Les hommes peuvent-ils être tous égaux ?
Extrait du document
«
« Tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux que d'autres », on trouve cette formule célèbre dans
La ferme des animaux d'Orwell où celui-ci, sous couvert d'allégories et de métaphores, montre comment un idéal (le
communisme) sombre dans la dictature et la Terreur (le stalinisme et le léninisme).
Plus généralement, cette phrase
illustre le décalage que l'on observe bien souvent entre les principes – tous les hommes sont égaux en droit – et les
faits –les nombreuses inégalités.
Ce qui amène à se demander si les hommes peuvent être tous égaux.
Se poser
cette question implique bien évidemment que les hommes ne sont pas égaux entre eux, et, en effet, comment nier
une telle évidence ? Tel est doué pour le sport quand tel autre ne réussit pas malgré ses efforts, tel vit en centreville quand tel autre meurt lentement sous un pont ou, plus immédiat encore, l'inégalité de traitement entre les
hommes et les femmes, qu'elles soient physiques ou sociales partout où l'on regarde on ne voit qu'inégalités.
Toutefois, on peut se demander dans quelles mesures ces inégalités remettent en cause la notion d'égalité, et pour
cela, il faut s'interroger sur le type d'égalité que l'homme peut rechercher et espérer atteindre.
On voit aussi que
l'idée d'égalité est fortement lié à celle de justice, on a ainsi tendance à qualifier hâtivement d'injustices toutes
formes d'inégalités et inversement à associer spontanément justice à égalité, or on peut à raison se demander si
toute égalité est juste et si toute inégalité est nécessairement injustice.
Dès lors, on voit qu'il ne s'agit peut-être
pas seulement de savoir si les hommes peuvent être égaux mais aussi comment ils doivent l'être, l'égalité n'étant
peut-être pas l'identité pure et simple.
Il s'agit donc de se demander quel est le type d'égalité que l'homme peut et
doit atteindre.
On verra ainsi dans un premier temps que dans l'état de nature, en dehors de la vie civile, la notion
d'égalité ne signifie rien, pour ensuite voir dans un second temps ce qui fonde ce concept et ce qu'il implique.
On
verra enfin, que pour nécessaire et beau que soit ce principe, il n'en demeure pas moins critiquable par certains
aspects.
I- Etat de nature et égalité.
1) On trouve dans le Gorgias de Platon, l'idée défendue par Gorgias que la
justice s'oppose à la nature, que cette dernière est le lieu de l'inégalité parmi
les hommes, il y aurait les forts et les faibles :
« Veux-tu savoir ce que sont le beau et le juste selon la nature ? [...] Si on
veut vivre comme il faut, on doit laisser aller ses propres passions, si
grandes soient-elles, et ne pas les réprimer.
Au contraire, il faut être
capable de mettre son courage et son intelligence au service de si grandes
passions et les assouvir avec tout ce qu'elles peuvent désirer.
Seulement,
tout le monde n'est pas capable, j'imagine, de vivre comme cela.
C'est
pourquoi la masse des gens blâme les hommes qui vivent ainsi, gênée qu'elle
est de devoir dissimuler sa propre incapacité à le faire.
La masse déclare
donc bien haut que le dérèglement [...] est une vilaine chose.
C'est ainsi
qu'elle réduit à l'état d'esclaves les hommes dotés d'une plus forte nature
que celle des hommes de la masse ; et ces derniers, qui sont eux-mêmes
incapables de se procurer les plaisirs qui les combleraient, font la louange de
la tempérance et de la justice à cause du manque de courage de leur âme.»
(492a-b)
On a ainsi l'idée selon Gorgias que naturellement l'homme ne recherche pas
l'égalité ou la justice mais simplement à assouvir ses passions, à donner en
somme libre cours à sa liberté.
Il y aurait ainsi une tension entre liberté et égalité, plus la première est
grande plus la seconde diminue.
2) Toutefois, on peut avec Rousseau montrer que ces vues de Calliclès ne sont peut-être que des préjugés peu
assurés, en effet il peut sembler qu'à l'état de nature, les inégalités ne soient pas si grandes, et que c'est plutôt la
société qui est le lieu véritable où se joue la question de l'égalité, celle-ci n'ayant finalement guère de sens en
dehors de la vie civile.
« Il est aisé de voir qu'entre les différences qui distinguent les hommes, plusieurs passent pour naturelles qui sont
uniquement l'ouvrage de l'habitude et des divers genres de vie que les hommes adoptent dans la société.
Ainsi un
tempérament robuste ou délicat, la force ou la faiblesse qui en dépend, viennent souvent plus de la manière dure ou
efféminée dont on a été élevé, que de la constitution primitive des corps.
Il en est de même des forces de l'esprit,
et non seulement l'éducation met de la différence entre les esprits cultivés et ceux qui ne le sont pas, mais elle
augmente celle qui se trouve entre les premiers à proportion de la culture […]Or, si l'on compare la diversité
prodigieuse d'éducations et de genres de vie qui règnent dans les différents ordres de l'état civil avec la simplicité et
l'uniformité de la vie animale et sauvage, où tous se nourrissent des mêmes aliments, vivent de la même manière et
font exactement les mêmes choses, on comprendra combien la différence d'homme à homme doit être moindre dans
l'état de nature que dans celui de société, et combien l'inégalité naturelle doit augmenter dans l'espèce humaine par
l'inégalité d'institution.
»
Ainsi, l'inégalité est pour Rousseau à peine sensible à l'état de nature.
Mais plus généralement, on peut se demander
si la notion d'égalité a véritablement un sens dans un état de nature, car il semble nécessaire pour que les hommes
soient égaux entre eux qu'ils soient égaux devant quelque chose, qu'il y ait une autorité qui les reconnaissent tels.
Ainsi si Calliclès et Rousseau peuvent être en si profond désaccord, c'est peut-être parce que la notion d'égalité ne
prend sens que dans une communauté civile où il existe une autorité capable de borner ce que l'on entend par
« égalité »..
»
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