Le langage peut-il tout exprimer ?
Extrait du document
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introduction
Nous avons souvent le sentiment d'une « distance » entre ce que nous pensons, nous sentons, et son expression
verbale : déformation ou approximation.
Le langage parvient-il...
?
Qui n'a pas fait l'expérience de « chercher ses mots » ?
Cette expérience témoigne de l'existence d'une pensée antérieure à la parole, d'une antériorité à la fois de temps et
de causalité.
Il y a là quelque chose que nous pensons comme un « encore à dire », une sorte de pensée antérieure
à tout discours, même intérieur.
Tantôt nous ne trouvons pas les mots pour le dire soit parce que, jusqu'à présent,
cela n'a pas encore été dit et qu'il faudrait avoir recours à des mots nouveaux, soit parce que notre pensée refuse
de faire surface et d'émerger des profondeurs de l'esprit.
Tantôt nous trouvons les mots, mais, une fois ceux-ci
trouvés, nous avons le sentiment que le langage a pacifié notre pensée, qu'il l'a faite passer à l'être et au repos,
voire qu'il l'a pétrifiée.
Dans le langage, notre pensée a son « domicile », elle se possède elle-même ; la pensée est un désir que le langage
satisfait, mais cette satisfaction ne peut être que provisoire.
Dans la mesure où le mouvement tend vers le repos, la
volonté vers l'habitude, la satisfaction du mot est provisoire puisque le mot est fixe tandis que la pensée est
dynamique.
Le mot réalise donc la pensée, lui donne une extériorité mais en même temps il la réalise sous une forme particulière
qui va exclure d'autres formes.
Le mot n'est qu'une des possibilités de la pensée, il n'est qu'un vêtement.
Le mot est
plat, précis, net déterminé et n'a aucune auréole.
La pensée est toujours plus nuancée, plus riche.
La pensée est
toujours plus profonde que le langage.
Il y a donc un ineffable qui n'est pas seulement le monde du cœur ou des
sentiments mais qui est aussi la pensée –cette pensée qui ne peut être traduite par les mots.
Première partie : Thèse de l'indissolubilité de la langue et de la pensée
(rejet d'un inexprimable).
La langue est la condition obligée de la réalisation de la pensée.
La pensée et
l'expression se constituent simultanément.
Il n'y a pas de pensée inverbale,
donc d'inexprimable (si ce n'est en tant que pensée informe ou simplement
visée).
Hegel a écrit : « C'est dans les mots que nous pensons ».
Dire que nous
pensons en mots, comme on paye en francs ou en dollars, c'est définir le mot
comme l'unité de la pensée.
Loin d'être deux mondes radicalement extérieurs,
« incommensurables » comme le disait Bergson, le langage et la pensée
apparaissent ici comme absolument consubstantiels.
Que reproche Hegel à l'ineffable ? Il lui reproche de n'offrir, en fait de pensée,
qu'une matière de pensée sans la forme que seule la formulation par le
langage pourrait lui conférer.
L'ineffable en effet, c'est la pensée informe,
c'est-à-dire une pensée usurpée, une pensée qui n'en est pas vraiment une.
Pour mériter ce nom, pour être vraiment la pensée, celle-ci doit en passer par
l'épreuve de l'explicitation.
Il y a ici un malentendu possible contre lequel il faut mettre en garde le
lecteur de Hegel : c'est le malentendu de l'énonciation.
Le problème de Hegel
n'est pas de savoir s'il faut se taire ou parler, ni de savoir si les vérités sont
ou non bonnes à dire : l'enjeu de l'exigeante conception de Hegel est de savoir à partir de quoi, à partir de quel
critère on peut réellement considérer qu'on a affaire à de la pensée, à partir de quel critère la pensée mérite le nom
de pensée.
Ce critère, c'est la « forme objective » (le mot) qui rend ma pensée publiable, identifiable même par moi
seul (tant encore une fois il ne s'agit pas ici de rapport à autrui).
Pourquoi faire un brouillon avant une dissertation ?
Justement pour expliciter le flux d'abord confus de l'inspiration qui nous traverse à partir d'un sujet, pour incarner
cette manière, cette pensée virtuelle en une réalité palpable & travaillable, réalité que les mots que nous écrivons lui
donnent.
Il s'agit là, pour la pensée, d'une véritable épreuve, de l'épreuve de ce que Hegel appelait le « négatif » : pour
devenir ce qu'elle est, la pensée doit en passer par ce qui n'est pas elle : le langage.
Dans cette épreuve par
laquelle elle devient ce qu'elle est, la pensée fait donc face à d'apparents périls qui peuvent nous faire prendre le
langage pour un inconvénient.
Au premier rang de ces périls, celui qui apparemment menace ce que nous pourrions
appeler la subjectivité, notre singularité : ne risquons-nous pas, en incarnant notre intériorité dans une forme
objective, d'en perdre irrémédiablement ce qui en elle nous appartient le plus ? Le mot peut, ainsi, être perçu comme
commun et galvaudable : nous savons bien que chacun peut transformer nos paroles comme il l'entend, que les « je
t'aime » que nous prononçons ont été cent fois, mille fois, prononcés et entendus, que nos pensées dans nos
paroles deviennent anonymes comme une rumeur sourde.
Puisque « tout est dit depuis huit mille ans qu'il y a des
hommes et qui pensent » (La Bruyère), le refus des mots ne serait-il pas le dernier refuge de l'intériorité ? Ce sont
ces appréhensions que la pensée hégélienne entend conjurer avec la dernière énergie.
Le présupposé qui est ici en jeu a quelque chose à voir avec la question de la propriété de la parole.
Ce dialogue constant de la pensée avec le langage, cette lutte entre l'ineffable et les mots, bref ce passage, pour
la pensée, du non-être à l'être prend donc évidemment, comme on l'a vu, un sens particulièrement aigu en
littérature et spécialement en poésie.
Si le passage par la parole marque la vraie naissance de la pensée, c'est qu'il
faut concevoir le langage comme quelque chose de plus haut qu'un simple instrument.
Ce qui se conçoit bien ne.
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