Le progrès est-il contre-nature ?
Extrait du document
«
[Non seulement le progrès est à l'origine du luxe,
du vice, du désordre, mais de surcroît il s'oppose au cours
naturel des choses.]
Le progrès conduit au vice
Sénèque, Montaigne, Rousseau, pour ne citer qu'eux, considèrent que le progrès des sciences et des
techniques n'a répandu que le vice, la servitude, la discorde.
L'homme ne vit que pour l'apparence, il a oublié
son être intérieur.
"On croit m'embarrasser beaucoup en me demandant à quel point il faut
borner le luxe.
Mon sentiment est qu'il n'en faut point du tout.
Tout est
source de mal au - delà du nécessaire physique.
La nature ne nous
donne que trop de besoins ; et c'est au moins une très haute
imprudence de les multiplier sans nécessité, et de mettre ainsi son âme
dans une plus grande dépendance.
Ce n'est pas sans raison que
Socrate, regardant l'étalage d'une boutique, se félicitait de n'avoir à
faire de rien de tout cela.
Il y a cent à parier contre un, que le premier
qui porta des sabots était un homme punissable, à moins qu'il n'eût mal
aux pieds"
ROUSSEAU "Dernière réponse de Jean - Jacques ROUSSEAU de Genève"
in Discours sur les sciences et les arts1 .
Où cesse le besoin ? où commence le superflu ? ROUSSEAU n'a nulle
peine pour répondre à la question qui lui est posée après le Discours sur
les sciences et les arts où sont condamnées comme dangereuses et
inutiles les connaissances, les techniques et les oeuvres d'art.
Le
superflu commence précisément là où le besoin cesse.
L'auteur rapporte
la question posée, donne aussitôt la réponse et ses motifs et la
complète par un exemple emprunté à l'antiquité grecque.
Cependant, faut - il partager le sentiment de ROUSSEAU et croire que le luxe est source de mal ?
La question posée à ROUSSEAU allait de soi après le Discours sur les sciences et les arts.
Si le luxe est
condamnable, quand commence le luxe ?
Une objection est faite à l'auteur ("On croit m'embarrasser beaucoup").
La question des limites est toujours
une question litigieuse et peut - être question sophistique moins destinée à éclairer qu'à étourdir
l'interlocuteur ("On croit m'embarrasser beaucoup").
La question des limites est difficile à trancher : où
commence et où le finit le champ du voisin ? où cesse l'amitié et quand commence l'amour ? La question des
limites est une question difficile en cela qu'elle laisse toujours place à une casuistique infinie voire à de la
finasserie ("à quel point il faut borner le luxe").
Mais à question inutilement compliquée, réponse simple : "Mon sentiment est qu'il n'en faut point du tout".
Ce
n'est donc pas une affaire quantitative de plus ou de moins : le luxe doit être totalement absent.
La réponse
appelle une explication : "Tout est source de mal au - delà du nécessaire physique".
Le luxe est un mal radical
: il n'y a pas de demi - mesure en la matière.
Au delà du nécessaire physique, tout est source de mal qui
dépasse ce dont le corps a besoin.
Le corps et ses besoins déterminent eux - mêmes et donc sans
contestation possible les limites du luxe.
ROUSSEAU a retenu sans doute la leçon d'EPICURE et sa célèbre
classification des désirs : il ne semble retenir que les désirs naturels et nécessaires2 .
En effet, au - delà du
nécessaire physique : "Tout est source de mal".
ROUSSEAU ne précise quel mal est provoqué par le luxe.
Le
mal est d'abord un mal moral : le luxe ne procure qu'un plaisir supplémentaire, qui n'est pas donné par la
nature et qui de ce fait n'est pas utile.
L'objet de luxe est celui dont la présence n'apporte rien mais celui
dont l'absence fait souffrir.
L'objet de luxe est celui dont la présence n'apporte rien qui n'eût pu être apporté
par un objet ordinaire et celui dont le retrait provoque une souffrance que l'homme eût pu ne jamais
connaître..
»
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