La société est-elle pas autorisée à me dire « tu dois » ?
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«
La société est-elle pas autorisée à me dire « tu dois » ?
Que désigne la société et en quel sens pourrait-elle être autorisée à me dire « tu dois » ? Elle se définit
comme le milieu humain dans lequel est intégré tout individu.
Elle désigne une réalité primaire, par rapport
à laquelle l'homme n'est pas extérieur, le milieu créateur de toute vie et de toute organisation qui, en un
sens, pourrait être autorisé et fondé à me dire « tu dois ».
Si Dieu, en effet, transcende, par définition,
tout sujet, la société se définit comme l'environnement humain dans lequel est intégré tout individu,
lequel est plongé dans la société.
La société est donc à la fois immanente au sujet, qui s'y trouve
immergé et transcendante à lui : elle s'impose au sujet.
Bien davantage que Dieu, puissance
rigoureusement transcendante à l'individu, n'est-elle pas légitimement fondée à me dire, à me formuler
impérativement « tu dois » ? La société s'impose intérieurement à moi.
Elle m'est immanente (tout en me
dépassant).
Elle m'apporte les fruits de la culture, ceux de la moralité, ceux de l'obligation.
N'est-elle pas
autorisée à me formuler mon devoir ? Investie d'une autorité axiologique, la société, disait Durkheim, est
la source de tous les biens intellectuels qui constituent la civilisation.
C'est une réalité morale distincte
des individus et infiniment supérieure à eux {elle les transcende).
Mais, en même temps, elle leur est
immanente : elle peut donc dire à chacun « tu dois ».
Ainsi, sans la société, le « tu dois » se trouve sans
point d'attache et le devoir ne peut être formulé et édicté par personne.
Telle est l'interprétation
sociologique du devoir : la société seule serait fondée à me dire ce que je dois faire.
Dans ce cas,
l'obligation morale se réduirait à l'obligation sociale.
Ainsi, c'est la conscience collective qui me dirait « tu dois ».
Elle ferait autorité et exprimerait les valeurs
les plus hautes.
La société commanderait, d'où le caractère obligatoire du devoir.
C'est elle qui me
formulerait « il faut ».
On remarquera d'ailleurs que, lorsque Freud voit dans la morale des interdictions
issues de la censure et s'opposant à la libido, à la puissance de l'énergie sexuelle, il développe lui aussi
une thèse partiellement sociologique.
Le « tu dois » émane du surmoi, intériorisation des interdits familiaux
et sociaux.
Qui est autorisé à me dire « tu dois » ? D'une certaine manière, le groupe social.
Ici
convergent (curieusement) Durkheim et Freud.
« C'est à la société que nous devons notre empire sur les
choses qui fait partie de notre grandeur.
C'est elle qui nous affranchit de la nature.
N'est-il pas naturel
dès lors que nous nous la représentions comme un être psychique supérieur à celui que nous sommes et
d'où ce dernier émane ? Par suite on s'explique que, quand elle réclame de nous ces sacrifices petits ou
grands qui forment la trame de la vie morale, nous nous inclinons devant elle avec déférence.
»
(Durkheim, Sociologie et Philosophie, PUF, p.
107).
Pression sociale pesant sur nous de l'extérieur, le « tu
dois » émane de cette conscience collective si puissante.
Est-il bien vrai, néanmoins, que la société soit autorisée à me dire « tu dois » ? On ne voit pas pourquoi
moralité et expression sociale coïncideraient.
Pourquoi le « tu dois » émergerait-il de la collectivité ? Ce
qui naît de la conscience collective n'est ni une obligation, ni un devoir, mais une pression sociale, voire
une contrainte sans légitimité.
On peut se souvenir ici d'Antigone, qui méprisa les ordres du roi Créon et
rendit les honneurs funéraires à son frère.
Or, Créon incarne ici la pression sociale et ce qu'Antigone fait
émerger, c'est le « tu dois » infiniment supérieur à la contrainte sociale et irréductible à cette dernière.
Ainsi la société n'est-elle nullement fondée à me dire « tu dois ».
Dans l'expression sociale du devoir,
l'aliénation du sujet, dépossédé de sa vraie substance, est manifeste.
Ni Dieu, ni la collectivité ne sont donc autorisés à me dire « tu dois ».
Si la collectivité engendre une
pression sociale, cette dernière se distingue de l'obligation..
»
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