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La tolérance n'est-elle qu'indulgence ?

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« INTRODUCTION Le mot de «tolérance» que l'on emploie si fréquemment de nos jours, n'apparaît guère qu'au xvie siècle dans notre littérature : il correspondait alors à un besoin, à un idéal qui se firent jour après les guerres de religion.

Mais c'est surtout au xviiie siècle que Voltaire employa le terme dans l'acceptation qui nous est familière.

Encore faut-il définir exactement le sens que nous lui donnons.

D'après un dictionnaire, la tolérance serait « indulgence, condescendance pour ce qu'on ne peut empêcher».

Si cette définition correspond assez à l'usage qu'on fit du mot au XVIIe siècle, elle ne nous satisfait pas totalement aujourd'hui, et la notion qu'elle recouvre ne se heurte pas sans mal à la réalité. I.

LA DÉFINITION DU DICTIONNAIRE Les termes employés dans cet article pour analyser l'attitude de l'homme tolérant ont un sens précis.

L'indulgence désigne une acceptation volontaire des actes d'autrui, un refus d'agir contre lui, et surtout d'agir par la force.

En ce sens, nous pouvons voir là une marque de générosité.

Il est à noter cependant que le mot est fréquemment utilisé pour qualifier la conduite des adultes à l'égard des enfants, et nous y percevons la nuance de sens qui devient la dominante de la « condescendance ».

Si un sourire indulgent traduit déjà des intentions protectrices, un sourire « condescendant » marque une profonde satisfaction de soi, le sentiment intérieur d'une supériorité indiscutable. Tolérer les idées d'autrui ou ses actes, ce serait donc accepter, par bienveillance pure, de s'abaisser à son niveau avec la conviction qu'on a soi-même raison, et que l'autre a tort.

C'est l'attitude des Pharisiens qui peuplent les romans de Mauriac, c'est celle d'Oscar Thibault en face de Madame de Fontanin dans l'oeuvre de Martin du Gard.

Ils octroient leur tolérance à leur entourage. II est vrai qu'un personnage comme Oscar Thibault est tolérant aussi par nécessité.

La tolérance telle que nous l'avons définie n'est pas seulement une disposition intérieure : c'est une certaine manière de concevoir les rapports entre l'individu et la société.

Nous y trouvons d'abord une prise de conscience lucide et réaliste de ce qui est possible ou non : on se résigne alors à une situation qui ne paraît pas aisément modifiable.

La société offre chaque jour le spectacle de ces hommes qui ne combattent pas les opinions adverses si leurs intérêts risquent d'en souffrir, mais qui imposent les leurs s'ils le peuvent.

Chez beaucoup la tolérance apparente cache le regret profond de ne pouvoir convaincre autrui par la force : dans la Chronique des Pasquier de Duhamel, Joseph ne laisse qu'à contrecoeur les membres de son entourage acquérir leur indépendance.

Peut-on parler de « tolérance » lorsqu'il s'agit d'une acceptation plus ou moins imposée du fait accompli ? Beaucoup ont voulu s'arrêter à cet aspect, et, « vomissant les tièdes », ont refusé la tolérance, car, vue sous ce jour, elle justifie de nombreuses accusations.

Peut-on d'abord à la fois être convaincu d'une vérité et accepter que tous ne le soient pas ? Cela suppose une conviction peu ardente, bien proche de l'indifférence, et Claudel a souvent utilisé cet argument contre ceux qui lui reprochaient un certain fanatisme.

Dans ces perspectives, ce sont les « hommes de peu de foi » qui pratiqueraient la tolérance, avec les paresseux, qui craignent de déranger leur tranquillité, avec les pessimistes, qui ne croient pas à la vertu des petits nombres, avec les lâches qui ont peur de se nuire à eux-mêmes.

Comment vanter dès lors une attitude qui se confond souvent avec certains défauts et s'oppose aux vertus viriles que l'on prône traditionnellement, le courage, la combativité ? II.

LA VRAIE TOLÉRANCE En fait, le dictionnaire ne retient que les aspects extérieurs de la tolérance : elle ne consiste pas seulement à s'abstenir de toute action.

Ceux qui la prêchaient au lendemain des guerres de religion n'en demandaient certes pas davantage pour mettre fin au massacre, mais Montaigne et les philosophes du xviiie siècle en exigeaient plus. Nous assistons dans les Essais à une conversation qu'eut l'auteur avec des « sauvages » venus d'Amérique.

Cet entretien suggère à Montaigne des réflexions empreintes de modestie : il rend hommage à la raison de ses interlocuteurs, et imagine sans peine leur étonnement en face de nos propres moeurs.

Loin de les critiquer, de les railler, il cherche à les comprendre, et c'est cette attitude de compréhension qui fonde la tolérance.

Les Essais mentionnent en toute objectivité les usages divers que rencontra l'écrivain au cours de ses voyages.

Deux siècles plus tard, Montesquieu cherche systématiquement les facteurs qui sont à l'origine des lois, sans prétendre à établir la supériorité des unes ou des autres.

Et la prière que Voltaire adresse à Dieu dans le Traité de la Tolérance met sur le même plan tous les rites auxquels chaque religion est si vivement attachée. Pour abdiquer ainsi tout doit être sans arrière-pensée sentiment de supériorité, chacun doit exercer son esprit critique à l'égard de soi-même, et détruire ses préjugés.

Dans les Thibault, le personnage du Père est totalement incapable de cet effort, alors que son fils Jacques s'y livre sans cesse. D'Aubigné et Montaigne avaient déjà perçu que la tolérance ne consiste pas seulement à se résigner, mais à accepter positivement les opinions d'autrui, sans se réserver le droit de les détruire un jour si l'occasion s'en présente ; les Encyclopédistes furent ainsi les ennemis déclarés du fanatisme au nom de la liberté.

Et cet idéal révolutionnaire est à la base de la tolérance : il faut comprendre autrui, mais aussi respecter sa liberté. Compréhension, respect d'autrui, nous sommes loin de la condescendance et de la résignation.

Il est évident que l'homme tolérant doit éviter dans ses convictions la passion qui mène au désastre ; mais il n'en est pas pour autant un être passif, et l'exercice de l'esprit critique demande un effort de volonté constant : il est plus facile de se donner bonne conscience en se croyant supérieur à autrui, comme le montre J.-P.

Sartre dans les Réflexions sur la Question Juive ; Tarrou, dans la Peste, souligne la fatigue immense qui accable les hommes de bonne volonté cherchant à tuer en eux-mêmes tout germe de fanatisme.

Il ne faut pas oublier d'ailleurs que dans toute lutte les défenseurs de la tolérance sont les premières victimes : ils passent pour hypocrites en politique, pour traîtres en. »

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