La propriété est-elle un fait de nature ou un fait de culture ?
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Introduction
Parmi les choses que nous possédons, que nous portons sur nous ou que nous gardons chez nous, il en est un
certain nombre dont nous nous estimons propriétaires.
Nous contesterions à quiconque le droit de venir nous les
prendre, de les utiliser comme bon lui semble.
Nous pouvons les prêter mais elles sont encore nôtres.
Ce rapport
particulier aux choses, en tant qu'elles m'appartiennent ou non, nous paraît très naturel.
Pourtant le sens de la
propriété ne pourrait-il pas être une disposition culturelle, propre à notre civilisation ? Tous les hommes aspirent-ils à
être les propriétaires de certains biens ? Ou bien le désir de propriété est-il l'invention de sociétés particulières ?
1.
La propriété, un droit inscrit dans la nature de l'homme
A.
La propriété, prolongement de l'instinct de conservation
On peut admettre que tout homme a le droit de préserver sa vie.
Ce droit serait en quelque sorte la prise en
considération du fait naturel de l'instinct de conservation.
Il ne serait pas accordé par la société mais inscrit dans la
nature humaine.
Il serait ce que certains philosophes appellent un « droit naturel «.
On peut déduire, de ce droit
fondamental, celui de recourir aux moyens permettant d'assurer la conservation de la vie.
Tous les biens que je
possède et qui concourent à cette fonction vitale seraient donc ma propriété légitime.
La propriété définirait ainsi la
sphère des objets impliqués par les nécessités et les besoins de la vie.
Je suis légitimement propriétaire des
vêtements qui me couvrent, de l'abri qui me protège, des outils qui me servent...
En défendant leur possession, je
garantis ma conservation.
B.
La propriété ne se fonde pas sur le besoin
Pourtant cette justification de la propriété par le besoin n'est pas pleinement satisfaisante.
En effet, elle établit la
légitimité de ce qui relève du nécessaire, mais pas du superflu.
D'après cet argument, je ne peux être propriétaire
que de l'indispensable.
Mes richesses cessent d'être légitimes dès lors qu'elles ne sont plus à la mesure de mes
besoins.
Or il est manifeste, au moins dans nos sociétés occidentales, que le titre de propriété excède largement
cette mesure et que je peux être pleinement propriétaire d'une oeuvre d'art, de plusieurs maisons, de vêtements qui
n'assurent pas seulement la fonction de me couvrir et de me protéger.
Le fait social de la propriété ne semble donc
pas se fonder sur nos besoins.
Il nous faut donc chercher ailleurs son éventuelle origine naturelle.
C.
Le travail, source du droit de propriété ?
À quelle condition naturelle une chose devient-elle mienne ? En dehors de tout contrat, qu'est-ce qui peut me
conduire à m'estimer propriétaire légitime d'une chose ? On peut voir dans le travail la source d'appropriation à
l'origine du droit de propriété.
Dès lors qu'une chose est modifiée, transformée par mon activité, elle devient en
quelque sorte un prolongement de moi-même.
Les fruits sur un arbre n'appartenant
à personne sont à tout le monde.
Mais il suffit que j'aille en cueillir un pour qu'aussitôt il devienne mien.
Le fait de
l'avoir en main est une modification d'état dont je suis la cause.
C'est à ce titre qu'il est tombé dans la sphère de
ma propriété.
Par conséquent, même si ma récolte excède largement mes besoins, elle est ma propriété en tant que
produit de mon travail.
2.
La propriété, une simple convention
A.
La propriété n'est pas un fait naturel
Mais si l'aspiration à la propriété privée était naturelle, elle devrait être une constante culturelle universelle.
Ce qui
est naturel aux membres d'une espèce est en effet normalement propre à tous les individus de cette espèce.
La
réciproque n'est toutefois pas vraie : l'universalité d'une caractéristique n'est pas la preuve de sa naturalité.
On
trouve sans doute dans toutes les sociétés humaines des objets auxquels les hommes tiennent tout
particulièrement.
Mais, d'une part, cette possession n'est pas toujours le fait exclusif de l'individu : la propriété peut
être collective, ce qui revient à dire qu'il n'y a pas de sentiment de propriété.
Ce qui appartient à tous n'appartient
en effet à personne.
D'autre part, le lien, parfois très fort, qu'un individu peut nouer à certains objets qui lui sont
propres n'est pas forcément pensable en termes de propriété.
Le chasseur d'une tribu peut être attaché à son arc ;
une amulette, un gris-gris sont des possessions individuelles très importantes pour le membre d'une tribu.
Mais ces
liens sont précisément trop puissants pour être comparables au simple titre de propriété.
Un propriétaire se sent
libre d'user comme bon lui semble de ses propriétés ; elles n'ont rien de sacré ; leur perte pourra provoquer une
déception, pas un deuil.
Les modalités du rapport de possession des choses sont donc très variables culturellement.
Il est donc peu vraisemblable que la propriété privée soit inscrite dans la nature humaine.
B.
Un droit socialement reconnu
Il faudrait alors reconnaître dans la propriété un droit non pas naturel mais institué, conventionnel ou encore positif
: un droit qui n'existe vraiment qu'en vertu d'une reconnaissance mutuelle de la part des citoyens.
J'ai le droit de
posséder exclusivement certaines choses parce que ce droit est reconnu par les autres ; et les autres ne me le
reconnaissent que parce que je le leur reconnais aussi.
La propriété est donc, en tant que droit, une invention
politique.
Elle est plus exactement instituée juridiquement.
Ce n'est ni le besoin ni le travail mais le titre légal de
propriété qui fait le propriétaire.
La propriété, en tant que possession exclusive et absolue à titre individuel, est donc bien un fait culturel.
Pourtant
la possession d'objets en général est un phénomène manifestement universel.
Il traduit nécessairement une
exigence propre à l'homme, quelle que soit sa culture.
Pourquoi veut-on posséder certaines choses ? Quel est l'enjeu.
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