
elle que l'homme devient réellement homme.
(L'homme est donc essentiellement un être
culturel.)
- Il en tire une conséquence: Puisque ce qu'est l'homme dépend largement de son éducation, l'homme apparaît comme
perfectible.
–Il pose un problème: «Quelle est la limite de cette perfectibilité»? (En d'autres termes, quelles sont les limites imposées à
l'homme par sa nature – par ses «dispositions naturelles»?) Nous ne le savons pas, faute d'expérimentation sur l'éducation.
– Il
exprime sur ce plan un regret: Que ces problèmes d'éducation soient si négligés par les hommes supérieurs, les «grands ».
Intérêt philosophique du texte
Il est multiple.
Ce texte pose en effet le problème de la valeur de l'éducation, et de la possible perfectibilité de l'homme, problème
qui dépend largement du rapport entretenu chez l'homme entre la culture et la nature: l'homme est-il avant tout déterminé par sa
nature (déterminisme biologique) ou est-il essentiellement un être culturel, donc uniquement ce que l'éducation (entendue au sens
large) le fait ?
Obéir est assez simple ; se décider par soi-même peut être complexe, ou angoissant.
Il n'est pas étonnant dès lors que certains
individus se réfugient dans l'application systématique de ce qu'ils ont appris : plus la morale acquise est rigide, plus ils agiront
facilement, puisqu'ils n'auront plus besoin de réfléchir avant de se décider et que d'autres continueront, d'une certaine façon, à penser
et choisir pour eux.
Dans de telles cas, c'est la morale la plus impressionnante, celle qui semblera s'imposer avec le plus de force, qui
sera du plus grand secours, par exemple une morale d'origine religieuse.
Et l'on sait que certains esprits déplorent précisément que
Dieu ait accordé la liberté aux hommes : s'ils étaient mécaniquement dirigés vers le bien, le monde serait infiniment plus beau ! C'est
qu'avec la liberté surgit la tentation, la possibilité du péché : n'y a-t-il pas là de quoi avoir peur ? Adam et Eve ont péché du fait même
de leur liberté !.
»
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