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Nature et société sont-elles au même titre objet de science ?

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« [Introduction] Depuis qu'elles existent, les sciences de l'homme n'en finissent pas d'être examinées, et interrogées à propos de leurs méthodes ou de leur finalité.

Une telle interrogation repose pratiquement toujours sur une comparaison avec les sciences de la nature, qui apparaissent comme les modèles d'une scientificité que l'on tient pour impossible aux sciences de l'homme.

En restreignant la comparaison à la seule sociologie, comme science de la société, sans trop s'appesantir sur les autres disciplines (la psychologie ou l'histoire), on s'attachera ici à se demander si la société peut être objet de science au même titre que la nature : on devrait ainsi lui reconnaître des caractères scientifiques, mais qui seront en partie autres que ceux que l'on trouve dans les sciences de la nature. [I.

Qu'est-ce qu'un « objet de science » ?] Il n'y a sans doute pas de science sans objet, puisque, par définition, toute science étudie «quelque chose ».

Mais l'objet de la science n'est pas immédiat, et il n'est pas nécessairement donné.

La notion même d'objet implique que soit reconnue l'existence d'un monde objectif, séparé et distinct de la subjectivité humaine.

On sait combien le repérage ou la constitution d'un tel monde est un phénomène historiquement tardif. Lorsqu'il établit sa loi des états, Auguste Comte montre d'abord, dans les états théologique et métaphysique, combien l'objet et le sujet se trouvent étroitement confondus.

Pour l'esprit théologique, les phénomènes que nous qualifions de naturels dépendent des volontés ou des caprices des dieux, parfois de leur simple humeur, et il y a ainsi attribution de tout ce qui survient à des « sujets » sans doute supérieurs aux humains, mais dotés comme eux d'une vie psychique.

Dans la mentalité métaphysique, c'est la nature dans son ensemble qui paraît animée de sentiments (par exemple, elle peut avoir « horreur du vide »), de désirs ou de volontés qui ressemblent à ceux que connaît l'homme lui-même.

Ce n'est ainsi qu'au prix d'un « désenchantement du monde » que s'instaure l'esprit scientifique : les événements sont désormais privés de toute épaisseur ou réalité spirituelle, et c'est bien ce qui permet qu'un monde composé de purs objets puisse désormais nous faire face et s'offrir à la science. De ce point de vue, le travail de Galilée est essentiel : il assure le passage d'un cosmos ordonné à un espace géométrisé où jouent des lois mécaniques indifférentes aux projets humains.

L'homme pourra y occuper n'importe quel emplacement parce qu'il n'a plus de place qui lui revienne en propre.

Cette neutralité du monde objectif autorise le développement de la science aussi bien que de la technique, puisque plus rien n'y est a priori doté de valeur ou de sens. Lorsqu'il instaure la sociologie comme dernière discipline dans sa classification des sciences, Auguste Comte lui donne comme objectif de reconstruire un système de valeurs collectives sur lequel puisse se fonder un nouvel ordre social (puisque l'ancien a été détruit par la Révolution) :la description des structures sociales et l'analyse de la mobilité sociale doivent permettre d'espérer une telle efficacité. [II.

La société comme « objet »] En 1895, Durkheim considère qu'il convient de « considérer les faits sociaux comme des choses », ce qui sous-entend que les faits sociaux ne sont pas exactement des choses, mais ce qui permet néanmoins de transposer dans leur étude certaines méthodes qui ont amplement fait leurs preuves dans les sciences de la nature : découpage et repérage des phénomènes à étudier, observation et analyse qui doivent mener à la formulation de lois déterminant les phénomènes.

Un tel programme méthodologique est évidemment obligé de renoncer à tout espoir d'expérimentation : la sociologie ne peut qu'observer ce qui a lieu, ou attendre qu'autre chose ait lieu. Quelle que soit l'efficacité que lui attribue Durkheim, il oblige à souligner deux différences supplémentaires relativement aux sciences de la nature. La première concerne la position même du chercheur.

Le physicien fait bien partie du monde qu'il étudie, mais ce n'est pas le monde dans son ensemble qu'il cherche à connaître : son approche se cantonne à un phénomène « local », qu'il peut considérer « objectivement » parce qu'il lui est totalement étranger.

Pour le sociologue, la situation n'est pas exactement équivalente : il fait partie du social, ce qui signifie aussi qu'il possède, en tant qu'individu, des valeurs, qu'il est membre d'une classe, d'un groupe, d'une profession.

En d'autres termes, il ne bénéficie d'aucune extériorité – ou d'une extériorité très partielle.

Son « objectivité » n'est pas celle du physicien (même si cette dernière n'est pas aussi absolue qu'on le pensait classiquement : on sait que certaines observations perturbent les champs observés) et relève plutôt de l'honnêteté intellectuelle, de l'effort pour se dégager de sa propre mentalité avant d'aborder un domaine d'étude. En second lieu, la science de la société risque, non seulement de dépendre idéologiquement de la société dans laquelle elle se développe, mais aussi d'avoir des conséquences, à court ou moyen terme, sur cette même société.

L'existence de sociologues se réclamant du marxisme (quelle qu'en soit la version) ou qui lui sont au contraire hostiles suffit pour indiquer le mélange de science et d'idéologie que risque toujours d'être la sociologie (d'où la diversité des résultats portant sur une même question, selon que l'étude est menée aux États-unis, en Russie ou en Europe...). Parce que la réalité sociale est faite à la fois de comportements collectifs et de conduites individuelles, la sociologie peut aussi modifier ce qu'elle étudie.

Interroger une population sur ses choix politiques, ce peut être inviter une partie de cette population, jusqu'alors indifférente, à choisir effectivement.

Porter à la connaissance du public les déterminismes qu'il peut subir, c'est modifier sa conscience et, peut-être, ses conduites.

On sait que telle est du moins la position de Pierre Bourdieu « En énonçant les déterminants sociaux des pratiques [...] le sociologue donne les chances d'une certaine liberté par rapport à ces déterminants.

» Dans ce cas, on constate donc que le sociologue ne se contente pas d'analyser la réalité sociale : il prétend agir sur elle.. »

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