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Le langage sert il à exprimer la réalité ?

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« Analyse du sujet : Le sujet pose une question à laquelle nous sommes invités à répondre par « oui », « non », ou de manière nuancée, ceci à chaque fois avec les références qui s'imposent et de manière argumentée. La question porte sur ce à quoi « sert » le langage, c'est-à-dire son utilité.

P lus précisément, elle demande si la fonction du langage est une fonction d'expression, autre notion capitale de notre sujet. La notion de langage doit être distinguée de celle de parole, qui désigne dans son acception courante une faculté de l'homme ou, lorsque nous parlons d'une parole en particulier, ce qui est prononcé dans le langage parlé.

Le langage ne se réduit pas à un ensemble de paroles prononcées : il peut être écrit, il peut être gestuel (langage des signes), il peut être informatique (langage de programmation), etc. Le langage n'est pas non plus la langue : celle-ci résulte d'un ensemble de conventions de prime abord lexicales qui régissent l'utilisation correcte des mots qui la composent, alors qu'un langage, on l'a dit, n'est pas nécessairement lié à des mots. Parole et langue demeurent cependant toutes deux liées au langage dans la mesure où un s e n s , une signification, y est chaque fois exprimé.

Le simple cri est dénué de sens et n'est de ce fait pas une parole.

Une juxtaposition de mots qui contrevient aux règles de syntaxe n'a pas non plus de sens et n'appartient alors pas à une langue en particulier même si elle lui emprunte ses constituants (les mots).

De même, un langage, pour mériter ce nom, doit permettre par l'utilisation des règles qui le régissent de signifier quelque chose. La réalité désigne ce qui existe réellement, ce qui est de manière effective et non seulement idéale ou possible. Problématisation : La question directrice est la suivante : le langage a-t-il pour fonction d'exprimer ce qui est de manière effective, c'est-à-dire la réalité ? Nous distinguons les problèmes suivants : Premièrement, si le langage permet l'expression d'une signification, est-ce bien la signification de ce qu'est la réalité qui est alors exprimée ? Le langage ne sert-il pas également par exemple à l'expression des sentiments ? La question est donc celle de l'identification de ce à quoi peut servir le langage. Le second problème que nous rencontrons concerne la possibilité d'un rapport entre langage et réalité.

C omment être certain que c'est bien de la réalité que nous rendons compte par l'expression dans un langage ? I – Quelle est la fonction du langage ? De prime abord, il apparaît évident qu' « exprimer la réalité » ne peut constituer la fonction unique du langage.

On peut envisager quelques exemples pour s'en convaincre : Lorsque nous disons « cette table est basse.

», nous exprimons bien quelque chose comme une propriété de la table.

En ce sens, nous exprimons la réalité. Mais si nous disons : « la somme de 2 et 3 fait 5.

», alors nous n'exprimons dans cette proposition une relation mathématique qui n'a pas de caractère réel. Lorsque nous disons « bonjour, comment allez vous ? », nous n'exprimons pas de réalité non plus.

De même, lors d'une prière, ou quand nous proférons des ordres, il semble que le langage ne serve pas à exprimer la réalité. Le seul cas dans lequel le langage sert à exprimer la réalité semble être le premier.

La proposition que nous avons pris comme exemple possède deux caractéristiques : premièrement, elle consiste en une prédication, c'est-à-dire qu'elle à la forme « S (sujet) est P (prédicat) ».

Notre second exemple consiste également en une prédication, mais n'exprime pas la réalité au sens de l'effectivité, de l'existence réelle.

Il faut donc encore que le sujet de la prédication soit un objet réel, et non idéal, ce qui constitue la seconde caractéristique. Le langage possède par conséquent plusieurs fonctions : il ne sert pas exclusivement à exprimer la réalité mais peut servir à simplement communiquer, ce qui est le cas lorsque nous donnons un ordre, faisons une prière, posons une question.

Il reste à déterminer comment le langage, lorsqu'il le fait, peut exprimer la réalité. II – Quel est le rapport entre langage et réalité ? Les conceptions scolastique et moderne de la vérité peuvent être résumées en première approche par la formule suivante : la vérité est « adequatio res et intellectus ».

Elle est la correspondance entre la chose réelle et la représentation que j'en ai.

A ussi peut-on dire du langage, pour autant qu'il prédique quelque chose de vrai, qu'il exprime une relation : non pas celle qui existe entre chose réelle et représentation, puisque celle-ci constitue seulement le critère de la vérité d'une proposition, mais celle qui existe entre une chose et une de ses propriétés.

Plus précisément, la proposition « cette table est basse » exprime dans le langage la relation entre le concept de table (sujet) et celui de sa hauteur (prédicat), relation qui au plan du réel correspond si la propriété est vraie à la relation entre la table réelle et le fait qu'elle soit basse. Un présupposé majeur soutient cette conception : il faudrait que l'état de chose correspondant à la hauteur de la table, c'est-à-dire le fait qu'elle soit basse, puisse contenir en lui-même ses propres conditions de vérification : la table réelle doit contenir la propriété réelle d'être basse.

Le problème est alors la multiplicité des emplois possibles des adjectifs comme « basse » dans le langage.

P ar exemple, un enfant dira sans doute que la table est haute.

Dans ce cas, il dit bien la vérité puisque sa représentation de la table correspond bien au fait qu'elle soit haute pour lui.

On a donc deux vérités opposées pour le même état de chose.

O n peut également imaginer un modèle géant de table basse, par exemple dans un musée.

La table est en un sens basse, en un autre haute, et la proposition « la table est basse » ne permet pas en elle-même de dire de quel sens il s'agit, en quel sens on parle. Dans cette perspective, le langage perd sa fonction d'expression de la réalité, dans la mesure où plusieurs expressions prédicatives peuvent se contredire. III – Le langage comme producteur de la réalité Nous pourrions aller jusqu'à inverser le rapport entre langage et réalité : le journaliste et dramaturge Karl Kraus menait au début du 20ème siècle à Vienne une critique sévère de l'institution que constitue le Journal.

Le journal sélectionne les événements qu'il évoque pour les critiquer, les encenser ou seulement en communiquer l'existence au lecteur.

La thèse de Kraus consiste à dire qu'aucun événement n'en est un en lui-même.

A u contraire, c'est le journal qui a le pouvoir de transformer un fait complètement anodin en événement mondial.

En ce sens, la presse décide de ce qui doit avoir de l'importance et de ce qui n'en a pas, elle produit donc la réalité en sélectionnant ce que nous devons savoir et ce qui, selon elle, ne mérite pas d'être su.

Pour reprendre les mots de A ndré Hirt qui comment Kraus, le pouvoir du journal relève de la magie noire. Le langage, par conséquent, pour autant qu'il est véhiculé par une institution telle que le journal, est producteur de réalité mais n'exprime en aucune manière une réalité qui lui préexisterait.

Pour le dire autrement et en s'intéressant à une échelle plus restreinte : imaginons un fait bien réel, par exemple, l'envol d'une nuée d'oiseaux à 4h12 sur le lac de C onstance.

C elui-ci n'aura d'existence réel que s'il est identifié et si on en rend compte dans une expression du langage.

Envisageons l'exemple inverse : un journaliste relate en première page un fait qui n'a pas eu lieu mais il n'est jamais démasqué.

Le scandale ainsi provoqué aura pourtant des conséquences bien réelles.

Dans ce dernier cas, et dans tout cas d'imprécision du langage au regard des faits qu'il est censé exprimer, le langage est producteur d'une réalité, ou du moins de ce que tout le monde pensera être la réalité.

Le faux ou l'inexistant peut devenir vrai et réel. Conclusion : Nous avons montré premièrement que l'expression n'était pas l'unique fonction du langage ; deuxièmement, qu'aucun état de fait ne contenait en lui-même les conditions de vérification de sa vérité, et par conséquent de sa réalité.

Si on ajoute à cela les conclusions de notre troisième partie, alors nous sommes obligés d'admettre que le langage est non plus parfois mais toujours producteur de la réalité : il est en effet d'une part incapable de dire ce qui est, c'est-àdire de rendre compte d'un état de fait qui serait réel, et il possède d'autre part le pouvoir de faire être ce qui n'est pas.

Le langage, dans cette perspective, s'apparente fortement au verbe divin, à qui traditionnellement nous accordons le pouvoir de poser les choses dans l'existence.. »

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