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Le peuple peut-il connaître et aimer le bien commun ou l'intérêt général ?

Extrait du document

« I.

La démocratie, tyrannie de l'ignorance ? Pour que la volonté soit générale, il faut qu'elle s e porte vers l'intérêt général.

Or, le peuple est-il toujours apte à le connaître? Car, comme le dit Rousseau, «on veut toujours son bien mais on ne le voit pas toujours» (Du Contrat social, livre II, chap.

III «Si la volonté générale peut errer»).

Le peuple veut son bien car nul ne peut nuire au tout sans se nuire à luimême; nul ne peut non plus vouloir léser autrui puisque, la loi étant générale, elle aurait tôt fait de se retourner contre lui. Cependant, ce bien commun n'est pas une évidence qui illuminerait tout esprit, plusieurs thèses concurrentes s'affrontent à son sujet.

Dans la pratique, on est donc obligé d e retenir l'opinion majoritaire relative à ce bien.

Qu'est-ce qui prouve cependant que ce que le plus grand nombre croit être le meilleur le soit effectivement? C'est ici que se situe la profonde critique platonicienne d e la démocratie.

Non seulement rien ne garantit cet accord mais il est probable que l'opinion dominante soit la plus fausse.

En effet, en quelque domaine que ce soit, les spécialistes sont peu nombreux et la foule est ignorante.

La démocratie n'est alors que la tyrannie du préjugé.

De là, la séduisante mais dangereuse doctrine platonicienne du «philosophe-roi» (cf.

République, livre V).

Il n'y aura pas d'État juste «tant que les philosophes ne seront pas rois dans les cités, ou que ceux qu'on appelle aujourd'hui rois et souverains ne seront pas philosophes».

Voilà donc pourquoi la cité démocratique est nécessairement injuste.

La critique platonicienne est forte car on voit m a l comment l'homme politique pourrait se passer de compétence.

On exigera de lui des connaissances dans les sciences humaines (sciences politiques, droit, histoire, géographie, sociologie, économie...), un «sens des affaires» c'est-à-dire une capacité à prendre au moment opportun la décision qui s'impose, et surtout - n'en déplaise à l'économisme régnant qui tend à confondre politique et gestion - un savoir philosophique portant sur les fins que l'État doit poursuivre.

C'est en effet parce qu'il contemple les Idées que le philosophe de Platon est apte à conduire la cité vers le Bien. C'est dans cette contradiction fondamentale entre la souveraineté et la compétence que se débat Rousseau dans le chapitre VII du livre II du Contrat social.

Il imagine alors un législateur qui aurait les attributions du philosophe-roi avec le pouvoir en moins.

Le législateur a l'initiative des lois mais c'est au peuple seul qu'il appartient de les ratifier.

Comment, toutefois, à l'origine des États, convaincra-t-il des individus dont l'horizon se borne à l'intérêt privé ? Comment, une fois la constitution établie, la voix du philosophe se fera-t-elle entendre dans le tintamarre des discours sophistiques ? La démocratie implique le pluralisme mais là où il y a pluralisme, la vérité et l'apparence sont placées sur le même plan.

Qu'est-ce qui empêchera la victoire du démagogue ? Et il faut bien reconnaître que le marketing électoral, le vide de certains discours où le slogan l'emporte sur la pensée, donnent rétrospectivement une grande actualité à la critique platonicienne qui voit dans la démocratie un règne de l'opinion (il Gorgias). 2.

Réhabilitation de la démocratie. On peut toutefois relativiser la critique platonicienne en s'appuyant sur les arguments proposés par Aristote au chapitre II du livre III de la Politique.

Tout d'abord si, pris isolément, chaque individu de la masse est moins compétent qu'un spécialiste, collectivement, ils l'emportent sur lui.

Le débat démocratique élargit la réflexion : un tel verra ce qui est passé inaperçu aux yeux d'un autre, si bien que tous jugeront mieux qu'un seul.

En outre, il n'est pas nécessaire, pour bien juger, d'être un professionnel; un amateur éclairé suffit à cela.

On attendra donc du peuple seulement qu'il s'intéresse d e près à la politique.

Enfin, il est des sciences où le point de vue de l'utilisateur profane est tout aussi important que celui du spécialiste : ainsi l'habitant d'une maison sait mieux que l'architecte si elle est fonctionnelle ou confortable.

En tant qu'«usagers» des lois et des décisions du gouvernement, les citoyens en connaissent mieux que quiconque la valeur. Ces arguments n'annulent pas la critique platonicienne: le peuple peut être berné par un imposteur et l'histoire en fournit des exemples.

Ils montrent cependant que la démocratie, loin de nuire à la qualité de la pensée politique, peut en être un enrichissement.

Le suffrage universel, la liberté d'expression, le droit permanent à la critique sont précisément les moyens par lesquels la démocratie peut surmonter ses propres déficiences.

Ainsi, selon l'usage que l'on fait de la liberté qu'elle garantit, la démocratie peut donner le meilleur comme le pire.

Sa valeur repose donc en dernière instance sur la responsabilité de chaque citoyen.

À ce titre, les parents et l'école ont un rôle capital à jouer dans la formation du citoyen de demain.

Il n'y a pas d e démocratie sans éducation civique.

Pour qu'il en soit ainsi, il faut cependant que les citoyens d'aujourd'hui prennent à coeur la chose publique.

Or c'est sur ce dernier point que la critique platonicienne peut être prolongée. 3.

La démocratie affaiblit-elle l'amour du bien public ? Dans une démocratie, l'individu est indistinctement un sujet soumis aux lois et un citoyen, membre du souverain et à ce titre coauteur des lois.

Cette dualité risque d'amener la liberté à dégénérer en licence: chacun se croit autorisé à prendre des libertés à l'égard des lois dont il se croit maître.

Dès lors toute contrainte, toute hiérarchie sont dénoncées comme des atteintes intolérables à la sacro-sainte liberté.

L'exaltation de la liberté entraîne un affaiblissement du sens du devoir, une dilution de l'intérêt public dans l'intérêt privé.

C'est ainsi qu'au livre VIII de la République, Platon, décrivant la genèse des cités injustes, imagine la décadence démocratique qui prépare du reste l'avènement de la tyrannie : l'excès d e liberté appelle l'excès de contrainte. Le mépris du bien public ne prend pas nécessairement la forme de l'anarchie.

Il peut aussi conduire à une désaffection pour la vie politique.

La démocratie valorise la liberté individuelle et peut, à ce titre, dégénérer en individualisme.

Se désintéressant de la vie publique, les hommes se replient alors sur leurs intérêts privés.

Ils n'attendent des lois que l'ordre et la tranquillité nécessaire à la prospérité de leurs entreprises.

Ils sont alors mûrs pour l'asservissement, prêts à se vendre au premier venu pourvu qu'ils puissent vaquer à leur bonheur.

C'est ainsi que Rousseau dénonce avec force la démission du citoyen qui abandonne ses ennuyeuses responsabilités à des représentants («sitôt quequelqu'un dit des affaires de l'État : Que m'importe ? on doit compter que l'État est perdu » Du Contrat social, livre III, chap.

XV).

On pensera encore aux pages troublantes qu'Alexis d e Tocqueville consacre à cette question dans De la démocratie en Amérique : la recherche de la jouissance prépare le peuple à cette «servitude réglée, douce et paisible» dans laquelle l'auteur reconnaît l'oppression propre aux démocraties.

L'État règle en détail la vie d'individus accaparés par de « petits et vulgaires plaisirs».

Si bien que, paradoxalement, l'individualisme conduit à un nivellement des individus rendus semblables les uns aux autres par un État omniprésent. Au total, nous découvrons que les valeurs qui fondent la démocratie - la liberté, l'individu - peuvent se retourner contre elle. La démocratie n'échappera à ces menaces q u e si chaque citoyen est animé d e cette vertu dont a parlé Montesquieu. «L'amour des lois et de la patrie» doit inciter chacun à élever le bien public au-dessus de son bien propre, à faire passer le destin de l'État avant ses affaires privées.

Ici encore, il n'y a pas de démocratie sans éducation digne de ce nom.. »

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