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Les philosophes classiques pensaient que la connaissance de soi-même conduirait à la libération de la personne ; or, les progrès de la psychologie ont souvent pour conséquence pratique le conditionnement de l'homme par l'homme. Une telle évolution est-el

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introduction. — En attendant le train, nous avons souvent lu en haut de la bascule établie sur le quai ou dans la salle d'attente cette invitation à se peser : « Qui souvent se pèse bien se connaît ; qui bien se connaît bien se porte ». Si la première de ces assertions est fort discutable, la seconde à la condition évidemment de l'appliquer à la seule connaissance de l'organisme et de la bien comprendre, est assez judicieuse : il faut nous bien connaître pour déterminer le régime qui nous convient. Ce principe vaut également dans le domaine psychique. Aussi Socrate avait-il fait sien le précepte qu'il avait lu sur le fronton du temple de Delphes : Connais-toi toi-même », et les philosophes classiques qui se rattachent à sa descendance spirituelle estimaient-ils que, se connaissant bien, l'homme deviendrait vraiment homme, c'est-à-dire un être réellement autonome, une personne. Or voilà que, depuis près d'un demi-siècle, les progrès de cette connaissance ont souvent permis, au contraire, de graves attentats contre la personnalité humaine. On a mis au point ce que G. Marcel appelle des « techniques d'avilissement » au moyen desquelles ceux qui en disposent conditionnent les individus à leur gré et les rendent semblables à des robots. Certains redoutent le danger, grand pour l'homme, de voir le recours à ces techniques se généraliser. Mais cette généralisation est-elle inévitable et faut-il craindre que les progrès de la psychologie aboutissent à asservir l'homme au lieu de le libérer ?

« Les philosophes classiques pensaient que la connaissance de soi-même conduirait à la libération de la personne ; or, les progrès de la psychologie ont souvent pour conséquence pratique le conditionnement de l'homme par l'homme.

Une telle évolution est-elle inéluctable ? introduction.

— En attendant le train, nous avons souvent lu en haut de la bascule établie sur le quai ou dans la salle d'attente cette invitation à se peser : « Qui souvent se pèse bien se connaît ; qui bien se connaît bien se porte ».

Si la première de ces assertions est fort discutable, la seconde à la condition évidemment de l'appliquer à la seule connaissance de l'organisme et de la bien comprendre, est assez judicieuse : il faut nous bien connaître pour déterminer le régime qui nous convient. C e principe vaut également dans le domaine psychique.

A ussi Socrate avait-il fait sien le précepte qu'il avait lu sur le fronton du temple de Delphes : C onnais-toi toi-même », et les philosophes classiques qui se rattachent à sa descendance spirituelle estimaient-ils que, se connaissant bien, l'homme deviendrait vraiment homme, c'est-à-dire un être réellement autonome, une personne. Or voilà que, depuis près d'un demi-siècle, les progrès de cette connaissance ont souvent permis, au contraire, de graves attentats contre la personnalité humaine.

On a mis au point ce que G.

Marcel appelle des « techniques d'avilissement » au moyen desquelles ceux qui en disposent conditionnent les individus à leur gré et les rendent semblables à des robots. C ertains redoutent le danger, grand pour l'homme, de voir le recours à ces techniques se généraliser.

Mais cette généralisation est-elle inévitable et faut-il craindre que les progrès de la psychologie aboutissent à asservir l'homme au lieu de le libérer ? I.

— LE PROGRES DE LA PSYCHOLOGIE ET LE CONDITIONNEMENT DE L'HOMME PAR L'HOMME A .

La notion de conditionnement.

— Conditionner une chose ou une personne consiste à les munir des qualités que requiert ce à quoi on les destine.

A insi le conditionnement du blé a pour but de donner au grain le degré de siccité qui facilite la mouture ; le conditionnement des marchandises s'effectue par une présentation et des emballages qui les fassent valoir... « Conditionner » et « conditionnement » ne se disaient autrefois que des choses : les dictionnaires ne nous citent pas encore d'exemples de conditionnement de l'homme.

L'homme cependant peut être conditionné comme les choses.

Plus difficilement sans doute, et pour diverses raisons : la conscience qu'il prend de l'action exercée sur lui et à laquelle il est naturellement enclin à résister ; les différences individuelles de tempérament qui contrastent avec la ressemblance du comportement des individus appartenant à la même espèce animale ou végétale et encore plus avec l'homogénéité presque parfaite des matériaux de l'industrie ; enfin l'instabilité qui fait que le naturel « revient au galop » ou qu'une habitude est remplacée par une autre. Mais, d'autre part, cette instabilité même facilite le conditionnement : Pascal l'a dit après Montaigne, la raison humaine est « ployable à tous sens », surtout dans le jeune âge, alors que ne sont pas encore prises les habitudes de penser et d'agir. B.

Conditionnement et éducation.

— Le dressage auquel parents et éducateurs soumettent les jeunes enfants consiste en un certain sens à les conditionner. Par des sanctions, dont les plus éducatives et sans doute aussi les plus efficaces sont d'ordre moral — approbation ou désapprobation —, ils parviennent à obtenir du petit homme un comportement humain. Mais réduire l'éducation au simple conditionnement, constituerait une erreur grossière.

L'éducateur, en effet, vise la fin du sujet qu'il éduque : il aspire à en faire un homme, sans doute un homme qui puisse honorer sa famille et être utile à la société dont il fait partie, mais en se gardant bien de placer sa fin dernière dans la famille ou dans la société.

Au contraire, qu'il s'agisse des choses ou des hommes, on ne les conditionne que dans son propre intérêt, pour en faire des instruments dociles au service de ses entreprises.

Sans doute, ce conditionnement est d'ordinaire l'oeuvre, non de particuliers, mais de partis ou de détenteurs du pouvoir ; il n'en rabaisse pas moins l'homme au niveau des choses en le privant de la faculté, essentielle à la personne, de penser et de se déterminer par lui-même. C .

C onditionnement et psychologie.

— C e sont les progrès de la psychologie qui, après avoir permis d'améliorer les méthodes éducatives, rendent possible cette dépersonnalisation et cet asservissement de l'homme par l'homme.

Connaissant mieux le fonctionnement du psychisme humain, ayant expérimenté méthodiquement différentes façons d'agir sur lui, mis au point des techniques éprouvées, on sait comment il convient, pour aboutir au résultat cherché, d'utiliser la menace et d'inspirer la crainte ou, au contraire, de susciter de grandes espérances et de stimuler les ambitions, d'organiser le milieu et l'environnement, d'orchestrer par des choix et des interprétations habiles l'action des nouvelles et celle des vues sur le passé... C es techniques ne sont appliquées dans toute leur rigueur que dans des centres plus ou moins secrets où l'on procède à ce qu'on a appelé des « lavages de cerveau ».

Mais toutes les propagandes, officielles ou officieuses, utilisent, elles aussi, les méthodes proposées par les psychologues pour obtenir de l'homme ce qu'on estime avantageux pour soi ou pour la collectivité.

D'où un conditionnement progressif de la personne et l' « unidimensionnalité » dont parle Marcuse. Peut-on croire que ce conditionnement aboutira inévitablement à une aliénation générale de la personnalité ? II.

— LE CONDITIONNEMENT DE L'HOMME PAR L'HOMME ET L'AVENIR DE LA PERSONNE A la question posée nous ferons, malgré les inquiétudes que suscitent en certains les progrès de la psychologie et de ses applications, une réponse catégoriquement négative. A .

Il est d'abord des conditionnements qui, au lieu d'asservir, libèrent.

En effet, avant de pouvoir être soumis à ceux que permettent les progrès de la psychologie, l'homme se trouve conditionné de diverses manières : par ses instincts et son tempérament, par son milieu qui lui inculque ses préjugés, par des habitudes qui réduisent parfois dans une grande mesure sa maîtrise de lui-même...

Nous avons là un fait général de conditionnement contre lequel les défenseurs de la personnalité humaine auraient plus de raisons de s'insurger que contre les interventions de psychologues visant à modifier la conduite de l'homme. Dans une grande mesure, ces interventions commencent par déconditionner, au grand avantage du développement de la personne. Sans doute, on ne déconditionne guère que pour établir un nouveau conditionnement.

Mais il ne faudrait pas que le culte de l'autonomie nous fasse tomber dans les aberrations des libertaires : la véritable liberté consiste, non à suivre ses impulsions spontanées ou ses caprices, mais à se conformer aux exigences de la raison, en tenant compte en particulier des besoins et de l'intérêt des autres.

Les conditionnements qui nous amènent à nous comporter rationnellement et à nous soucier d'autrui nous rendent plus hommes au lieu de nous rapprocher des choses. B.

Ensuite, les progrès de la psychologie grâce auxquels l'homme peut être plus facilement conditionné sont liés à un progrès général d'où résulte une plus grande résistance au conditionnement.

L'instruction se généralise et avec elle l'esprit critique : nos contemporains de culture moyenne sont plus rebelles à l'endoctrinement que nos ancêtres du Moyen A ge et nos arrière-petits-neveux le seront sans doute plus que nous. A ussi, loin de croire inéluctable l'évolution qui aboutirait à la dépersonnalisation de l'homme, nous pensons plutôt que dans la mesure même où progressera la connaissance de l'homme se développera sa personnalité. Conclusion.

— A ux progrès de la psychologie il faut appliquer ce qu'on répète des progrès qui s'accomplissent dans le domaine physique : les techniques nouvelles sont des moyens dont la valeur devient positive ou négative suivant la fin visée par ceux qui les emploient.

Certains en ont fait des « techniques d'avilissement » contre lesquelles la conscience se révolte.

Mais on peut aussi en faire — et on en fait plus couramment — des instruments de promotion de la personne.

A ussi les progrès de la psychologie doivent-ils, à notre avis, nous inspirer moins d'inquiétude que d'espoir.. »

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