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L'interprétation psychanalytique de la croyance religieuse Philippe Fontaine

Publié le 29/12/2023

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« 1 L'interprétation psychanalytique de la croyance religieuse Philippe Fontaine "Quant aux besoins religieux, leur rattachement à l'état infantile de dépendance absolue, ainsi qu'à la nostalgie du père que suscite cet état, me semble irréfutable, d'autant plus que le dit sentiment n'est pas simplement dû à une survivance de ces besoins infantiles, mais qu'il reste entretenu de façon durable par l'angoisse ressentie par l'homme devant la prépondérance puissante du sort." Freud 1 "Lorsqu'on ne sait pas la vérité d'une chose, il est bon qu'il y ait une erreur commune qui fixe l'esprit des hommes ..., car la maladie principale de l'homme est la curiosité inquiète des choses qu'il ne peut savoir et il ne lui est pas si mauvais d'être dans l'erreur que dans cette curiosité inutile." Pascal 2 Introduction Dans la mesure où la psychanalyse s'institue d'emblée comme une critique des illusions de la conscience, elle ne pouvait faire l'économie d'une réflexion sur le sens et les enjeux, au plan individuel et collectif, de la croyance religieuse.

Comme le note P. Ricoeur, la psychanalyse est, à l'époque de la modernité, l'une des contestations les plus radicales du privilège, au sein de la philosophie réflexive, d'une "égologie" se soutenant de l'intention , ou de la prétention, de tenir la réflexion du sujet sur lui-même et la position du sujet par lui-même pour un acte original, fondamental et fondateur." 3 La psychanalyse porte la contestation "là où Descartes avait cru trouver le sol ferme de la certitude ", certitude attestée à travers l'expérience du Cogito ; ainsi, "Freud creuse sous les effets de sens qui constituent le champ de conscience, et met à nu le jeu des fantasmes et des illusions où se masque notre désir." 4 A cet égard, la contestation psychanalytique des prétentions de la conscience comme source constituante de tout sens constitue une 2 "réduction" plus radicale que celle préconisée par la phénoménologie husserlienne, au sens où "l'explication commence par une suspension générale des propriétés de conscience.

C'est une antiphénoménologie qui exige, non la réduction à la conscience, mais la réduction de la conscience." 5 A ce titre, la psychanalyse doit nécessairement rencontrer la problématique de la croyance religieuse ; cette dernière est en effet un "effet de sens" livré par la conscience immédiate, dont l'intelligibilité ne peut être conquise qu'à l'aide d'une technique appropriée, permettant d'accéder à la signification inconsciente des phénomènes conscients.

Comme le note P.

Ricoeur, "cette intelligibilité est inaccessible à la conscience parce que celle-ci est elle-même séparée du niveau de constitution du sens par la barre du refoulement.

L'idée que la conscience est coupée de son propre sens, par un empêchement dont elle n'est ni maîtresse ni informée, est la clé de la topique freudienne : le dynamisme du refoulement, en mettant le système de l'inconscient hors d'atteinte, requiert une technique d'interprétation appropriée aux distorsions et aux déplacements que le travail du rêve et le travail de la névrose illustrent de manière exemplaire." 6 Que peut donc nous apprendre la psychanalyse à propos de la croyance religieuse ? La psychanalyse, on le sait, repose sur le principe de la pulsionnalité fondamentale de l'homme ; l'homme, dont l'inconscient est constitué de motions pulsionnelles refoulées, est un être de désir avant qu'il n'ait à s'efforcer de construire en lui, par un effort d'éducation et de culture, le système de la raison.

Mais, quels que soient les progrès de la rationalité dans la civilisation humaine, l'emprise du désir subsiste chez l'être humain toute sa vie, comme en témoignent la rémanence des rêves, ou l'insistance des symptômes que l'analyse elle-même peine à faire disparaître.

Or le désir se caractérise par le pouvoir de susciter des illusions , c'est-àdire des représentations ayant pour fonction de le satisfaire, et de lui éviter ainsi la rencontre périlleuse avec le principe de réalité.

Il appartient donc au psychanalyste de retracer la genèse des différentes illusions dont se nourrit l'homme, pour en exhiber l'origine inconsciente.

La psychanalyse se veut ainsi dénonciation des illusions de la psyché humaine.

Toute illusion renvoie au désir comme à sa source ; c'est ce que Freud a fortement marqué : " Ce qui caractérise l'illusion, c'est d'être dérivée des désirs humains (...) Ainsi nous appelons illusion une croyance quand, dans la motivation de celle-ci la réalisation d'un désir est prévalente, et nous ne tenons pas compte, ce faisant, des rapports de cette croyance à la réalité, tout comme l'illusion elle-même renonce à être confirmée par le réel." 7 Et c'est précisément ce caractère d'"illusion" qui rend problématique la croyance religieuse ; car, se différenciant de la simple erreur, l'illusion trahit sa dimension de désir de croire.

Derrière l'assertion religieuse proprement dite, se dissimimule mal la stratégie du désir. Comme l'écrit P.

Ricoeur, "ce qui appartient en propre à l'illusion, ce n'est pas ce qui l'assimile à l'erreur, au sens épistémologique du mot, 3 mais ce qui la rapproche des autres fantasmes et l'inscrit dans la sémantique du désir." 8 Si la religion relève d'une telle "sémantique du désir", c'est qu'elle vise à satisfaire un désir inconscient ; elle s'inscrit ainsi dans la logique du remplissement de désir (Wunscherfüllung ) qui se trouve à l'oeuvre dans les processus inconscients repérés selon leur principe dynamique.

A quelles motivations inconscientes répondent donc les représentations religieuses ? En quoi réside leur valeur particulière ? Quelle est la fonction des idées religieuses au sein du phénomène global de la culture ? Telles sont les questions problématiques qui guideront nos analyses dans les pages qui suivent. La religion comme illusion La septième, et dernière, des Nouvelles conférences sur la psychanalyse , intitulée : "D'une conception de l'univers", aborde la question religieuse indirectement, puisque la question à laquelle cette conférence a pour but de répondre est de savoir si la psychanalyse nous conduit à une conception particulière du monde .

La psychanalyse constitue-t-elle une Weltanschauung , et laquelle ? Nous laisserons ici de côté cette problématique 9 , mais nous nous contenterons de constater que, très vite, au fil de son argumentation, Freud en vient à affirmer que seule la science peut prétendre à constituer une conception de l'univers entièrement fondée sur la connaissance scientifique et les exigences de la raison.

Aux yeux de ce rationaliste qu'est Freud, seule la science (et la psychanalyse ne peut que se ranger sous la bannière de la science, à laquelle, estime Freud, elle emprunte ses outils et ses méthodes) peut prétendre à la vérité, c'est-à-dire à une connaissance de l'univers, qui ne peut "découler que d'un travail intellectuel, d'observations soigneusement contrôlées, de recherches rigoureuses, mais non d'une révélation, d'une intuition ou d'une divination." 10 Et, dans cette apologie de la connaissance scientifique, Freud récuse toute autre méthode que celle de la raison comme seul moyen d'investigation des phénomènes ; la science progresse par la seule raison, sans que les fonctions "émotives" de l'homme y participent de quelque manière que ce soit, et soient en mesure de faire jaillir une nouvelle source de connaissance.

En fait, "L'intuition, la divination, si elles existaient vraiment, seraient capables de nous ouvrir de nouveaux horizons, mais nous pouvons, sans hésiter, les ranger dans la catégorie des illusions et parmi les réalisations imaginaires d'un désir." 11 Les deux concepts fondamentaux pour l'explication du phénomène religieux sont évoqués ici : le désir et l'illusion.

Certes, précise Freud, il n'est pas question de négliger les désirs ou d'en mésestimer l'importance dans la vie humaine ; ils sont même à la source des créations culturelles, des réalisations artistiques, et des systèmes religieux et philosophiques.

Mais le désir n'a rien à faire sur le terrain de la science, car elle est à la recherche de la vérité, et cette vérité ne s'accorde pas nécessairement avec le désir de l'homme.

C'est 4 pourquoi une hiérarchie s'impose, au sein de l'ensemble de l'activité psychique humaine, qui comporte essentiellement, pour Freud, la science, l'art, la religion et la philosophie. Or, de ces diverses manifestations de l'activité du psychisme humain, seule la science peut prétendre à la dignité de véritable connaissance, et, des trois autres grandes manifestations de la pensée, c'est sans ambiguïté la religion qui apparaît, aux yeux de Freud, comme étant la plus dangereuse pour la quête de la vérité objective : "Des trois puissances, écrit Freud, qui disputent à la science ses droits et ses domaines, la seule dangereuse est la religion.

L'art est presque toujours inoffensif et bienfaisant, ne prétend à être qu'une illusion et ne tente jamais, hormis chez certaines personnes qui sont, comme on dit "possédées" par lui, l'assaut de la réalité.

La philosophie ne s'oppose pas à la science ; se comportant elle-même comme une science, elle en emprunte aussi parfois les méthodes, mais s'en éloigne en se cramponnant à des chimères, en prétendant offrir un tableau cohérent et sans lacunes de l'univers, prétention dont tout nouveau progrès de la connaissance nous permet de constater l'inanité." 12 Mais le caractère confidentiel de la diffusion, et, par conséquent, de l'influence que la philosophie exerce sur la masse la rend totalement inoffensive, et ne constitue ainsi aucun.... »

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